Jouer aux jeux vidéo ne rend pas seulement accro ! Depuis une dizaine d’années, les serious games veulent aussi faire de nous des êtres plus intelligents. Ils participent au traitement des malades er contribuent à l’éducation thérapeutique. Eclairage.

 

La machine installée dans la salle d’attente rappelle les grandes bornes de jeu vidéo d’antan. Une époque que n’ont pas connue les jeunes patients du service de radiologie pédiatrique du Kremlin-Bicêtre. Ils n’en sont pas moins absorbés par les chaleureuses aventures de leurs héros virtuels grâce auxquels ils découvrent, joystick en main, le secret de fonctionnement d’une IRM. Résultat : quand arrive le moment de l’examen, les petits sont beaucoup moins anxieux. “Et beaucoup plus enclins à accepter de rester immobile pendant une vingtaine de minutes”, partage le Pr Catherine Adambaum, chef de service. Bénéfices pour les patients et l’hôpital depuis l’installation, en septembre 2013, du serious game LudoMedic conçu par la jeune entreprise nordiste Cccp : moins de stress, moins de sédation médicamenteuse, moins de temps passé pour chaque examen… et donc au final plus d’IRM réalisées chaque jour. Ou comment un “jeu sérieux” peut fluidifier le parcours du patient…

 

Former les professionnels de santé

Petit à petit se dessinent les services que peuvent d’ores et déjà rendre les serious games, développés dans la très grande majorité par des start-up, en partenariat avec des laboratoires de recherche, des établissements de santé et les pouvoirs publics. “Il existe aujourd’hui quatre grands domaines d’application, égrène Jean-François Goglin, expert en système informatique auprès de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap). Le premier est dédié à la formation professionnelle.”

La plusvalue des serious games ? La possibilité de répéter à l’infini un même geste technique, sans avoir à immobiliser tout un plateau technique… et sans faire courir aucun risque aux patients. Un des titres les plus connus du marché, qui reste aujourd’hui encore très embryonnaire : SimUrgences, destiné à former des médecins à la prise en charge des patients en situation d’urgence cardiaque.

La deuxième utilisation des serious games est tournée vers le patient, avec des titres orientés sur l’éducation thérapeutique et l’éducation à la santé. Plusieurs studios de développement planchent actuellement sur des logiciels accessibles directement sur les tablettes numériques et les smartphones. L’enjeu pour un patient souffrant d’une pathologie chronique : poursuivre de chez lui l’apprentissage de sa vie avec la maladie, tout en disposant d’informations fiables et médicalement validées.

Troisième déclinaison des serious games, à l’instar de Ludo-Medic : faciliter l’hospitalisation en expliquant aux patients, de façon ludique et rigoureuse, les différentes étapes de prise en charge.

 

Eduquer, prévenir, rassurer… et soigner !

Dernier domaine d’application, enfin : “le soin proprement dit”. Il ne s’agit pas de remplacer stéthoscopes et médicaments par des cartouches de jeu et des mégabits. Mais de proposer des thérapeutiques complémentaires, essentiellement dans les soins de réadaptation et la neurologie. Le principe consiste à utiliser à plein les interactions à l’oeuvre entre un joueur, son corps, son cerveau et une console de jeu vidéo.

Ainsi, le jeu Hammer and Planks propose aux patients souffrant de troubles neuromusculaires de récupérer des facultés motrices via un système permettant de contrôler des objets sans manette de jeu, grâce à un dispositif de reconnaissance des mouvements. Le titre, inspiré des vertical shooters et développé par NaturalPad, en lien avec des laboratoires universitaires et le CHU de Montpellier, est aujourd’hui déployé dans près d’une demi-douzaine d’établissements. NaturalPad envisage aujourd’hui une commercialisation de son jeu vers les cabinets de masseurs-kinésithérapeutes, puis une diffusion directement auprès des patients.

Dans ce modèle de distribution, qui paie le titre, et qui rémunère le soignant amené, à distance, à surveiller les progrès de ses patients ? Aujourd’hui, la charge revient aux professionnels de santé et aux patients. Mais demain ? “Si le service rendu au patient est prouvé, peut-être l’assurance maladie remboursera-t-elle certains titres dans l’avenir ?”, imagine Laurent Michaud, de l’Idate. Les jeux vidéo bientôt inscrits dans le budget de la Sécurité sociale ?


 

Développer un serious game : une affaire d’équipe

Entretien avec le Pr Isabelle Laffont, responsable du département de médecine physique et de réadaptation, CHU de Montpellier, et chercheuse au sein du laboratoire Movement to Health, Euromov, université Montpellier-1.

Egora.fr : Quel est l’objet de vos recherches au sein du projet Moteur de jeux orientés santé (MoJOS), porté conjointement par le centre hospitalier de Montpellier, l’université Montpellier-1, l’Idate et DIDACT Systèmes/groupe GENIOUS.

Pr Isabelle Laffont : Nous cherchons, via les jeux vidéo, à développer de nouveaux outils propres aux thérapies par le mouvement afin d’aider des patients à récupérer en motricité. Notre postulat de départ est que les jeux vidéo “traditionnels” sont efficaces en l’état. En 2012, la Cochrane Library a publié une méta-analyse qui permet de penser que les systèmes permettant de contrôler des objets sans manette de jeu grâce à un dispositif de reconnaissance des mouvements peuvent d’ores et déjà apporter des résultats satisfaisants en matière de rééducation motrice. Trois facteurs explicatifs, notamment, sont avancés : le premier est d’ordre motivationnel. Les jeux vidéo, de par leur aspect ludique, favoriseraient l’engagement des patients. Le deuxième est lié à la plus grande répétition des mouvements : les patients peuvent en effet jouer à domicile, et pendant des séquences plus longues ou moins espacées. Troisième élément : les jeux vidéo, par leur aspect social, permettent des séances à plusieurs, et non pas seul.

Pourquoi développer des serious games spécifiques à certaines pathologies ? Et quelles sont, en termes de conception et de fonctionnement, les spécificités d’un “jeu sérieux” ?

Les jeux traditionnels ne prennent pas en compte les éventuelles incapacités cognitives ou musculaires des patients. Par exemple, les environnements et décors sont souvent trop riches pour permettre à un patient hémiplégique de rester concentré sur un objectif. Un serious game doit donc avoir un design adapté à son public. Les commandes du jeu doivent aussi être étudiées avec soin : nous utilisons parfois des tablettes graphiques, très sensibles au moindre effleurement, pour des patients qui ont très peu de mobilité.

Ensuite – et c’est là un élément très important–, le soignant doit avoir accès aux paramètres du jeu afin de modifier en direct ou à distance certaines difficultés du jeu. Dans cette même logique, nous imaginons des interfaces semi-automatiques : le jeu s’adapterait de lui-même au progrès ou à la fatigue du joueur. Il apparaît aussi indispensable qu’un serious game enregistre les performances des patients, de façon à disposer d’éléments d’évaluation. Enfin, il faut prévoir un système asymétrique, dans lequel les commandes répondent différemment, selon les capacités de chacun, dans l’idée qu’un joueur malade puisse collaborer ou se confronter à un joueur valide. Un serious game doit aussi rester convivial et ludique !


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Jérôme Narcy