Le premier patient à avoir bénéficié d’une greffe de coeur artificiel est décédé hier, un peu plus de deux mois après l’implantation. Pour l’inventeur de cette bioprothèse, le Pr Alain Carpentier, cette première mondiale témoignait de 20 ans de recherches et de ténacité. Retour sur le parcours de celui qui est considéré par la communauté internationale comme le “père” de la chirurgie valvulaire moderne.

 

La récente implantation, le 18 décembre 2013, du coeur artificiel Carmat par des chirurgiens de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Hegp) à Paris sur un homme de 75 ans a fait beaucoup parler de son créateur, le Pr Alain Carpentier. Il est vrai que l’exploit est de taille, et concevoir un tel coeur totalement artificiel est particulièrement spectaculaire. Toutefois, le parcours de l’homme est probablement tout aussi étonnant, car la vie d’Alain Carpentier, aujourd’hui âgé de 80 ans, est tout entière marquée par l’audace et la détermination. Avec tout au long de sa trajectoire professionnelle une “vraie route”, le désir d’allier médecine et recherche, de réparer le coeur en respectant la biocompatibilité.

 

Première bioprothèse d’origine porcine implantée en 1968

Dès le début de sa carrière, le jeune chirurgien, qui a été nommé à l’internat de Paris en 1961, s’intéresse aux bioprothèses valvulaires, “un sujet qui ne préoccupait personne à l’époque”, précise le Pr Gilles Dreyfus, qui a travaillé avec lui une quinzaine d’années à l’hôpital Broussais à Paris et dirige aujourd’hui le Centre cardio-thoracique de Monaco. En 1967, Alain Carpentier découvre ainsi que l’action du glutaraldéhyde atténue l’antigénicité des greffes et développe, grâce à ce moyen chimique et en collaboration avec sa femme, Sophie, docteur en chimie, des bioprothèses d’origine porcine, dont la première sera implantée chez l’homme en 1968. Un énorme progrès, car cela supprime l’obligation pour les patients de prendre un traitement anticoagulant.

Puis Alain Carpentier développe dès 1969 les techniques de réparation de la valve mitrale, sur anneau prothétique, qu’il décrit dans un article dénommé “The French Correction”, peut-être pour faire pendant à la célèbre “French Connection”. Une réparation mitrale qui a eu du mal à s’imposer au départ, “mais qui participera à sa notoriété aux États- Unis”, explique le créateur de la Chaîne de l’espoir, le Pr Alain Deloche, qui a longtemps travaillé sous la direction d’Alain Carpentier à l’hôpital Broussais et qui est aussi son ami.

Alain Carpentier proposera aussi le premier pontage coronarien avec une artère radiale en 1972 et sera le premier chirurgien cardiaque à opérer par vidéochirurgie et mini-abord en 1996, avant d’intervenir à coeur ouvert, assisté du robot Da Vinci en 1998.

 

“L’homme est un trouveur, il fourmille d’idée”

En fait, son seul véritable échec est peut-être la cardiomyoplastie, technique qu’il a expérimentée dès 1985 chez un patient et qui consiste à transplanter le muscle dorsal sur le ventricule gauche pour aider à sa contraction. “L’homme est un trouveur, il fourmille d’idées, déclare, admiratif, Alain Deloche. Et a toujours associé clinique et recherche.” Ce qui lui a valu, “fait unique pour un barbier”, d’être nommé à l’Académie des sciences en 2000 avant de la présider en 2011. “Sa démarche est très axée sur le biologique, sur le maintien d’une biocompatibilité, avec des valves comme avec un coeur artificiel”, insiste Alain Deloche.

Alain Carpentier est aujourd’hui reconnu en France. Cela n’a pas toujours été le cas. Faute de trouver des industriels français intéressés dans notre pays, c’est aux États-Unis qu’il a dû développer ses bioprothèses. Ce qui semble l’avoir, à l’époque, affecté.

Toute sa carrière, Alain Carpentier est demeuré en rivalité avec le Pr Christian Cabrol, le chirurgien qui a réalisé la première transplantation cardiaque en Europe à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris le 27 avril 1968, après la première entreprise au Cap le 3 décembre 1967 par le Pr Christiaan Barnard. Mais des rencontres semblent avoir eu dans sa vie un rôle notable. Celle, aux États Unis, avec l’ingénieur Lowell Edwards débouchera sur la mise au point des fameuses valves bioprothétiques Carpentier-Edwards, à base de péricarde et montées sur armature métallique, dont de petites soeurs sont encore utilisées aujourd’hui pour le remplacement valvulaire aortique percutané.

