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Chef des urgences, j’ai démissionné pour dénoncer la pénibilité

Marie-Anne Babé a été chef de service aux urgences de l’hôpital de Roubaix pendant trente ans. En février dernier, alors qu’elle et son équipe sont en conflit avec la direction depuis des mois pour obtenir un poste, elle annonce sa démission. Redevenue anesthésiste à l’hôpital voisin de Wattrelos, elle revient sur sa carrière aux urgences dans un livre “Une urgentiste dans la tourmente” (Ed. Jean-Claude Gawesewitch).

 

Comment est née l’idée de ce livre ?

En trente ans d’urgences, j’ai accumulé pas mal d’épisodes qui m’ont marquée mais je n’étais pas pressée de les coucher sur le papier. Ma vie d’urgentiste était très remplie et je pensais ne pas avoir le temps d’écrire. Quand j’ai annoncé ma démission, c’est l’éditeur qui est venu me taper sur l’épaule. Ca l’intéressais que je témoigne. J’ai trouvé que c’était un bon moyen d’illustrer mon geste. Parler juste de ma détermination et des inconvénients rencontrés, ça paraissait creux. Mais dire ce que c’était que l’urgence, pourquoi ça pouvait être difficile pour les équipes, pourquoi il fallait plus de monde et surtout entendre la pénibilité de la charge, je pensais que c’était pertinent. Ce livre c’est aussi un cri de colère vis-à-vis des dirigeants qui sont trop lents à prendre des décisions, y compris lorsque vous leur exposez vos difficultés et surtout le danger que ça représente pour une population.

 

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre décision de quitter les urgences de Roubaix ?

Ma démission a été un projet qui a mûri. Depuis trente ans, j’ai monté des projets. J’ai initié l’ouverture d’une maison de santé en 2002. J’ai mis en place un partenariat avec l’hôpital de Wattrelos. Ces projets ont permis de stabiliser un peu les admissions aux urgences. Mais progressivement, on se fait rattraper par un flux croissant de patients. On a réclamé plus de moyens, plus d’effectifs. Ça a été comme une traînée de poudre. J’étais un peu porte-parole d’une difficulté quotidienne rencontrée par beaucoup de monde. Ça a été un geste fort, que je ne regrette pas car il continue à porter ses fruits. On a obtenu la création de deux postes et d’un tour de garde supplémentaire. D’un autre côté, le partenariat avec Wattrelos en a subi les conséquences. La situation reste tendue.

 

Qu’est-ce qui vous a fait tenir pendant trente ans ?

Ce que j’ai aimé dans ce métier, c’est le rythme. Le rythme soutenu me plaisait, construire une équipe, tisser des liens humains forts entre nous, dans l’équipe. Et l’énergie qu’on pouvait se transmettre quand quelqu’un avait une baisse de forme… L’impression de sauver des vies, quand on les sauve, mais aussi d’accompagner les malades quand ils étaient en bout de course, et d’être plusieurs au chevet du patient. Et puis, c’est aussi le contact humain avec les familles qui revenaient d’une année sur l’autre pour l’un ou l’autre des membres de leur famille. Trente ans, ça permet presque d’être généraliste de l’urgence tout en étant urgentiste. C’est rassurer les gens parce qu’ils savaient que quand j’étais là, j’allais m’occuper d’eux… Ce n’était plus l’urgence anonyme. C’était l’urgence où ils pouvaient rencontrer quelqu’un qu’ils connaissaient et qui les rassurait.

 

Qu’est ce qui a changé ?

Au moment où j’ai choisi d’être chef de service, c’était la grande révolution en France. Il fallait que les services d’urgence soient plus structurés ; on faisait attention aux urgences. Moi j’ai choisi ce coche-là, et ça m’a plu. J’ai pu faire grandir une équipe, encadrer des jeunes infirmières, faire monter en graine des médecins. A ce moment-là, on avait la possibilité de faire grandir les équipes et de prouver que c’était important.

Mais aujourd’hui on a de plus en plus de patients, de plus en plus âgés, ils sont polypathologiques, plus difficiles à mettre dans des services d’hôpitaux… Je crois qu’on n’a pas assez anticipé les moyens à donner pour prendre en charge les personnes âgées.

Et la logique financière s’est durcie. On ressent la crise à l’hôpital. On doit faire des économies de compresses, des économies d’instruments. On doit vérifier avant de faire un soin s’il faut vraiment mettre une paire de gants. Quand on en est à compter les compresses, on se dit que là quand même, ça devient difficile. On compte aussi les budgets pour embaucher les infirmières, les aides-soignantes, le nombre de médecin qu’on paye la nuit… Bien sûr que la logique financière est un élément important de la vie de l’hôpital. Mais un directeur et un médecin n’ont pas les mêmes missions… Et on se rend compte que la crise économique écorche beaucoup de monde en particulier dans des villes où il n’y a pas beaucoup de boulot. Ces gens-là sont dépressifs, viennent plus qu’avant pour des problèmes de mal-être, de tentatives de suicides, de pétage de plomb, d’alcoolisation, de familles déstabilisées, de gens seuls… Et se retrouvent aux urgences. A tel point qu’on a dû mettre en place un soutien psychologique, des psychiatres…

 

Quel est le rôle de l’urgentiste aujourd’hui ?

L’urgentiste a un rôle primordial. Quand il y a une détresse et que le patient vient de lui-même aux urgences, l’œil de maquignon, le regard clinique de l’urgentiste permet que le patient soit vite traité et vite orienté. Mais l’urgentiste est aussi important parce qu’il remplace certains généralistes qui ne peuvent pas faire plus que ce qu’ils font déjà. Leur nombre diminue dans des régions pas très attrayantes pour eux, comme le Nord-Pas-de-Calais où les départs à la retraite ne sont pas toujours remplacés. Du coup, le malade qui ne se sent pas bien, il va où ? Si son médecin ne peut pas le prendre parce que son agenda est booké, et bien il vient aux urgences.

 

Quelle serait la solution pour améliorer la situation ?

Il faut fluidifier la sortie des services d’urgence. Faire en sorte qu’on puisse facilement trouver des places si on doit hospitaliser les patients pour une observation, que ce soit mieux organisé, moins chronophage.

Mais la solution, c’est certainement de renforcer les services d’urgence, en nombre. Il faut réadapter les effectifs et les mettre en adéquation avec la réalité des urgences. Il faut assurer la permanence des soins sur plusieurs lignes, être toujours assez nombreux pour faire face. Je demande qu’on prenne en compte la pénibilité de la répétition des gardes et des weekends. Il faut qu’il y ait un temps de récupération derrière le gros travail fourni par les équipes, qu’on tienne compte que c’est plus fatigant de faire douze heures debout à courir après les malades, de faire du SMUR, que de faire un service normal… Il faut remettre en avant la question de la pénibilité. Quand les gens sont fatigués, ils sont moins performants et ça génère de l’absentéisme. Ce qui fait qu’on demande un effort supplémentaire à ceux de l’équipe. C’est très pervers.

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes urgentistes ne se voient pas continuer toute leur vie comme ça. Déjà à 35, 40 ans, ils pensent bifurquer vers quelque chose de moins stressant, de moins pénible au niveau de la charge de travail, de la responsabilité de soins de plusieurs malades à la fois. Ça m’inquiète vraiment. S’il y a trop peu de médecins qui choisissent cette carrière, on risque à terme de ne plus avoir assez de bras pour absorber ce flux de patients. Je crains vraiment une pénurie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier