Les laboratoires pharmaceutiques ont modifié leur stratégie de promotion après le séisme de l’affaire du Mediator. Visite médicale et presse professionnelle notamment subissent une constante réduction de budgets, dans un contexte de recul des remboursements de médicaments par l’assurance maladie et une très faible visibilité sur l’avenir.
Dans l’esprit de tous les acteurs de la santé, la loi Bertrand qui a suivi l’affaire du Mediator marque une rupture dans la communication des laboratoires vers les médecins. Pour autant, l’industrie a-t-elle pris d’autres canaux pour échanger avec les praticiens ? Pas sûr. Alors que pour la deuxième année consécutive, les remboursements de médicaments par l’assurance maladie sont en recul, les budgets consacrés à la promotion se réduisent comme peau de chagrin. À commencer par ceux alloués à la visite médicale. On disait la visite médicale moribonde. Mais elle continue cependant à être un des vecteurs privilégiés des laboratoires, même si les effectifs des délégués médicaux ont considérablement diminué.
“Nous pensons que la visite médicale a toujours sa place”
“La diminution relativement importante de la visite médicale est liée à la conjonction d’au moins cinq facteurs, explique Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les entreprises du médicament). Il s’agit principalement de l’impact des politiques publiques de maîtrise des dépenses de santé, de la fin de brevets de blockbusters, de l’évolution des laboratoires vers des produits de spécialités hospitalières, des conditions d’accueil de la visite médicale par les médecins qui sont en train d’évoluer, et enfin de la poursuite de l’encadrement de la visite.”
Les effectifs ont commencé à fondre à partir de 2004, année où on comptait encore près de 24000 visiteurs médicaux en France. En 2012, ils n’étaient plus que 16 000. Il existe cependant des exceptions. “Chez Novartis, nous avons encore recruté dix visiteurs médicaux en début d’année, indique Vincent Varlet, directeur exécutif marketing et communication du laboratoire suisse. En effet, nous avons un portefeuille de plus en plus complexe qui nécessite de donner beaucoup d’informations aux prescripteurs.”
Le laboratoire français Biocodex reste également attaché à la visite. “Pour un laboratoire à taille humaine comme le nôtre, la présentation de nos médicaments reste une priorité, explique Gilles Sevin, directeur marketing. La visite médicale est sans aucun doute un des moyens les plus cohérents pour pouvoir continuer à avoir un échange pertinent avec les professionnels. Nous n’avons pas fait de surinvestissement dans la visite, mais nous pensons qu’elle a toujours sa place, et nous avons d’ailleurs été un des rares laboratoires à avoir créé des postes en 2013”.
La nouvelle génération de médecin ouvre moins facilement sa porte
La diminution de la visite médicale est très corrélée avec la montée en puissance des médicaments génériques, en particulier dans des pans entiers de la médecine générale. D’où des stratégies différenciées selon les portefeuilles des laboratoires.
Autre phénomène, une nouvelle génération de médecins ouvre beaucoup moins facilement sa porte. “Les jeunes médecins, dont la majorité sont aujourd’hui des femmes, n’ont plus les mêmes modes d’organisation de leur temps de travail, que ce soit au cabinet ou à l’hôpital, note Vincent Varlet. Dans cette génération Y, les praticiens n’ont plus envie de rester au cabinet jusqu’à 21 h. Ils préfèrent avoir une journée bien remplie mais garder du temps pour leur famille. Du coup, ils ont des envies différentes par rapport à la visite mais aussi par rapport aux congrès ou aux rencontres en soirée avec des laboratoires.”
Moins fréquente, la visite est obligée de se transformer. Sur la forme d’abord : les visiteurs sont équipés d’iPad, et les échanges sont souvent prolongés par des outils numériques, notamment des applications mobiles. En revanche, la visite collective à l’hôpital voulue par Xavier Bertrand lorsqu’il était ministre de la Santé a fait un flop. “La visite collective à l’hôpital peut exister ponctuellement, mais elle ne s’est pas du tout généralisée, note Philippe Lamoureux. Le Leem s’est opposé à cette disposition qui n’est pas du tout adaptée aux besoins des professionnels, encore plus quand il s’agit de traitements de maladies rares ou de pathologies orphelines.” En outre, une nouvelle charte de la visite médicale a été renégociée dernièrement entre le Leem et le Comité économique des produits de santé (Ceps), notamment pour prendre en compte les dispositions de la loi Bertrand. Son agrément par le ministère est attendu dans les prochaines semaines.