“Père” des bioprothèses, Alain Carpentier deviendra par ailleurs un proche du “père” des prothèses mécaniques, l’Américain Albert Starr, né en 1926, qui a implanté, avec le concours de Lowell Edwards en 1960, la première valve cardiaque artificielle.

Quant au développement du coeur artificiel, elle doit beaucoup, du moins Alain Carpentier l’affirme-t-il publiquement, à Jean-Luc Lagardère. “Les deux hommes, tous les deux charimastiques, avaient tout pour bien fonctionner ensemble, ce d’autant que Jean-Luc Lagardère a toujours été passionné de technologie”, indique Marc Grimmé, directeur technique de la société Carmat.

 

“L’idée était que le premier homme avec un coeur artificiel prenne l’Airbus A380”

En fait, le patron de Matra désirait associer le projet de développement du futur Airbus A380 du consortium européen Eads, couronnement de sa carrière, à celui du coeur artificiel imaginé par Alain Carpentier pour combattre “les décès illégitimes des patients insuffisants cardiaques ne pouvant être greffés”. “L’idée était que le premier homme avec un coeur artificiel prenne l’Airbus A380”, précise Marc Grimmé. Le développement de cette “bioprothèse”, très ambitieuse car apportant aussi une fonction ventriculaire, allait finalement prendre plus de temps que le programme aéronautique, du fait de la complexité des recherches techniques.

Cependant, deux décennies après le dépôt d’un premier brevet en 1988 par Alain Carpentier, un coeur artificiel totalement implantable allait, grâce à l’alliance avec le groupe Matra en 1993, voir le jour en 2008. La même année était fondée la société Carmat, tout entièrement consacrée à ce projet et dont Alain Carpentier est le directeur scientifique. Cinq ans plus tard, après de multiples essais chez des génisses, le cap de la première implantation chez l’homme était franchi avec succès.

Quel genre d’homme est-il ? Assurément un gros travailleur. Pour Alain Carpentier, les nuits sont courtes, les déjeuners se font sur le pouce, les dimanches n’existent pas, mentionnent ses proches, qui parlent pour certains de “sacerdoce”. Une force de volonté, une ténacité, une certaine austérité qui a peut-être affaire avec des origines protestantes.

 

Prix Nobel de médecine ?

Alain Carpentier, c’est aussi “un homme qui va toujours au fond des choses et qui a des capacités intellectuelles hors normes”, s’accordent à dire les personnes qui ont travaillé avec lui. Marc Grimmé n’hésite pas à parler de “génie mécanique” et admet “avoir été bluffé par sa capacité de conceptualiser des solutions techniques en trois dimensions, ce qui a dû l’aider pour imaginer la reconstruction de la valve mitrale”.

Sur le plan du caractère, que dire ? L’homme n’est pas commode, même s’il se serait adouci ces dernières années, et peut être exigeant avec ses collaborateurs. “Mais il répond toujours présent quand on a des ennuis”, explique Alain Deloche, qui l’a d’ailleurs appelé durant l’été 2013 pour lui demander conseil lorsqu’il a dû subir un pontage coronarien.

Alain Carpentier est un homme plutôt réservé. Cependant, il aime être reconnu par les médias, même s’il collabore parfois avec réticence avec eux. Il aurait, selon certains, postulé pour le prix Nobel de médecine, un prix qui semble mérité pour beaucoup de cardiologues. Certains chirurgiens qui ont collaboré avec lui lui reconnaissent, avant tout, en dehors de son talent, des qualités de fond comme la franchise, la droiture. Pour Gilles Dreyfus, qui avoue pourtant avoir eu des conflits avec lui, “c’est au final une des personnalités les plus attachantes parmi les grands noms de la chirurgie cardiaque”.

 

Première implantation du cœur artificiel : le malade décède deux mois après

Le malade de 76 ans qui avait bénéficié de la première implantation d’un cœur artificiel Carmat est décédé dimanche, soixante-quinze jours après avoir reçu cette prothèse cardiaque. L’Hôpital européen Georges-Pompidou, a rendu hommage à ce patient en fin de vie qui “pleinement conscient de l’enjeu, a, par sa confiance, son courage et sa volonté, apporté une contribution mémorable aux efforts engagés par les médecins pour lutter contre une maladie en pleine évolution”.

Souffrant d’insuffisance cardiaque terminale, le patient dont l’identité n’a pas été rendue publique, avait été choisi pour recevoir le premier cœur artificiel autonome Carmat. Dans son communiqué, l’hôpital Georges Pompidou relève que les causes du décès du patient de 76 ans “ne pourront être connues qu’après l’analyse approfondie des nombreuses données médicales et techniques enregistrées”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Corinne Tutin