Baisse des ventes de médicaments, déremboursements, vente de comprimés à l’unité ou encore tests de grossesse vendus en grandes surfaces, l’année 2014 s’annonce difficile pour les pharmaciens. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmacies d’officine et titulaire d’une pharmacie à Montélimar dresse pour Egora un état des lieux de la situation.



Egora.fr : Craignez-vous 2014 ?

Gilles Bonnefond : Oui. On voit bien que tout le monde cherche des économies, et celles sur la sécurité sociale sont largement envisagées. Ce qui m’inquiète c’est que l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie est fixé à 2,5 % alors que notre secteur est en négatif. Nous respectons largement l’objectif national de dépenses de santé mais l’on continue à dire qu’il faut encore taper sur les médicaments. L’effort n’est pas vraiment partagé entre tous les acteurs de la santé et cela va avoir de graves conséquences. De nombreuses pharmacies risquent de fermer, alors qu’on en ferme déjà une tous les trois jours. Certains disent que ce n’est pas trop grave et qu’il ne s’agit que de 150 officines par an sur les 23 000, mais lorsque le problème tombe dans un village ou un quartier difficile, cela donne des réveils douloureux pour les maires et les élus de la commune. Il faut comprendre que les pharmacies ne sont pas épargnées par la crise.

On ne demande pas à être épargné, on dit simplement que le métier de pharmacien doit évoluer. Nous avons fait des propositions au gouvernement. Nos modes de rémunération ne doivent pas être uniquement liés aux prix et aux volumes des médicaments. Nous sommes prêts à nous investir sur la prise en charge des personnes âgées, des retours à domicile précoces ou encore sur l’accompagnement des patients chroniques mais il faut que cette réforme se fasse dans des conditions acceptables. Aujourd’hui on fait semblant de négocier avec les pharmaciens depuis un moment, mais il n’y a aucune enveloppe. Il n’y a même pas de visibilité sur trois ans. On dirait que tout est fait pour casser notre volonté de réforme. C’est très gênant, d’autant que nous avons des entreprises. Nous ne pouvons pas dévisser notre plaque et partir ailleurs.



Que faudrait-il faire alors ?

On a aujourd’hui des professionnels formés, présents sur les territoires. Servons-nous de cette armée de pharmaciens pour mieux prendre en charge les patients. Mettons en place des stratégies permettant de relever les défis du vieillissement de la population, de la prise en charge des patients chroniques ou encore des sorties précoces de l’hôpital. L’objectif est que tout cela coûte moins cher. Nous savons que la stratégie sur le médicament est en train de changer, il faut donc que le modèle économique prévu pour les pharmaciens change également. Cela demande une réforme, un accompagnement et de la visibilité. Nous ne sommes pas des magiciens. Si on casse la pharmacie, ce qui est en train de se passer, il va y avoir des réveils douloureux avec des systèmes qui vont coûter beaucoup plus cher, ce qui va déplaire aux patients. Ils râlent déjà parce qu’il n’y a pas de médecin. Si en plus du cabinet médical, on enlève la pharmacie, il ne va plus rester grand monde dans les villages !



N’avez-vous pas peur de vous mettre les médecins à dos ?

Non pas du tout. Les pharmaciens ne sont pas médecins. Nous ne savons pas faire de diagnostic, ce n’est pas notre boulot. Par contre expliquer à un patient, quand il est sous AVK, que cela nécessite des analyses de sang régulières, lui expliquer quels sont les signes qui permettent de savoir qu’il est en sous-dosage, ça c’est notre boulot. On les informe, en complément de ce que font les médecins. C’est mieux que le patient soit informé par le pharmacien plutôt que par internet. Les médecins comprennent très bien que les pharmaciens font partie de l’équipe de soins de proximité. Nous sommes complémentaires dans la stratégie de renforcement de l’information des patients. Il ne s’agit pas de compétition avec les médecins ! Il faut dépasser les chamailleries entre les carabins et les potards.



Que pensez-vous de l’expérimentation de la vente de médicaments à l’unité ?