“Les médecins sont encore assez attachés à la visite médicale, car cela reste une source d’information pour eux, estime l’économiste de la santé Claude Le Pen. Mais dans le même temps ils souhaitent aussi avoir quelque chose de plus qualitatif. C’est une problématique que les laboratoires ont pris en compte en commençant à mesurer la performance de la visite et la satisfaction des médecins.”
La presse médicale, 1er moyen d’information
Il reste que même si la visite suscite toujours de l’intérêt chez une majorité de médecins, ceux-ci cherchent d’abord dans la presse les informations utiles à leurs pratiques. Selon une enquête réalisée par Global Média Santé (GMS), éditeur d’Egora, auprès de 8 000 médecins généralistes, la presse médicale demeure le premier moyen d’information et de formation des médecins. Sur le web, “les médecins font aujourd’hui plus confiance à des sites qui sont édités par des éditeurs reconnus”, explique Tatiana de Franqueville, directrice marketing de GMS. L’enquête confirme également la baisse de visite médicale, car “les sollicitations sont moins nombreuses qu’avant”, disent les médecins interrogés.
“La presse professionnelle a toujours toute sa place, même si malheureusement des titres disparaissent, estime Gilles Sevin. Cela reste un média incontournable pour l’information et la formation des professionnels de santé. Chaque titre possédant ses propres spécificités éditoriale et rédactionnelle, nous ne pouvons que regretter leurs disparitions progressives.” Un avis partagé par Vincent Varlet. “Je suis un fervent défenseur de la presse professionnelle, car c’est un canal de communication privilégié par le corps médical, souligne-t-il. Le travail de recherche et de synthèse de l’information que font les journalistes est très important, car les médecins n’ont pas le temps de faire le tri dans le flux d’informations auxquels ils sont confrontés.”
La loi Bertrand sur le médicament s’est également intéressée à la presse médicale et aux publicités qu’elle contient. “Avec la loi Bertrand, on est passé d’un contrôle a posteriori des publicités par l’Agence du médicament à un visa a priori, explique Philippe Lamoureux. Mais on a constaté que le taux de rejet des publicités n’est pas sensiblement différent. En revanche, la réforme a créé des contraintes administratives supplémentaires, car il y a des délais de dépôts assez stricts”. En 2013, sur les 2192 demandes de visas de publicité auprès des professionnels de santé, seules 115 ont été refusés par l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm).
“Le problème est que les médecins ont pris l’habitude de la lire gratuitement”
“La presse professionnelle garde toute sa place dans la communication des industriels, estime pourtant Philippe Lamoureux. Quand on regarde les supports de communication déposés par les laboratoires auprès de l’Ansm, les publicités dans la presse représentent 10% du total, et c’est constant depuis dix ans.”
En 2013, les laboratoires ont investi 30 millions d’euros de budget publicitaire dans la presse médicale. Des budgets qui ont fondu comme neige au soleil depuis le milieu des années 2000. Au point de mettre en péril une partie de cette presse. “Si la presse médicale disparaissait, ce qui peut arriver, ce serait un sérieux manque, estime l’économiste de la santé Claude Le Pen. Le problème est qu’à un moment les médecins ont pris l’habitude de la lire gratuitement. Pourtant, je trouve que ce n’est pas du tout une presse de mauvaise qualité, on peut notamment y lire des analyses sur l’évolution du système de santé, des sujets qui intéressent peu les grands médias.”
La qualité de la presse médicale intéresse également la Haute Autorité de santé (HAS), qui lui a consacré un rapport l’an dernier. Du leur côté, les laboratoires réfléchissent beaucoup à la manière de faire évoluer leurs stratégies de communication, tout en contenant les coûts. “L’avenir de la communication des laboratoires est sans doute aux stratégies digitales même si, pour l’heure, les évolutions sont encore assez prudentes et progressives, constate Philippe Lamoureux. Il ne faut pas oublier que la communication sur le médicament est soumise à une réglementation très stricte.”
Sites Internet, applications mobiles, réseaux sociaux, les initiatives numériques des industriels fleurissent depuis quelques années. Mais parfois encore dans une relative discrétion.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Véronique Hunsinger