En 2006, une maison de santé très collaborative a vu le jour dans la banlieue de Bordeaux. Autogestion, réunions obligatoires, transdisciplinarité, échanges permanents sont au cœur de son fonctionnement. Les deux généralistes belges qui en sont à l’origine partagent même leurs honoraires.

 

“Travailler en maison de santé, c’est prendre conscience que ce qui nous est demandé est différent. On va être dans un accompagnement des patients sur le long cours. C’est donc une volonté de travailler ensemble, avec d’autres professionnels, et d’échanger”. En quelques mots, la philosophie du docteur Elias est plantée.

L’établissement où travaille ce généraliste belge, à Saint-Caprais-de-Bordeaux (Gironde) a ouvert en 2006. Avec une consœur, deux infirmiers et un orthophoniste, ils ont créé une maison de santé collaborative.

 

“On est autogestionnaires”

“La condition pour y appartenir, c’est de participer à la réunion hebdomadaire obligatoire”, précise le docteur Mourad Elias. Chaque vendredi, de 13h30 à 15h, les treize praticiens que compte aujourd’hui la structure, se réunissent autour d’un repas pour parler des patients en commun, des difficultés qu’ils ont pu rencontrer mais aussi pour prendre toutes les décisions concernant le fonctionnement de leur établissement. “On est aussi autogestionnaires. L’organe décisionnel, c’est la réunion d’équipe”, souligne-t-il.

“L’idée c’est d’avoir une discussion entre soignants. Vous posez un cas, et de l’expertise de chacun, on va pouvoir dégager des soins. Il n’y a pas un médecin omniscient qui vient imposer sa loi à tout le monde. Chacun apporte sa pierre”, explique le généraliste.

Autre particularité de cette maison de santé, les deux médecins généralistes travaillent depuis 2006 en partage d’honoraires. Pour le docteur Elias et sa collègue, à qui l’esprit d’équipe tient à cœur, l’offre de soins est proposée par la maison de santé de manière globale, plus que par un praticien en particulier. “Par exemple, les gens qui ont envie de parler ou qui sont en souffrance psychologique vont rester avec moi 40 minutes, une heure. Ceux qui viennent pour une angine, quelque chose de rapide, vont plutôt aller vers elle. Résultat des courses, au bout d’une journée, j’ai vu 10 patients, elle en a vu 20.” Pour pouvoir continuer de proposer des consultations adaptées aux patients, ils ont décidé de s’associer et de partager leurs revenus de manière égalitaire.

 

Structures au forfait en Belgique

Formés en Belgique, ces deux généralistes ont été habitués à travailler en maison médicale dès leur sortie de l’université. Ils ont notamment exercé dans des structures au forfait. Dans ces établissements transdisciplinaires particuliers, l’ensemble des soignants reçoit une somme d’argent de la part de l’Assurance maladie. Le montant est défini selon un barème, en fonction d’un nombre de contacts moyens. “On estime qu’un patient voit un médecin 6 fois par an par exemple. Si ce médecin a 1 000 patients, on va lui donner lui donner une somme correspondant à 6 000 consultations. Et on le réparti par mois. C’est une moyenne”, explique le médecin belge. Si, dans les faits, le praticien fait plus ou moins de consultations que prévu, cela ne change en rien sa rémunération.

Les détracteurs de ce système assurent qu’il induit un biais de sélection du patient. Les médecins sont tentés de laisser de côté les pathologies lourdes pour ne suivre que des jeunes gens en bonne santé et ainsi être bénéficiaires par rapport aux prévisions de l’Assurance maladie.”Moi je n’ai jamais vu ça, assure pourtant le Dr Elias. L’éthique des médecins faisait que l’on acceptait tous les patients et qu’on ne refusait pas les cas lourds.”

Ayant connu et apprécié ce système détaché du paiement à l’acte, les médecins ont cherché le meilleur moyen pour en conserver les vertus. “Que les consultations ne se concluent pas sur un paiement, ça peut sembler anodin, mais ça ne l’est pas du tout. Vous êtes dans une prise en charge différente, avec un projet de soins pour le patient. Les dérives sont minimes. Et en contrepartie, vous n’avez pas de patients veulent repartir avec leurs médicaments parce qu’ils ont payé pour ça.”

Leur fonctionnement en partage d’honoraires leur offre une latitude dans la prise en charge des patients qu’ils estimaient ne pas trouver dans un système classique. “Le fonctionnement à l’acte existe parce qu’on n’a pas encore trouvé mieux pour l’instant. Le partage d’honoraires permet de lisser la course à l’acte”, analyse le médecin.

Un partage qui ne saurait fonctionner sans une grande confiance entre les praticiens. “C’est indispensable. On ne peut pas imaginer qu’il y en ait un qui tire sur la corde pour travailler moins”, explique le Dr Elias.

 

Petit kibboutz

Une philosophie qui a très vite séduit le Dr Fraize. Ce généraliste a rejoint l’équipe il y a dix jours. S’il a déjà travaillé en maison de santé, jamais il n’a connu un tel esprit de collaboration. Il a tout de suite demandé à participer au partage d’honoraires. “Ca dit un certain détachement par rapport aux questions financières. Au final, ce qui compte c’est le temps de travail plus que le nombre d’actes. J’aime ce que ça révèle en termes de pratique”, confie Stéphane Fraize.

Pour des questions administratives, il n’est pas encore associé à ce mode de rémunération.”Si à la fin de l’année tout va bien, je passerai en associé et alors on appliquera le partage d’honoraires”, précise-t-il.

Si ce nouveau venu semble enchanté par cette maison de santé ultra-collaborative, une légère inquiétude plane en ces premiers jours d’installation. “Tout ça est très collectivisé. Moi j’appelle ça le petit kibboutz, lâche en riant le généraliste.Si j’ai un doute, il est plus de ce côté-là. J’ai un côté très germanique, et je me demande si je ne vais pas être un peu étouffé par cet aspect collectif…”

Si le Dr Fraize a rapidement souhaité prendre part à ce projet, les réactions du côté des médecins ne sont pas toujours aussi enthousiastes. “Ce n’est pas vu comme anormal, mais c’est quand même perçu comme une prise de risque par rapport à l’autre”, souligne le Dr Elias. Un risque certes, mais il suffit de trouver les bonnes personnes. “C’est parfois vu comme une sorte d’utopie, mais quand ça marche, c’est surtout une grande chance”, conclut le médecin.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier