Un parcours de soin qui serait déclenché par le médecin traitant et par lequel il exigerait de ses collègues qu’ils n’appliquent pas de dépassement, un testing pour mesurer le refus de soins… Voilà deux des nombreuses propositions de la sénatrice Aline Archimbaud pour garantir l’accès aux soins des plus pauvres. L’élue d’Europe Ecologie Les Verts a remis cette semaine un rapport au premier ministre dans lequel elle dresse un constat accablant de l’accès aux soins en France.

 


Egora.fr :
Dans le rapport que vous venez de remettre au Premier ministre, vous dressez un constat sévère sur l’accès aux soins des plus démunis. On parle par exemple de 700 000 personnes qui n’ont pas pu faire valoir leur droit à la CMU ou encore de 16,2 % des 18-64 ans qui on renoncé à se soigner dans les 12 mois précédents. Est-ce un phénomène nouveau ?

Aline Archimbaud : C’est une des conséquences de la dégradation de la situation économique et sociale. Les chiffres des personnes concernées sont de plus en plus importants. L’Insee a publié le nombre de personnes en dessous du seuil de pauvreté, c’est 8,6 millions de personnes. C’est une partie significative de la société qui est en graves difficultés. Ce qui vaut aussi pour l’accès aux soins.

 

La France est pourtant connue pour avoir un système social qui garantit l’accès à la santé pour tous. Comment peut-on expliquer ce constat ?

Il y a deux choses. Premièrement, des personnes n’ont pas accès à la CMU complémentaire ou à l’aide complémentaire d’Etat alors qu’ils y ont droit. Le fait est que notre réglementation est d’une complexité incroyable, les démarches sont un véritable parcours du combattant. Résultat : entre 14% et 25% des personnes qui pourraient bénéficier de la CMU n’y ont pas accès de fait, car leur dossier n’est pas ouvert. Pour l’aide à la complémentaire santé la proportion s’élève aux 2/3. Alors, c’est vrai qu’avec la Sécurité sociale ou la couverture maladie universelle, on pensait avoir un bouclier social très solide. Mais depuis 1999, la situation s’est dégradée avec la circulation de toute une série de circulaires comportant un nombre impressionnant de formulaires, qui ont provoqué un effet d’entonnoir. Et il n’est pas rare de voir des dossiers qui doivent comporter 60, voire 100 pièces justificatives, rien que pour ouvrir une complémentaire – ce sont les directeurs de CPAM qui le disent. Des dossiers mettent 3-4 mois à être étudiés. Et pendant ce temps les malades ne se soignent pas. Si on simplifie la réglementation, on permettra aux employés de la CPAM de s’occuper d’autre chose que d’instruire des dossiers. Et d’accompagner, d’écouter les personnes.

Et puis deuxièmement, il y a eu aussi un discours face à la fraude sociale. Alors que les études montrent que la fraude ne représente que 0,06% du déficit de l’Assurance maladie. Le problème n’est pas là.

 

Incriminez-vous les professionnels de santé ?

La principale responsabilité incombe aux pouvoirs publics. A un moment donné il faut qu’ils aient le courage de simplifier de façon radicale les démarches, pour arriver à une démarche de protection et pas de recherche de fraude. Et il y a des mesures énergiques à prendre pour lutter contre ces extraordinaires inégalités d’accès aux soins et à la santé. Mais il faut que tout le monde s’y mette, y compris les professionnels de santé. Dans leur immense majorité, je l’ai vu sur le terrain, ce sont des gens soucieux de l’intérêt général, de la déontologie. Certains travaillent dans des conditions très difficiles, je pense aux personnels hospitaliers, aux équipes des centres de santé. Ils sont, je pense, en partie en souffrance professionnelle, car leur déontologie les pousse à soigner tout le monde avec la même qualité. Mais malheureusement ils subissent aussi des exigences financières qui les mettent sous pression.

 

Vous pointez du doigt les dépassements d’honoraires. Prôneriez-vous, comme l’a fait l’UFC Que Choisir, la fin du secteur 2 ?

Je ne propose pas ça. Pas aujourd’hui. Ce serait surtout source de crispations. Je propose des mesures qui sont à notre portée. Les dépassements d’honoraires créent d’énormes difficultés d’offre de soins, notamment pour les personnes modestes, et ils poussent à un renoncement aux soins massif, avec tout ce que cela implique comme conséquences sanitaires, mais aussi économiques pour la sécurité sociale, car du coup les gens se soignent tardivement et cela fait des soins très chers et très lourds. Il faut absolument faire reculer ces dépassements.

 

Pour cela vous proposez de vous appuyer sur le médecin traitant…

Je propose un parcours de soins qui puisse être déclenché par le médecin traitant, qui sera en tiers payant et sans dépassement d’honoraires. C’est lui qui ira déclencher le processus et demandera à ses confrères de prendre en charge son patient sans dépassement. Tout ça en s’appuyant sur la notion de parcours de soins, qui évite le gaspillage, les errements et permet réellement de se soigner.

Je pense qu’on peut faire confiance aux médecins traitants. Ils connaissent leurs patients et les difficultés qu’ils rencontrent. Cela ira pour les bénéficiaires de la CMU, mais pas seulement. Il y a des travailleurs pauvres, des retraités qui sont juste au dessus des plafonds, qui n’ont pas accès à l’aide à la complémentaire santé et qui ne peuvent pas se soigner. Ces gens là se sentent abandonnés cela créé beaucoup d’amertume. Et ce n’est pas bon. Mais tout cela n’est qu’une mesure intermédiaire. Quand les choses avanceront j’espère qu’on pourra proposer des mesures plus fortes.

 

Pourtant, les dépassements d’honoraires sont interdits pour les patients bénéficiaires de la CMU…

Oui, mais ce n’est pas toujours appliqué. Il ne s’agit pas de stigmatiser la profession. Mais quand cela n’est pas respecté, le professionnel est hors là loi. C’est un délit. C’est l’une de mes propositions : un rappel au droit.

 

Vous voulez aussi lancer une « chasse » aux refus de soins, notamment en autorisant le testing (test de situation). Est-ce si fréquent ?

Objectivement, cela existe. Cela concerne un nombre infime de professionnels, certes, mais des études très sérieuses ont été faites démontrant que des personnes modestes sont discriminées. Je propose donc d’élargir la notion de refus de soins. Ce ne sera plus uniquement le fait de refuser de soigner un patient, mais aussi par exemple de lui proposer un rendez-vous beaucoup plus tardif que la moyenne de la durée d’attente dans son cabinet, ou bien encore sous d’autres formes… Avec les conseils du défenseur des droits, nous souhaitons que les personnes précaires qui se sentent discriminées soient accompagnées par des associations dans les procédures de conciliation ou de justice. Je propose aussi ce qu’on appelle, l’aménagement de la charge de la preuve. C’est-à-dire que la personne qui pense avoir été victime de refus de soins doit d’abord donner les faits et ensuite c’est à la partie défenderesse d’expliquer pourquoi elle a agit de telle. Les testings seront réservés à une évaluation de pourcentage sur le territoire et pas à des face à face de victimes et de professionnels. Car on sait que cela ne fonctionne pas.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu