Face à son succès persistant, il nous a paru intéressant de comprendre le contexte historique et culturel de la création de l’ostéopathie par Andrew Taylor Still, à Baldwin, une petite ville du Kansas, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Nous voulions comprendre les facteurs qui ont contribué, dans la période d’implantation des pionniers américains sur les nouveaux territoires de l’Ouest, à l’émergence d’une théorie sur la maladie qui pousse ses prolongements jusqu’à notre époque.

 

[…] C’est en 1837 que le pasteur Abram Still a été envoyé, depuis le Tennessee où il résidait, et où Andrew est né, comme missionnaire méthodiste chez les Indiens du comté de Macon, dans le Missouri. Anti-esclavagiste, il ne pourra pas s’entendre avec les autres pasteurs méthodistes de la Shawnee methodist mission qui eux ne l’étaient pas. L’un d’entre eux sera assassiné ultérieurement. Il décide donc de partir au Kansas dans un lieu isolé dénommé “Montagne bleue” (en français encore actuellement) où il construit un logement et une école.

 

Passion pour la dissection des écureils

C’est là que grandiront Andrew Taylor Still et sa famille. C’est là aussi que le jeune Still se passionnera pour la dissection des écureuils et l’étude de leur squelette. Il ne suivra aucune formation à caractère médical. Le poids de la famille Still restera considérable et, après l’avoir rejeté à cause de son projet d’ostéopathie qu’ils considéraient comme insensé, ses frères le rejoindront. Ils deviendront, eux aussi, ostéopathes et contribueront activement au développement de l’école d’ostéopathie de Kirksville (Missouri) et à la propagation des idées de leur frère. Madame Still (mother Still), sa femme, elle-même, tiendra une place importante aux côtés du “bon vieux docteur” et bénéficiera d’une grande vénération de la part des élèves et patients de son mari.

Quand on étudie la vie et les ouvrages de Still,1 on est frappé par la présence constante d’ossements qu’il se procurait dans les cimetières indiens. Il est volontiers photographié, un fémur, un bassin, ou une colonne vertébrale à la main. Il les utilisait pour démontrer, de façon concrète, les mécanismes des déplacements osseux qui expliquent, selon lui, les phénomènes pathologiques. C’est probablement cette pratique autour des ossements qui lui a inspiré le terme d’ostéopathie à partir d’avril 1855.1 Cette symbolique de l’os sera conservée jusqu’à maintenant par les chiropracteurs qui apparaissent comme une branche de l’ostéopathie, dans leur emblème constitué d’un squelette de bassin surmonté d’une colonne vertébrale. Il se continuera à travers un authentique culte vertébral perpétré en Europe, et notamment en France, par certains médecins8, 9 et par d’autres professionnels de la santé.

 

Il considérait qu’entre Hippocrate et lui, il n’y avait personne !

Il n’est pas toujours facile de cerner le contenu théorique de l’ostéopathie. A.T. Still, passionné par les aspects physiopathologiques, était persuadé que lui seul était capable de comprendre et d’expliquer la survenue des phénomènes pathologiques. Il considérait d’ailleurs qu’entre Hippocrate et lui, il n’y avait personne !

Still a exposé ses idées dans son livre autobiographique History of the discovery and development of the science of osteopathy publié en 1897.1 La théorie est simple et peut se résumer au fait que l’existence d’un “dérangement” mécanique de l’organisme humain est à l’origine de tous les phénomènes pathologiques, et que seul l’ostéopathe a le pouvoir de le corriger.

A.T. Still décrit, dans son ouvrage, ce qu’il appelle “le premier traitement ostéopathique” qu’il a appliqué sur lui-même, ce sera la “first lesson of osteopathy”. Adolescent, alors qu’il venait de faire une chute brutale, il ressentit une vive douleur à la tête. Il s’allongea sur le sol et, glissant une corde recouverte d’un linge sous son cou, à 10 ou 15 cm du sol, il utilisa l’ensemble de ce dispositif à la manière d’un oreiller oscillant (swinging pilow). Son mal de tête s’évanouit ainsi que les douleurs gastriques qui l’accompagnaient et il put s’endormir. Après cette première expérience, il a continué à utiliser cette technique chaque fois qu’il en ressentait le besoin, pendant 20 ans, précise-t-il. Selon une habitude qui est très marquée chez lui, il a cherché une explication logique et mécaniste. Il agissait ainsi sur les “grands nerfs occipitaux et harmonisait le flux entre les courants veineux et artériels”.

Un autre principe de Still1 est “The rule of the artery must be universal and unobstructed, or disease will be the result.” La traduction exacte nous semble difficile. Still a choisi, pour support physiopathologique, la structure du corps humain. Une attention particulière est portée à l’axe autour duquel, ou sur lequel, est fixé le reste du corps humain : la colonne vertébrale. Cette dernière, dans la pensée de Still, détient “la clé de la bonne santé”.

 

“Ajustement mécanique”

Il appelle curieusement ce principe : “la règle de l’artère”. Il estime que les états pathologiques apparaissent chaque fois qu’il y a un “dérangement vertébral”. La réponse de Still est très simple : il convient de remettre en place chaque pièce de la colonne vertébrale déplacée par un “ajustement” mécanique effectué par les mains de l’ostéopathe. Ce dernier est alors, au sens littéral, un “hands on doctor”.1, 4, 5

Cela sera repris par Palmer, épicier et magnétiseur, qui viendra se faire soigner par les frères Still et copiera leurs méthodes en créant la chiropraxie.

 

Source :
www.egora.fr

Auteur : Claude Hamonet

 

Retrouvez cet article La fondation de l’ostéopathie par Andrew Taylor Still dans les dossiers “Histoire de la médecine” de La Revue du Praticien, sur www.larevuedupraticien.fr, sous la rubrique “XIXe s”.