A l’occasion de la présentation de son Atlas de la démographie médicale, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) s’est inquiété de la diminution constante du nombre de généralistes en France. A l’heure où Marisol Touraine entend placer le généraliste au cœur du système de santé, Patrick Bouet, le président du CNOM, pose la question de l’attractivité de la filière de médecine générale.

 

Entre 2007 et 2014, le nombre de médecins généralistes a diminué en France de 6,5%. Selon les projections du Conseil national de l’ordre, qui rendait public hier matin son Atlas national de la démographie médicale, ce chiffre pourrait atteindre les 12% d’ici 2020. Si la tendance se poursuit sur cette lancée, les spécialistes seront plus nombreux que les généralistes d’ici 2020, soit 88 158 pour 86 203 généralistes, prédit le CNOM. “Ces chiffres posent la question de l’organisation et de l’attractivité de la médecine générale universitaire. C’est une mise en alerte de l’ensemble des acteurs”, souligne le président du CNOM, le Dr Patrick Bouet.

 

“Touraine propose des mesurettes qui ne règlent rien”

Un constat qui pose particulièrement problème, à l’heure où la ministre de la Santé, Marisol Touraine, assure pourtant vouloir organiser le système de santé autour du médecin généraliste et des soins de premier recours. “Ne tenons pas un discours que les faits populationnels viennent démentir. Le discours politique pour la place de la médecine générale universitaire n’a de valeur que si des changements se constatent sur le terrain”, fait diplomatiquement valoir Patrick Bouet.

“Depuis 2012, Touraine propose des mesurettes qui ne règlent rien”, fait remarquer plus frontalement Théo Combes, président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG).”On se paye de paroles, mais il faut des moyens”.

“Oui, il faut des moyens pour que la médecine générale puisse réacquérir une attractivité. Mais il faut aussi cesser de dire que tout ça coûte de l’argent, mais plutôt souligner les richesses produites par les médecins !”, tient à préciser le Dr Bouet.

Selon l’Ordre, il faut prendre le problème à la source : le choix des jeunes pour la médecine générale. “On forme à l’université plus de médecins de deuxième que de premier recours. La médecine générale reste un choix par défaut et pas par adhésion. C’est un choix qui doit être porté par la connaissance”, souligne Patrick Bouet. En cause selon lui, une méconnaissance de la médecine générale chez les étudiants et leur manque de contact avec cette spécialité au cours de leurs études.”La formation actuelle oriente naturellement les jeunes vers les spécialités qu’ils connaissent, là où ils ont fait leurs stages. Pour beaucoup, c’est l’hôpital”, regrette le président de l’Ordre, qui plaide donc pour un contact plus précoce des étudiants avec la médecine générale dans leur parcours.

 

Problème de l’enseignement de la MG

Un constat partagé par Julien Poimboeuf, président de l’ISNAR-IMG. “La Stratégie nationale de santé veut mettre la médecine générale au cœur du système de santé. Mais le généraliste n’est pas formé pour être au cœur de l’organisation”, souligne-t-il. Parmi les aspects manquants dans la formation, les connaissances des champs de compétences des professionnels de santé avec qui le généraliste peut être amené à travailler, l’apprentissage au travail en réseau, la formation à l’installation dans un cabinet… “Mais surtout, les étudiants font tout leur parcours à l’hôpital et connaissent très mal l’ambulatoire. Il faut développer les stages en ambulatoire”, insiste Julien Poimboeuf.

“Bien sûr, mais ça fait dix ans qu’on dit ça et que ce n’est pas appliqué !”, tranche Théo Combes.”Evidemment qu’il faut que les enseignants de médecine générale soient plus présents dans le second cycle”. Une question épineuse, puisqu’elle pose le problème du nombre d’enseignants en médecine générale. Le ratio enseignant/enseigné en médecine générale universitaire stagne à 1 pour 100 alors qu’il est de 1 pour 10 dans d’autres spécialités. “Il y a encore 3 500 internes qui ont terminé leur thèse, mais qui ne peuvent pas la soutenir”,s’alarme pour sa part le président de l’ISNAR-IMG.

Si Matthieu Calafiore, président du Syndicat National des Enseignants de Médecine Générale (SNEMG), plaide aussi en faveur d’une meilleure connaissance de la MG par les étudiants, il n’est pas convaincu qu’augmenter le nombre de stages ou les proposer plus tôt soit la solution. “Si on arrivait déjà à faire faire à tous les étudiants le stage de MG qui est prévu dans les textes mais pas effectué dans la pratique, ce serait déjà bien pour la connaissance de la spécialité”, plaide-t-il.

Pour Théo Combes, président du syndicat des jeunes généralistes, le problème est plus profond et touche le métier dans son ensemble. “Il faut mettre en place un vrai internat, et ensuite, un métier revalorisé symboliquement, mais aussi dans la rémunération et dans les moyens distribués pour le développement des cabinets.” S’il reconnaît que la filière de médecine générale souffre d’un manque d’attractivité auprès des étudiants, il souligne un autre problème, celui des diplômés qui choisissent de ne pas s’installer ou de quitter le métier. “On est plus ou moins à 50/50 aux ECN en nombre de postes pour les généralistes et les spécialistes. Mais certains étudiants ont peut-être une vision un peu fantasmée du métier. Sur le terrain, certains s’installent et s’en vont quand ils confrontés aux dures réalités, à l’administration, à la solitude… qui peuvent conduire au burn-out”, assure Théo Combes.

 

“Le mode d’activité du médecin généraliste apparaît pénible, difficile”

De fait, seuls 10% des jeunes médecins choisissent l’exercice libéral, assure l’Atlas de l’Ordre. Même si cette pratique passe à 40% après cinq ans d’exercice, elle doit être encouragée, estime l’Ordre. “Le mode d’activité du médecin généraliste apparaît pénible, difficile, admet Patrick Bouet. Et les aspects négatifs ne sont pas compensés par l’attractivité du métier, par sa rémunération notamment.” Le président du CNOM plaiderait-il ouvertement pour une augmentation du tarif de la consultation ? “L’attractivité d’une profession dépend de sa rémunération, mais il ne faut pas parler que de la rémunération à l’acte. Il y a d’autres formes de rémunération”, a suggéré Patrick Bouet tout en assurant que les syndicats avaient son soutien sur la question.

Pour pallier cette tendance de fond, la décrue du nombre de médecins généralistes, observée et annoncée depuis plusieurs années, des initiatives ont pourtant été lancées, comme le développement du cumul emploi-retraite. Ce dispositif connaît un franc succès, puisque le nombre de retraités en exercice a augmenté de 18% en un an et représente aujourd’hui 5% de la population générale des médecins. “Mais les retraités exercent dans des zones qui sont déjà bien dotées !, fait remarquer le Dr Bouet. Ce sont des mesures intéressantes, mais très parcellaires. Il faut aller au-delà en matière d’incitation”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier