C’est bien la douleur la principale fautive dans l’histoire. Comment opérer sans faire mal ou le moins douloureusement possible ? Jusqu’à la moitié du XIXe siècle, les moyens anesthésiques sont sans efficacité réelle. L’alcool est employé, faute de mieux, mais le patient, à moitié ivre, dessoûle en voyant le chirurgien armé de sa scie.

 

Le chirurgien Jacques Tenon (1724-1816), dans ses mémoires sur les hôpitaux de Paris, raconte les cris des malheureux sur les tables d’opération à la vue des instruments chirurgicaux avant qu’on intervienne, et raconte aussi l’effroi de ceux qui attendent leur tour.

En désespoir de cause il faut donc aller vite. Peu d’opérations durent plus de cinq minutes. William Fergusson (1808- 1877), écossais de naissance et célèbre chirurgien exerçant à Londres a l’habitude de dire à ses élèves, avec son humour et son réalisme, d’éviter de cligner des yeux s’ils ne veulent pas rater l’opération.

Dominique Larrey (1766-1842), chirurgien de la Grande Armée, suit Napoléon dans toutes ses campagnes. Il est précurseur en matière de secours aux blessés sur les champs de bataille et pratique les soins sur le terrain. Il a mis au point un système d’ambulances chirurgicales dites mobiles ou volantes. (Véhicules à deux ou quatre roues, avec une forme de coffre allongé à ouvertures rondes pour donner de l’air aux blessés.)

 

Amputation d’une jambe en 30 secondes

Si l’intérieur de la voiture est rembourré et son plancher recouvert d’un matelas en cuir sur un cadre à roulettes, ces mêmes ambulances volantes, lors de la campagne d’Égypte, subissent une transformation radicale. L’idée lui vient d’installer sur les dos des chameaux, de chaque côté de leur bosse, des paniers souples, en forme de berceau, suspendus par des lanières, pouvant porter, de part et d’autre, un blessé couché dans toute sa longueur.

Outre ce service d’ambulances, légères ou lourdes, tirées par des chevaux, qui permet d’enlever au plus vite les blessés sur place, Larrey a dans son arsenal de chirurgien un autre atout : sa rapidité d’intervention. En moins d’une journée, il ampute pas moins de deux cents blessés. Rappelons qu’à l’époque, cette opération est la seule asepsie efficace. On dit qu’il met moins d’une minute pour amputer un membre, 30 secondes environ pour une jambe suite à la mitraille des canons ou à un coup de feu. La rapidité semble être la seule solution pour écourter la douleur. Même si on reproche au chirurgien les pyramides de membres à côté des ambulances mobiles, on reconnaît toutefois dans la chirurgie de bataille la nécessité de sauver la vie du blessé avant la fonctionnalité du membre.

 

La notion de propreté s’est perdue

En dehors des amputations et des désarticulations, Larrey s’intéresse aussi aux appareils pour extraction de balles et aux aiguilles pour suture. N’est-ce pas un gage de rapidité que d’avoir des instruments chirurgicaux adaptés ? Mieux vaut être un virtuose du scalpel, au moins par humanité pour les patients.

Joseph Gensoul réalise en 1827 une amputation de la mâchoire supérieure pour une tumeur cancéreuse, résection qui ne lui prend que 8 minutes.

Si faire vite abrège passagèrement les souffrances, la notion de propreté qui existe dans la médecine antique s’est perdue au cours du Moyen Âge. Au milieu du XIXe siècle, on opère en redingote avec la longue barbe de rigueur pour un chirurgien, parfois dehors, dans une cour, à l’ombre des arbres, au milieu d’un cercle solennel d’assistants, sans garrot, sans lavage des plaies, sans anesthésie, l’hémostase étant assurée par de la poix bouillante (résine).

Pour la chirurgie abdominale, il faudra attendre la deuxième moitié du XIXe siècle, avec l’utilisation de l’éther et du protoxyde d’azote (gaz hilarant), pour se risquer à ouvrir un ventre jusque-là trop douloureux sans anesthésie efficace. Même s’il travaille encore très vite, le chirurgien perdra peu à peu sa réputation de boucher, grâce à l’anesthésie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Marc Magro

 

[Ce texte est extrait de Sous l’oeil d’hippocrate. Petites histoires de la médecine, de la préhistoire à nos jours, de Marc Magro, éditions First Histoire.]