La France va-t-elle suivre l’exemple du Bénélux en matière d’euthanasie ? Alors que chez nos voisins belges, on discute de l’extension de la loi aux mineurs et aux déments, les instances françaises peinent à trouver un consensus sur ce que contiendra le futur projet de loi sur la fin de vie, qui verra peut être le jour l’an prochain.

L’affaire a défrayé la chronique il y a quelques semaines. Nathan Verhelst a fait la Une de nombreux journaux aux titres chocs, parfois racoleurs et trop souvent laconiques. Ce transsexuel belge de 44 ans a subi une euthanasie le 30 septembre dernier, dans un hôpital de Bruxelles, à la suite d’une nouvelle opération ratée pour changer de sexe. Cette fois encore, ses attentes n’ont pas pu être satisfaites. Face à ce corps dans lequel il lui était impossible de continuer à vivre, Nathan, né Nancy, a finalement obtenu l’accord du collège médical, composé de trois médecins, dont au moins un psychiatre, afin de bénéficier d’une aide active à mourir. “Une euthanasie qui rentre parfaitement dans le cadre légal, précise Jacqueline Herremans, membre de la commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. La vie de Nathan était devenu un véritable enfer !”

Le CCNE n’a pas tranché

Tout comme aux Pays-Bas et au Luxembourg, la Belgique autorise en effet, depuis le 28 mai 2002, l’euthanasie pour des patients qui ne sont pas en phase terminale mais qui “présentent une souffrance physique ou psychique inapaisable”. Dans le cas de Nathan Verhelst, outre les douleurs physiques, dues aux différentes opérations, c’est la détresse psychique qui a surtout pesé dans la balance.

Et c’est justement ce qui choque le plus de ce côté-ci de la frontière, où l’euthanasie n’est pas autorisée malgré une proposition de campagne de François Hollande demandant sa légalisation. Une véritable rupture par rapport aux politiques antérieures qui ont toujours refusé de franchir cette ligne rouge.

Mais depuis, le projet de loi tant attendu n’a cessé d’être reporté. Le Conseil consultatif national d’éthique (Ccne), saisi dans le décours de la remise du rapport Sicard (lui-même ancien président du Ccne) en décembre 2012, devrait rendre un avis le 16 décembre prochain et démarrer sa “consultation citoyenne” préalable à un éventuel changement de la loi Leonetti. Quand ? Bien après les municipales et les européennes, à n’en pas douter.

“L’affaire Nathan” a d’autant plus fait couler d’encre que les parlementaires belges sont en ce moment-même en train de débattre d’une extension de la loi aux personnes souffrant de démence grave (type Alzheimer) et aux mineurs. Deux questions absolument taboues pour un pays comme la France où le gouvernement tarde à rouvrir le débat de crainte d’une mobilisation aussi forte que lors de l’adoption de la loi autorisant le mariage pour tous.

60 % des médecins favorables à l’euthanasie active

“On ne peut malheureusement pas débattre de ces questions dans notre pays car elles risqueraient d’être détournées,confirme Jean-Luc Roméro, président de l’association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), militant depuis trente ans pour la légalisation de l’euthanasie. La loi que nous demandons ne concerne donc que les adultes. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’on arrive enfin à se faire entendre par les médecins, notamment par les généralistes en province qui ont affaire à des patients en fin de vie, qu’ils ont suivis toute leur vie, auxquels ils sont très attachés, et qu’ils doivent accompagner jusqu’au bout. Ils sont de plus en plus nombreux à se prononcer pour la dépénalisation de l’euthanasie, contrairement aux mandarins parisiens très éloignés de la pratique du terrain.”

Ce nouveau positionnement au sein du corps médical s’est confirmé dans un sondage Ipsos (1) commandé par l’Ordre des médecins en février dernier. 60% des médecins interrogés se disaient ainsi favorables à l’euthanasie active. 37% d’entre eux étaient même prêts à participer à l’administration des produits. Fait majeur, à la suite de ce sondage, le conseil de l’Ordre, jusque-là immuable sur la question, a, pour la première fois, envisagé la mise en place d’une aide à mourir à travers une sédation terminale qui serait délivrée par un collège médical pour certains patients, dans des situations exceptionnelles, telles que des “agonies prolongées” ou des douleurs “psychologiques incontrôlables”, auxquelles la loi actuelle ne donne pas de réponse. Et l’Ordre de préciser qu’il s’agit d’agir “par devoir d’humanité”.

Le Pr Denys Pelerin, président honoraire de l’Académie de médecine, a vivement réagi à cette prise de position inédite de la part du CNOM. Il y voit “une porte ouverte au suicide médicalement assisté. Les douleurs psychologiques évoquées renvoient à la notion “d’arrêt de vie”, dit-il. Or il n’entre pas dans la mission du médecin de provoquer délibérément la mort”.

Laissée de côté par François Hollande pendant la campagne, la notion de suicide assisté s’est réintroduite dans le débat. D’autant que le rapport Sicard, qui a été remis au Président en fin d’année dernière, privilégie le suicide assisté par rapport à l’euthanasie dite active, décrite comme “un geste médical radical” qui ferait franchir “la barrière d’un interdit”.

Suicide assisté ou euthanasie active ? Le Comité consultatif national d’éthique chargé par l’Elysée de trancher, n’a pas réussi à trouver un consensus. Dans son avis rendu en juillet, le comité prône quant à lui le statut quo. A savoir une meilleure connaissance et application de la loi Leonetti de 2005. Elle concède une “accélération de la mort” dans deux cas uniquement : les nouveau-nés en réanimation et les patients en toute fin de vie.

“Nous sommes plus pragmatiques : il y a un problème, on le règle”

En Belgique, où l’on a célébré les dix ans de la loi sur l’euthanasie l’an dernier, le nombre d’euthanasies déclarées a été multiplié par six depuis 2002. Mais, fait surprenant, 80% d’entre elles se font en Flandre, au nord de Bruxelles. La proximité avec les Pays-Bas, premier pays au monde à avoir dépénalisé l’euthanasie et le suicide assisté, y est pour quelque chose. A l’inverse, les médecins wallons subissent plus fortement l’influence française.

Pour le Dr Catherine Dopchie, oncologue côté francophone, la fin de vie est mieux prise en charge en France que dans le plat pays. “Vous avez une culture philosophique que nous n’avons pas. Nous, nous sommes plus pragmatiques : il y a un problème, on le règle. Le patient ne se définit plus qu’à travers sa souffrance. Et si nous, médecins, nous ne parvenons pas à la soulager, à “régler le problème”, il ne nous reste que l’euthanasie comme ultime recours.”

Le Dr Corinne Van Oost, médecin généraliste spécialisée en soins palliatifs à Ottignies, côté wallon, a compris petit à petit l’intérêt de la loi et l’applique quand cela est justifié. “La question va effectivement se poser pour des patients qui ont un sentiment de perte d’existence, qui ne se sentent plus sujets de leur vie et qu’on ne peut pas soulager. Mais nous sommes responsables : nous allons tellement loin dans le traitement, dans l’évolution de la maladie qu’on oublie que l’humain ne peut pas tout supporter. Peut-il continuer à vivre moralement ? A-t-il encore de l’estime ? La loi nous oblige à réfléchir à cela et à mieux considérer le patient, à mieux travailler avec lui les directives anticipées, le protocole de soins.”

Pour elle, la France n’a pas d’autre choix que de suivre à son tour cette voie. Avec une condition : le développement parallèle des soins palliatifs. “Sinon c’est trop difficile pour les médecins…”En Belgique, une équipe palliative est consultée dans 40% des cas.

Ce qui est encore loin d’être le cas chez nous. Selon l’Observatoire national de la fin de vie, deux tiers des patients qui décèdent nécessitent des soins palliatifs. Or, seulement la moitié en bénéficie, soit 119 000 personnes, sur les 238 000 qui en auraient besoin. On compte désormais au moins une unité de soins palliatifs par région avec 122 unités au total et 1 301 lits. Mais de grosses disparités régionales persistent : deux tiers des unités sont concentrées dans cinq des vingt-six régions françaises (PACA, Rhône-Alpes, Bretagne, Nord-Pas-De-Calais, Ile-de-France). Les soins palliatifs, et les moyens déployés pour leur développement, seront donc l’autre enjeu majeur du projet de loi sur la fin de vie.

Pour l’instant, la prochaine étape passe par la tenue d’États généraux qui devraient avoir lieu dans les prochaines semaines. Le comité consultatif national d’éthique, largement remanié à la rentrée, devra alors émettre un nouvel avis. L’occasion de vérifier que les nouveaux nommés feront bien bouger les lignes… Sa nouvelle composition – plus de personnalités proches de la majorité, moins de religieux – devrait en effet permettre d’aller dans le sens de l’Elysée et promouvoir ainsi une dépénalisation de l’euthanasie. Parmi les vingt-deux nouveaux membres, on compte notamment l’avocat Jean-Pierre Mignard, membre du conseil national du PS et ami de François Hollande, ou encore Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté et réputé lui aussi proche de la gauche. Le projet de loi, lui, ne devrait pas voir le jour avant la fin de l’année prochaine.

Source :
www.egora.fr
Auteur : Concepcion Alvarez

(1) Sondage réalisé auprès de 605 médecins, du 10 au 23 janvier 2013.