En France, plus de 150000 personnes sont sans domicile fixe. Un tiers sont mineures ou ont moins de 25 ans. L’hiver signifie de nouvelles difficultés pour ces jeunes précaires, qui jonglent entre débrouilles, galères et espoirs.

 

 

Dans les grandes agglomérations, les groupes de jeunes accompagnés d’animaux, souvent surnommés "punks à chiens", sont devenus en une vingtaine d’années des figures incontournables des centres-ville. Découverte d’une action de santé pilote, tournée vers ce public.

"Il s’appelait Damien*", se remémore Richard Andrzejewski, médecin addictologue engagé depuis vingt ans dans l’aide aux plus démunis. "Il était venu me voir l’an dernier dans une permanence tenue par l’une des associations pour laquelle je travaille." Le jeune homme de 23 ans souffrait de fortes dyspnées. "Il avait attendu la dernière minute pour consulter, par peur de se faire hospitaliser : qui s’occuperait de son chien en son absence ?"

 

Consultations vétérinaire et médicale

Damien est décédé trois jours plus tard d’un oedème pulmonaire lié à sa toxicomanie. Informée du décès du jeune SDF, l’association lilloise Itinéraires, spécialisée dans l’insertion sociale, a contacté le Dr Andrzejewski pour lui proposer de mettre en place, avec le soutien de la ville de Lille et de l’ARS, une action expérimentale inédite en France. Le principe : accoler à une consultation de soins vétérinaires organisée depuis plusieurs années dans le centre-ville une consultation gratuite de médecine générale. "Dans les faits, accéder à un médecin pour un jeune SDF qui a ses droits à la CMU à jour n’est pas si compliqué", analyse le Dr Andrzejewski. Certes, certains médecins rechignent à voir débarquer, avec chien et bagages, des patients parfois turbulents. "Mais les adresses des médecins facilement ouverts à ce public circulent vite dans la rue." Qu’est-ce qui, dès lors, éloigne ces patients des cabinets médicaux ?

 

"Prendre soin de sa santé implique de se projeter dans l’avenir"

"En matière de santé, ces jeunes ne sont pas des ignorants, décrypte François Chobeaux, auteur d’une récente étude, Jeunes en errance et addictions. Ils savent ce qu’est une consultation médicale, une prescription et l’observance. Mais ils ne s’appliquent pas beaucoup à eux-mêmes ces principes et donnent souvent la priorité à leurs animaux." Pourquoi ? "Sans doute cela s’explique-t-il par une logique dépressive, une mauvaise image de soi. Prendre soin de sa santé implique d’accepter de se projeter dans l’avenir. Beaucoup n’en ont pas envie."

Dans la rue, beaucoup de jeunes deviendraient d’ailleurs toxicomanes pour, au delà des pratiques dites "récréatives" (consommation lors de fêtes), éviter d’être "dans l’analyse d’eux-mêmes et de leur quotidien", avance le sociologue. Le pari d’Itinéraires et du Dr Andrzejewski ? Justement amener les propriétaires de ces animaux à prendre aussi bien soin d’eux-mêmes… que de leurs chiens. "Paradoxalement, les chiens de ces jeunes maîtres sont souvent très bien traités", explique Christophe Blanchard, docteur en sociologie. "Je suis convaincu qu’en prenant davantage en compte le lien qui les unit à leurs animaux les professionnels du social obtiendront de meilleurs résultats", partage le chercheur, également maître-chien.

Depuis le démarrage du projet, en avril 2013, le Dr Andrzejewski a rencontré une dizaine de personnes, à raison d’une permanence par mois, dont des personnes éloignées des soins depuis plusieurs années. L’action pourrait faire des émules ailleurs en France, pourvu que soit confirmée sa capacité à réconcilier des grands précaires avec leur santé.

 

* Le prénom a été modifié.

 

Jeunes en errance : quel état de santé ?

Dr Alice Mathieu 31 ans, médecin généraliste exerçant à temps partiel
au sein du cabinet Médecin Solidarité Lille (MSL).

"Au sein de notre association, nous recevons gratuitement des personnes qui, faute d e droits à jour, ne bénéficient pas de l’AME ou de la CMU. L’an dernier, un tiers des quelque 4000 personnes reçues en consultation avaient moins de 30 ans. Toutes ne sont pas SDF. Parmi elles : des étrangers en demande d’asile ou non, des Roms mais aussi des étudiants qui, faute de moyens, n’ont pas d’assurance complémentaire.

Nous constatons que les jeunes en errance souffrent souvent d’addictions et de problèmes d’ordre psychologique. Ils viennent également nous consulter pour des bilans IST, des soins de médecine générale et pour les soins dentaires, puisque nous avons également un chirurgien-dentiste à MSL. Mais globalement, nonobstant bien sûr les conséquences de leur consommation de produits psychotropes, ces jeunes dans la force de l’âge sont en bonne santé."



 



Source :
http://www.egora.fr
Auteur : Nicolas Narcy