A Angoulême, un médecin généraliste a été convoqué par le procureur pour ne pas avoir collaboré à une enquête. On lui a demandé de confirmer qu’un de ses patients était bien dans son cabinet à un moment donné. Le praticien a invoqué le secret médical. Le procureur l’a accusé de faire obstruction à la justice.
Quand commence le secret médical ? Et comment collaborer à une instruction judiciaire sans le trahir ? C’est précisément la question qui s’est posée la semaine dernière pour le Dr Daniel Burroughs. Ce généraliste d’Angoulême a reçu un rappel à la loi et une convocation chez le procureur après qu’il ait refusé de collaborer à une enquête de police. Le médecin, appuyé par le Conseil de l’Ordre, a invoqué le secret médical, ce qui a agacé le procureur, "On a fait obstruction à une enquête", clame-t-il.
Tout commence le 17 février dernier. Le généraliste reçoit une réquisition à la personne : il doit se présenter devant un enquêteur pour indiquer si un suspect était bien à son cabinet tel jour à telle heure, comme il l’affirme, et non sur une scène de crime.
"Le code de procédure pénale est clair"
Naturellement, le praticien se tourne vers le conseil départemental de l’Ordre, et son président le docteur Michel Bacquart. "J’ai indiqué au docteur Burroughs qu’il ne devait pas répondre que cela relevait du secret médical", se souvient le médecin. Il conseille à son confrère d’envoyer un courrier, disant qu’il se présenterait à la réquisition mais qu’il ne répondrait pas aux questions des enquêteurs. Ce que le généraliste a fait. "C’est la procédure habituelle, explique le président du Cdom. Et très souvent les policiers ou gendarmes m’appellent furieux. Mais c’est comme ça, c’est la loi !"
Mais quelques jours plus tard, le Dr Michel Bacquart reçoit un courrier du procureur demandant des explications. Le généraliste réquisitionné, lui, reçoit également un rappel à la loi et une convocation dans le bureau du procureur. "La loi nous la connaissons, s’insurge le Dr Bacquart, le code de procédure pénale est clair : chacun doit répondre aux demandes de la justice sauf dans certaines exceptions. Et le secret médical en fait bien partie !"
Un argument qui ne prend pas auprès du procureur d’Angoulême, Patrice Camberou. "Où va-t-on en refusant de donner à la justice un simple renseignement basique ? On n’a pas demandé pourquoi cette personne consultait, ou de quelle affection elle souffrait, mais juste si elle était présente au cabinet ou non." Pour l’homme de loi, il n’y a pas secret médical, dans la mesure où il s’agit juste de savoir si un homme était présent ou non au cabinet.
Empêcher la justice de travailler
"Bien sûr que le secret médical commence dès qu’une personne franchit la porte du cabinet, précise le Dr Bacquart, appuyé par le conseil national de l’Ordre. Le simple fait de savoir que quelqu’un consulte, c’est déjà de l’ordre du secret médical ! C’est la base de notre métier. C’est là-dessus que repose toute la confiance entre le patient et son médecin. Il faut le respecter."
Quant au fait d’être accusé d’empêcher la justice de travailler, là encore, le président du Cdom s’énerve. "On peut dire que c’est à cause du secret médical que tous les voyous sont en liberté ! Il faut arrêter. En tant que médecins, nous obéissons à des règles de déontologie qui sont strictes et précises. Tout ce que le médecin a vu, lu ou entendu relève du secret professionnel."
Le médecin rappelle également que la justice peut, si l’affaire le nécessite demander une perquisition au cabinet pour récupérer des documents. "On est d’accord pour assister la justice, indique-t-il.Mais cela doit se faire dans un certain cadre."
Le dialogue est rompu
"Si la personne ne veut pas nous renseigner, on peut utiliser la manière forte, demander une perquisition, en présence d’un représentant de l’ordre puis la saisie", répond le procureur. Mais ce qui l’inquiète, c’est le manque de "civisme" des médecins. "Moi je m’étonne, s’il s’agit d’une affaire grave, de viol ou de crime, est-ce que l’on doit protéger le secret médical ? Je ne suis pas sûr que les concitoyens accepteraient ça !" Il ajoute : "On a dit pendant des années que l’Eglise était un monde fermé, qu’il y avait un respect absolu pour le secret des prêtres. Mais la justice a quand-même réussi à passer outre le secret ecclésiastique. Est-ce que cela doit-être pareil pour les médecins ?"
Entre les deux parties, le dialogue est rompu. D’autant qu’à Angoulême la justice s’affronte déjà avec les médecins au sujet des réquisitions pour les gardes à vue. Pour Patrice Cambérou, cette affaire montre la volonté de l’Ordre de "régler ses comptes" en montant une banale affaire en scandale. Le Dr Michel Bacquart, de son côté, assure que le procureur a voulu "faire un exemple", même s’il s’en est pris à l’un des rares médecins d’Angoulême qui accepte volontiers les réquisitions de garde à vue. Quant à l’enquête pour laquelle le Dr Burroughs était convoqué, elle a suivi son cours… Sans l’aide du médecin.
L’avis du président éthique et déontologie du Cnom
Le procureur de la République d’Angoulême, affirme qu’il n’a pas demandé au Dr Burroughs de trahir le secret médical. Qu’en pensez-vous ?
Dr Jean-Marie Faroudja : Dans ce cadre-là, le médecin n’a pas à dire que Mr XX était bien dans sa salle d’attente à ce moment-là. La présence d’un patient dans une salle d’attente relève déjà du dossier médical, car c’est déjà qu’il y a un problème médical. Rien n’empêche les autorités de justice, si elles le jugent opportun, de demander une commission rogatoire et de venir saisir le dossier médical du médecin. Cela doit se faire en présence d’un membre du Conseil de l’Ordre, qui va vérifier que le secret est conservé et que personne ne va fouiller dans le dossier. Le médecin n’a lui aucune information à donner.
Que répondez-vous à ce procureur pour qui l’invocation du secret médical fait obstruction à la justice ?
Si on n’invoque pas le secret médical en toutes circonstances, il en est fini de ce secret qui établit le contrat de confiance entre un patient et son médecin. Le patient peut venir dire tout ce qu’il veut à son médecin, il doit être assuré que rien ne sortira. D’ailleurs, on dit bien que le secret médical couvre tout ce qui est porté à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession. C’est donc extrêmement large.
Mais si un procureur a besoin d’une information dans une affaire de justice, rien ne l’empêche de faire une commission rogatoire. C’est plus vite-fait de téléphoner au médecin directement, mais le médecin n’a pas à répondre. Ce n’est pas une obstruction à la justice. C’est pour conserver les fondements même de la relation médecin-patient et du secret médical qui est général et absolu.
Je comprends qu’ils cherchent à faire au plus rapide. Maisnous ne pouvons pas aller outre nos principes qui sont le fondement même de notre déontologie.
Source : www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu