Pratiquement tombée en désuétude, l’autopsie médico-scientifique reste nécessaire pour l’évaluation de la qualité des soins et pour la recherche.
Autrefois sources d’enseignement et d’amélioration des pratiques, les autopsies médico-scientifiques sont devenues exceptionnelles en France, concentrées dans quelques CHU qui répondent aux demandes des hôpitaux environnants. “En Île-de-France, seuls les hôpitaux Raymond-Poincaré (Garches, 92), et La Pitié-Salpêtrière (Paris) continuent à en faire régulièrement”, constate le Pr Charles Duyckaerts, chef de service de neuropathologie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Dans son service sont réalisées des autopsies pour tous les hôpitaux de Paris, y compris hors AP-HP, soit environ cent soixante autopsies par an. “Mais comme un nombre croissant de salles d’autopsie ferment, nous recevons de nouvelles demandes, et je pense que nous allons atteindre deux cents autopsies par an”, note-t-il.
1 autopsie pour 1000 décès
À l’hôpital Raymond-Poincaré, environ soixante autopsies médicales sont pratiquées chaque année, “en majorité des autopsies d’enfants, souvent pour des morts inattendues du nourrisson ou pour répondre aux demandes de services de réanimation pédiatrique, précise le Pr Geoffroy Lorin de la Grandmaison, chef du service d’anatomie pathologique et de médecine légale. Pour les autopsies pédiatriques, il y a encore un centre à l’hôpital Trousseau, qui réalise entre dix et vingt autopsies par an. Par ailleurs, certains hôpitaux de l’AP-HP maintiennent une activité marginale, comme l’Hegp, qui réalise une dizaine d’autopsies par an (18 en 2013).”
Cette pratique post mortem apparaît donc tout à fait minime par comparaison aux 530 000 décès annuels. En 2011 a été dénombrée 0,11 autopsie pour 100 décès, soit à peine plus de 1 pour 1 000, déplorait le Pr Jean-Jacques Hauw devant l’Académie de médecine, le 14 janvier 2014. Pourtant, en 1996, des autopsies médicales étaient encore réalisées en moyenne chez 16 % des malades décédés dans les établissements de l’Assistance publique (Potet F. Ann Pathol 1996). Mais des circulaires imposant de nouvelles normes pour les salles d’autopsie ont donné un coup d’arrêt à cette activité dans de nombreux établissements. La plupart des hôpitaux ont jugé que les frais à engager pour une remise aux normes étaient disproportionnés en regard du nombre d’autopsies, déjà en forte baisse. “Cela a conduit à fermer les salles et à concentrer les autopsies sur quelques établissements, explique le Pr Lorin de la Grandmaison. Avant, les internes en anatomopathologie était sensibilisés à la pratique des autopsies, parce que dans chaque service il y avait des salles d’autopsie. Actuellement, de nombreux internes n’ont jamais assisté à une autopsie. Cela pose un réel problème de transmission du savoir.”
“L’autopsie est sortie des moeurs, observe le Pr Duyckaerts. Elle est considérée comme un acte extrêmement invasif, sur le plan symbolique.” Certains praticiens peuvent être retenus également par la crainte que l’autopsie médicale se transforme en autopsie médico-légale et soulève des problèmes de responsabilité médicale. Même dans le cas des morts subites, l’autopsie reste rare, bien qu’elle puisse avoir parfois des implications pratiques considérables pour les familles, en permettant d’identifier des causes de mort subite héréditaires.
Une étude rétrospective menée dans la région lilloise, sur la période 2005-2006, indique des taux de 1,06 à 1,73 autopsie médicale pour 1 000 morts subites à l’hôpital et de 0 à 0,43 pour 1 000 morts subites hors de l’hôpital (Delanoy Y, et al. Santé publique 2013). Le déclin des autopsies se retrouve dans tous les pays, même s’il est parfois moins prononcé. Selon une étude des Centers of Disease Control (CDC), la proportion de décès suivis d’autopsie aux États-Unis est restée stable entre les années 1950 et 1970, puis a diminué régulièrement, passant de 19,3% en 1972 à 8,5% en 2007.
Un désintérêt médical
La charge de travail que représente une autopsie n’a pas été sans influence sur cette évolution. Une autopsie complète requiert généralement deux heures et demi, et parfois une matinée entière, sans compter le temps de rédaction du rapport et celui consacré à l’étude microscopique complémentaire à l’autopsie. “C’est beaucoup pour les anatomopathologistes, qui se sentent débordés face aux demandes croissantes d’analyse de pièces chirurgicales et de biopsie”, note le Pr Lorin de la Grandmaison, tandis que le Pr Duyckaerts déclare “ressentir durement le manque d’effectifs dans son service”.
Cependant, la cause principale de la baisse des autopsies n’est pas une question d’effectifs mais bien un désintérêt médical. Le développement de l’imagerie et de la biologie a joué un rôle majeur, en donnant aux médecins le sentiment de pouvoir connaître de manière précise les atteintes organiques du vivant du malade.
Ont-ils raison ? Pas toujours, car malgré les progrès de l’imagerie les autopsies, lorsqu’elles sont réalisées, révèlent aux alentours de 20 % d’erreurs sur les causes de la mort. Ainsi l’analyse rétrospective des quatre-vingt-six autopsies réalisées chez des patients décédés d’un cancer entre 1999 et 2005 dans une unité de soins intensifs d’un grand hôpital new-yorkais indique que, dans 26 % des cas, les diagnostics clinique et post mortem étaient contradictoires (Pastores SM. Cri Care 2007). Ces discordances étaient liées essentiellement à des infections opportunistes ou à des complications cardiopulmonaires non diagnostiquées.