C’est une sottise, une fausse bonne idée. Le conditionnement a été validé par les autorités de santé en fonction de l’usage normal de ces médicaments. Souvent les médecins prescrivent une semaine mais les patients ne prennent leurs antibiotiques que sur cinq jours. La première chose est de travailler avec les médecins pour faire respecter aux patients la bonne durée de traitement. Le vrai travail ce n’est pas le conditionnement des médicaments mais de vérifier que la prescription est adaptée aux durées de traitement voulues par les agences de santé. La vente de médicament à l’unité est une erreur de diagnostic ! En plus cela coûtera cher parce que ça demandera du temps au pharmacien. En ce qui concerne les conditionnements qui ne sont pas adaptés, il faut tout simplement les réviser.



Les tests de grossesses seront bientôt vendus en grande surface, est-ce les prémices de la fin du monopole des pharmaciens ?

C’est une attaque supplémentaire de la part de la grande distribution qui murmure à l’oreille de M. Hamon, le ministre de la Consommation et de l’Economie solidaire. Les représentants de la grande distribution passent leur temps à Bercy et arrivent même à faire en sorte que ce ministère règle les problèmes de santé, sans que la Santé soit associée. C’est extraordinaire qu’un problème de santé soit réglé en fonction des intérêts des grandes surfaces. La concurrence entre laboratoires sur les tests de grossesse est déjà très importante. J’exerce en officine et j’ai plusieurs fois refusé la vente de tests à des jeunes filles qui me disaient avoir eu des rapports la veille et qui voulaient savoir si elles étaient enceintes. J’ai dû leur expliquer le système de fonctionnement des tests. Avec la banalisation et la non-explication des tests de grossesses en grandes surfaces, il y aura des faux négatifs. Cela ne semble perturber personne au gouvernement !

Le lobbying de la grande distribution continue à faire son travail de sape, espérant un jour récupérer le médicament et avoir des pharmacies à l’intérieur des grandes surfaces.



Vous le craignez ?

Je ne pense pas que cela se fera. La droite avait pris une position très ferme sur ce point, en disant qu’il n’y aurait pas de médicaments en grande surface. La gauche est sur la même ligne. Marisol Touraine a pris une position rapide et très ferme en disant qu’il n’en était pas question. On ne peut pas craindre le mésusage du médicament et le vendre en grandes surfaces. C’est le combat de M. Leclerc depuis 25 ans, mais ce qu’il a fait en Italie montre bien qu’il ne baisse pas les prix. Le Nurofen est vendu en France 3 euros. Il est vendu en Italie, chez Leclerc, 6 euros 40. M. Leclerc n’a qu’un seul objectif, c’est gagner des parts de marché et pouvoir faire plus de marge. Quand en France, les grandes surfaces ont récupéré les laits maternisés, elles ont fait baisser les prix pendant un an mais aujourd’hui on trouve du lait moins cher en pharmacie. Les antiseptiques sont aussi moins chers en pharmacie.



La vente de médicaments sur internet, est-ce une aubaine pour les pharmaciens ?

Je ne pense pas que ça va prendre. Tout ce qui marche sur internet, c’est ce qui contourne la prescription du médecin. Il n’est pas très utile d’acheter des médicaments pour un rhume sur le web lorsqu’on en a besoin tout de suite.

On trouve sur la toile 70% de médicaments falsifiés. Ce qui est dommage dans cette histoire, c’est qu’on fasse croire qu’internet est fiable parce que les pharmaciens y sont associés. Ce n’est pas un refus de la modernité, mais nous n’avons pas besoin d’internet puisque nous sommes présents sur tous les territoires.



Que pourrait-on vous souhaiter pour 2014 ?

Que l’on réussisse la réforme de la profession. Nous voulons faire évoluer notre métier pour répondre aux attentes des patients. Ce serait un gâchis de ne pas le faire. Le gouvernement doit prendre conscience que les pharmacies sont fragiles et qu’il ne faut pas tirer sur la corde.



 



Les pharmaciens lancent une pétition



Une pétition contre la hausse de la TVA sur les médicaments non remboursables et contre la vente de tests de grossesses dans la grande distribution a déjà reçu plus de 1200 signatures. À l’origine de cette pétition, un collectif de pharmaciens MaPharmacieNeFermeraPas, créé depuis le 1er janvier 2014. Autre combat de ce collectif : préserver le réseau des pharmacies en France.



Pétition : http://www.change.org/fr/organisations/mapharmacienefermerapas



   

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi