Un peu de radium, alors fort à la mode, le patronage d’un patronyme illustre, une superbe publicité, tels furent les ingrédients d’un grand succès commercial des années 1930 : la crème Tho-Radia, autant embellissante que curative…

 

Durant l’entre-deux-guerres, le radium fut à la mode en France et dans plusieurs pays occidentaux. Profitant d’une législation laxiste, de nombreux entrepreneurs convoquèrent ce radioélément pour promouvoir des produits plus farfelus les uns que les autres. Les panacées se multiplièrent : Radium Cure (1932), Coradium (1933), Radiobalnex, Crème Alpha-Radium (1934), etc. Mais la plus grande réussite fut, sans conteste, une crème de beauté baptisée Tho-Radia.

 

Plusieurs historiens ont, par le passé, mis en doute l’existence de l’improbable Dr Curie

C’est une des plus belles affiches du musée Curie. Le visage d’une jeune femme blonde aux faux airs de Florelle paraît comme irradié par une lumière intense. On peut lire la mention suivante : « Crème et poudre Tho-Radia […] à base de thorium et de radium, selon la formule du Dr Alfred Curie ». L’image, conçue par le publicitaire Tony Burnand, hanta plusieurs générations. S’exprimant à l’occasion du centenaire de la découverte du radium (Académie des sciences, 17 novembre 1998), le physicien Roger Balian en évoquait une variante en ces termes : « Dans mon enfance, une affichette apposée chez mon coiffeur me fascinait : il s’agissait d’un visage féminin éclairé par le bas d’une lumière bleue, publicité pour une pommade Tho-Radia, au thorium et au radium. »

Plusieurs historiens ont, par le passé, mis en doute l’existence de l’improbable Dr Curie dont il était question sur l’affiche. Grossière erreur : cet homonyme des deux Prix Nobel français – mais sans lien de parenté avec eux – a bien existé ! Né le 12 avril 1873 à Senoncourt (Haute-Saône), il soutint une thèse tardive devant la faculté de médecine de Paris le 14 novembre 1911. Ancien interne de l’hôpital de Clichy et « officier d’Académie », Alfred Curie s’installa à Paris, successivement 62, boulevard Magenta, 29, rue Daveau, puis 8, villa Monceau où il exerça jusqu’à la fin des années 1940. Le 29 novembre 1932, âgé d’une soixantaine d’années, il déposa au greffe du tribunal de commerce de la Seine la marque Tho-Radia (n° 201120) désignant des « produits pharmaceutiques, produits de beauté et produits de parfumerie ».

 

« Elle active la circulation, tonifie, raffermit les tissus, élimine la graisse, supprime les rides. »

Tout porte cependant à croire qu’Alfred Curie n’était en rien l’auteur de la fameuse formule qui lui fut imputée. L’affaire relèverait plutôt d’un banal compérage entre un médecin au patronyme en or et un pharmacien spécialiste des terres rares, le dénommé Alexis Moussalli. Né le 29 avril 1894 au Caire, ce chrétien libanais, diplômé de l’École supérieure de pharmacie de Nancy, travailla un temps à l’Institut Pasteur dans le service d’Albert Frouin. Au cours de la préparation de sa thèse au titre évocateur, Action de quelques terres rares sur le bacille pyocyanique et les bacilles de la dysenterie, il manipula du lanthane, de l’erbium, de l’yttrium et du thorium. Il devint de la sorte expert dans le domaine des métaux du groupe des terres rares, lesquels se voyaient attribuer à l’époque des propriétés thérapeutiques.

Au début des années 1920, Moussalli intégra les laboratoires pharmaceutiques Millot, qu’il devait diriger par la suite. Son arrivée coïncida avec la mise sur le marché des ovules Néothorium « à base de néodyme et de thorium », censés être efficaces « dans le traitement des métrites, des vaginites et des ulcérations du col ».

Le lancement effectif de la crème Tho-Radia eut lieu durant le second semestre 1932 à Paris, puis début 1933 en province.5 Conçue pour une clientèle féminine et vendue exclusivement en pharmacie, cette crème de beauté était composée de baume du Pérou, d’oxyde de titane, de radium et de thorium. Si l’on en croit les publicités d’époque, cette préparation était dotée de propriétés remarquables : « Elle active la circulation, tonifie, raffermit les tissus, élimine la graisse, supprime les rides. » Cette préparation inaugura une gamme où s’illustrèrent bientôt une poudre, un savon et même un dentifrice. En revanche, ces deux dernières formes galéniques ne recelaient que du thorium.

 

Radium

Y avait-il réellement du radium dans la préparation de la fameuse crème ? Et, dans l’affirmative, d’où provenait-il ? Ces deux questions restent pour l’heure sans réponse définitive, mais il est possible d’émettre quelques hypothèses. La présence de radium semble attestée par un certificat d’analyse du Laboratoire de recherches scientifiques (section Atomistique) de Colombes en date du 18 juillet 1932, reproduit à la page 113 du Dictionnaire médical et pratique de soins de beauté édité en 1935 par Tho-Radia : il y est fait état de « 0,233 microgramme de bromure de radium (RaBr2, H20) pour 100 grammes de crème ».

En moyenne, la crème contenait donc, pour 100 g, 0,50 g de chlorure de thorium et 0,25 mg de bromure de radium, « soit le centième d’un quart d’un millionième de gramme par gramme » comme le précisait une publicité rassurante. « À faible dose, l’action du radium est stimulante de la fonction cellulaire, tandis que les fortes doses sont destructrices. Il en est de même pour toute une catégorie de produits utilisés en thérapeutique : strychnine, arsenic, etc. La différence entre les deux actions est comparable à celle qui existe entre le thermocautère qui brûle et la diathermie qui vivifie, ou, si l’on veut, entre une douce chaleur qui fait éclore les oeufs et une chaleur vive qui les fait cuire. »

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Thierry Lefebvre, Cécile Raynal

 

Retrouvez cet article Le mystère Tho-Radia dans les dossiers “Histoire de la médecine” de La Revue du Praticien, sur www.larevuedupraticien.fr, sous la rubrique “XXe s”.