Une revue systématique de la littérature entre 1966 et 2002 montre que le taux de discordances a eu tendance à diminuer, mais qu’il persiste néanmoins un risque d’erreurs majeures de 8 à 24% (Shojania KG. Jama 2003). “À l’hôpital, où l’on insiste beaucoup sur les revues de morbi-mortalité, on pourrait s’attendre à ce que les autopsies soient plus fréquentes, en particulier en cas de décès inattendus, remarque le Pr Lorin de la Grandmaison. Mais certains cliniciens considèrent qu’il s’agit un examen archaïque, reculent devant la lourdeur des obligations administratives (visa du directeur de l’hôpital, interrogation du registre des refus…) ou craignent de formuler la demande d’autopsie à la famille. Pourtant, la confrontation anatomoclinique est utile. Il est important que les résultats d’autopsie soient discutés lors de staffs ou des revues de morbimortalité pour voir si des erreurs auraient pu être évitées.”
“Certains cliniciens considèrent qu’il s’agit un examen archaïque”
L’autopsie scientifique est, quant à elle, une source d’échantillons indispensable pour la recherche, en particulier neurologique. “Si l’on prend l’histoire récente, le peptide bêta-amyloïde de la maladie d’Alzheimer a été identifié grâce aux recherches menées sur des échantillons autopsiques, cite le Pr Duyckaerts. Il en est de même pour toutes les maladies liées à l’accumulation de protéines tau dans les neurones, comme la paralysie supranucléaire progressive ou la dégénérescence cortico-basale. La protéine qui s’accumule dans la maladie de Parkinson, la synucléine, a d’abord été identifiée par la recherche fondamentale, puis incriminée dans la maladie de Parkinson par la recherche génétique et, enfin, décelée à l’intérieur des corps de Lewy grâce aux autopsies. Il faut qu’il y ait un terreau qui comporte la génétique, la recherche fondamentale et l’autopsie pour analyser les tissus humains. Par exemple, l’anomalie en cause dans les ataxies cérébelleuses par expansion de triplet, gros chapitre de la pathologie génétique, a été découverte grâce à des recherches sur les animaux transgéniques, mais ce sont les autopsies qui ont permis de confirmer qu’elle était responsable de la maladie chez l’homme. Il en a été de même pour la maladie de Huntington.”
Un réseau national pour le don de cerveau pour la recherche a été mis en place, en 2006, le GIE neuro-CEB (groupement d’intérêt économique pour la collection d’échantillons biologiques à visée de recherche neurologique), financé en très grande partie par des associations de patients. Le consentement est recueilli prémortem auprès du patient ou des familles. Quand le patient meurt, son corps est transporté dans le CHU le plus proche, et le cerveau est prélevé par un neuropathologiste. Une moitié est examinée pour le diagnostic, l’autre moitié est congelée et transférée à la plateforme des ressources biologiques à La Salpêtrière. Les chercheurs qui souhaitent obtenir des échantillons adressent à la neuro-CEB leur projet de recherche, qui est examiné par un comité scientifique. “Malheureusement, le coût est élevé, constate le Pr Duyckaerts, administrateur du réseau. Prélever un encéphale, le conditionner, assurer le transport coûte 3 000 euros. Nous avons un quota : quinze cerveaux pour la maladie d’Alzheimer, quinze pour la maladie de Parkinson, trente payés par France Alzheimer. Le reste n’est pas contingenté.”
Ces prélèvements sont-ils suffisants ? “Oui, pour certaines pathologies, mais non pour d’autres, estime le Pr Duyckaerts. La maladie de Parkinson, par exemple, touche une région très petite du cerveau, la substantia nigra. Au bout de trois ou quatre demandes d’échantillon, le cerveau est devenu inutilisable pour ces recherches. Nous manquons également de cerveaux sains, indispensables pour servir de contrôle. Nous en prélevons trois ou quatre par an. Pourtant, nous avons une grande quantité de consentements. Mais ces sujets meurent peu. C’est un travail de longue haleine. Aux États-Unis, ils ont mis sur pied des systèmes beaucoup plus efficaces que le nôtre.”
“Il faut qu’à un moment donné le chercheur se tourne vers le tissu humain”
Pour le Pr Duyckaerts, le déficit de recherches sur le tissu cérébral est lié aux difficultés de financement mais aussi au manque de sensibilisation du public et des chercheurs. “Il faut qu’à un moment donné le chercheur se tourne vers le tissu humain. Mais c’est plus difficile, car on est toujours dans des approximations : les maladies d’Alzheimer pures sont rares, les conditions de conservation n’ont pas été idéales… Les chercheurs sont naturellement attirés vers des systèmes plus simples, comme les animaux transgéniques. Il faut les convaincre de l’importance des recherches sur les tissus humains. Les publications neuropathologiques de grande envergure ont toujours une importance cruciale dans la littérature. Par exemple, Acta pathologica, la grande revue d’anatomopathologie, a un des facteurs d’impact les plus élevés en neurologie. Les publications neuropathologiques sur la maladie d’Alzheimer conditionnent les études ultérieures.”
Il n’est pas inutile de rappeler que c’est “l’étude des nonnes”, menée aux États-Unis auprès de religieuses qui avaient accepté de donner leur cerveau pour la recherche, qui a fourni les bases pour établir la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer. “Le nombre d’autopsies n’a pas besoin d’augmenter de manière exponentielle, conclut le Pr Duyckaerts. Mais il faut qu’elles soient bien faites, dans des centres spécialisés et avec le personnel adéquat. Surtout, autour de ces centres, il faut que se construisent des recherches translationnelles.”
Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot