Doc Gomi est un médecin généraliste en secteur 1 installé depuis dix ans en groupe à Ploufragan, en Bretagne. Il est également blogueur (blog http://dr-gomi.blog4ever.com). Le praticien a réfléchi sur la cause de non installation des jeunes diplômés. Selon lui, s’ils ne s’installent pas, c’est parce qu’il devient impossible de payer les charges d’un cabinet avec un tarif de consultation de 23 euros. En 1996, il fallait 699 consultations annuelles pour les payer, en 2013 il en faut 1 124.

 

Depuis bientôt une dizaine d’années, les jeunes médecins ont une furieuse tendance à ne plus s’installer en médecine libérale et, quand ils le font, c’est tardivement. De multiples expertises ont donné lieu à des milliers d’heures de réunions et de tergiversations, qui ont abouti à des mesures inefficaces. Je souhaitais amener une pierre à l’édifice, bien plus pragmatique et compréhensible, même si tout ce qui a été dit sur le sujet n’est pas inexact.

Un cabinet médical de groupe est une petite entreprise dont le chiffre d’affaire sert à payer les médecins, mais aussi les charges. A l’occasion de la nouvelle année, nous avons donc ressorti les chiffres de 1996, première année d’installation d’un collègue installé avant moi.

 

11 891 € de charges en 1996, 25 850 en 2013

Les charges de cabinet pour ce qui concerne mon groupe sont réparties entre 4 médecins et un dentiste, et servent à payer l’outil de travail : les salaires des deux secrétaires, les charges Urssaf, le téléphone, l’électricité, l’eau, le chauffage, l’entretien du bâtiment… Il n’y a pas eu d’événement majeur sur le plan de ces charges : pas d’emprunt, ni de gros travaux, nous sommes donc sur un "périmètre équivalent".

Ces charges représentent "le cout de la vie de l’entreprise", avec une part "cout de la vie normale" si l’on peut dire (eau, téléphone….) et une part spécifique à l’entreprise libérale (charge sur les salaires, taxes…). En 1996, chaque professionnel a versé l’équivalent de 11 891 euros avec une consultation à 17 euros (110 francs). En 2013, chaque professionnel a versé 25 850 euros avec une consultation à 23 euros. Notez bien qu’il n’y a pas de bénéfice, les charges réparties entre nous ne servent qu’à faire fonctionner l’outil, et le solde final reste à zéro : le différentiel représente bien uniquement l’évolution du cout de "la vie d’un cabinet médical de groupe".

En 1996 il fallait donc 699 consultations pour payer les charges de fonctionnement annuelles, soit 175 heures de travail (avec une consultation à 15 minutes) et donc 3,5 semaines à 50 heures. En 2013 il a fallu 1 124 consultations pour payer ces charges, soit 281 heures de travail ou encore 5,6 semaines de travail à 50 heures, soit un temps 60% supérieur à celui de 1996.

A combien devrait être la consultation pour que l’outil de travail "plébiscité par tous" coute le même temps de travail qu’en 1996 ? 37 euros, ce qui correspond au tarif européen moyen de consultation. (NB : Pour ceux qui sont fâchés avec la règle de trois : 25850/699 = 37 euros)

Notons aussi ici que les charges qui pèsent sur chacun de nous après le paiement de ces charges de groupe n’entrent pas dans le calcul (spéciale dédicace à la Carmf notre caisse de retraite). Inversement, des forfaits ont été mis en place, mais ils représentent moins de 5% du chiffre d’affaire et ne modifient donc pas globalement ce calcul, pour ce qui me concerne.

 

Les jeunes ont tout intérêt à rester remplaçant

Les retours sur twitter indiquent une très forte variabilité des forfaits, certains trouvent ces forfaits assez élevés, d’autres pas du tout (en particulier les médecins qui font beaucoup de pédiatrie et ont moins de patients inscrits puisque la pédiatrie n’entre pas dans le calcul). Le calcul par rapport à la rémunération à l’acte est de toute façon exact ; on peut considérer que les forfaits montent en puissance, personnellement ceux-ci ne compensent pas l’augmentation des charges de cabinet (et encore moins si on ajoute les charges personnelles Carmf, Urssaf perso…mais c’est un autre débat).

Mon propos était d’indiquer que l’environnement logistique dont le secrétariat n’est pas financièrement intéressant, bien au contraire, et devient un luxe : alors qu’il y a une trentaine d’années un médecin seul pouvait racheter une patientèle, des locaux, et se payer le confort d’un secrétariat temps plein, c’est aujourd’hui strictement inenvisageable, et cela devient compliqué, même en groupe et en partageant ces charges.

Les jeunes ont donc tout intérêt à rester remplaçants, puisqu’ ils sont payés au pourcentage du chiffre d’affaire qu’ils génèrent (80% de rétrocession fréquemment, contre généralement 50% à mon époque de remplaçant) et ne supportent pas ces charges, ni leur évolution.

Autre solution pour les jeunes : ne pas s’installer en groupe et ne pas prendre de secrétaires ; on voit là les limites du discours sur la nécessaire mise en place de cabinets de groupe multidisciplinaires… La solution passe donc par une prise en compte de la structure, (par un forfait structure), ou une remise à niveau "européen" du tarif de consultation.

Faute de quoi la disparition de la médecine générale ambulatoire reportera toujours plus gravement les soins vers un hôpital débordé et non adapté à la prise en charge de proximité dans la continuité (qui définit notre métier).

 

2 questions au Doc Gomi :

Pourquoi avoir écrit ce billet ?

Je travaille en cabinet de groupe, nous sommes 5 médecins. Chaque année nous réévaluons les charges du cabinet et nous réajustons le budget au cas où il manque des sous pour faire tourner la structure. Chaque année le comptable nous dit que cela ne suffit plus ! J’ai un collègue qui archive tout et qui avait encore les vieux chiffres de 1996. C’est lui qui m’a mis la puce à l’oreille et qui m’a donné envie de calculer combien coûtait l’outil de travail en 1996 et combien cela a couté cette année.

Dans les commentaires sur mon blog, un médecin raconte que lorsqu’il s’est installé il y a une trentaine d’année, la consultation était à 38 francs ! Ce qui est très intéressant, c’est qu’à l’époque, en tant que médecin installé seul, il avait de quoi payer une secrétaire et racheter des locaux. Aujourd’hui, prendre une secrétaire temps plein lorsque l’on exerce seul est quasiment inenvisageable. On est passé d’une situation où on pouvait se payer des locaux et un secrétaire seul à une situation où cela devient de plus en plus compliqué de le faire, même en groupe. Je voulais rendre cette évolution des charges pour les cabinets un peu plus visible. Et encore, je ne parle que des charges communes. Il y a aussi les charges perso comme l’Urssaf ou la Carmf qui suivent des pentes assez déconnante !

Quand dans votre billet vous dites qu’il faudrait une consultation à 37 euros, y croyez-vous ?

Je fais simplement le calcul. Lorsque le pain était en franc, la baguette était autour de 0,80. On est quasiment pareil aujourd’hui mais en euros. En tant que groupe médical, nous avons un panier d’achat qui a nettement plus augmenté que l’inflation, tandis que le C a certes évolué avec l’inflation mais pas autant que beaucoup d’autres services. Pour une réparation de télé, c’ est souvent 50 euros juste pour le déplacement. Nous c’est 33 euros, réparation comprise !

Je ne suis pas là pour donner des solutions. Est-ce qu’il faut augmenter l’acte ? Peut-être. Ne faut-il pas mettre un forfait de structure qui aiderait à payer le secrétariat ? Je n’ai pas de réponse mais je voulais faire le constat et faire partager mon calcul. Les autres médecins peuvent également faire le calcul, cela pourrait permettre de comparer…

 

Source :
www.egora.fr
http://dr-gomi.blog4ever.com/deserts-medicaux-et-non-instalation-des-jeunes-diplomes
Auteur : Doc Gomi