Marisol Touraine a annoncé mardi 10 septembre la création d’un Observatoire national du suicide, qui aura pour mission d’améliorer les connaissances et de travailler à la prévention. Si la question du suicide est de moins en moins taboue au sein de la société, il n’en est pas de même parmi les praticiens. Récemment installé en libéral en Bretagne, un jeune médecin généraliste a consacré sa thèse aux représentations sur le suicide dans la profession.
“Il y a des indicateurs alarmants concernant la santé mentale des médecins généralistes en France, explique le praticien auteur de la thèse. On trouve des niveaux de burn-out élevés, et une consommation de psychotropes plus élevée que pour le reste de la population.” De manière générale, le taux de suicide est deux fois plus élevé chez les médecins qu’au sein de la population française. Les généralistes seraient mêmes la troisième spécialité la plus touchée par le suicide au sein de la profession, après les anesthésistes et les psychiatres.
Si les publications se sont multipliées sur la question du burn-out au cours des années 2000, et que les médecins sont de plus en plus informés sur les risques psycho sociaux, la culture professionnelle, ainsi que des facteurs liés aux conditions d’exercice, prédisposent les médecins généralistes libéraux au risque suicidaire.
“Il y a une relative prise de conscience. Ce qui n’empêche pas que les médecins ne se donnent toujours pas le droit d’être en souffrance”, assure l’auteur de cette étude qualitative. Consulter un autre médecin, être hospitalisé sur son propre territoire peut mettre le généraliste en danger professionnellement. “Le généraliste est très dépendant de sa réputation, soigne son réseau professionnel. Ce n’est pas facile pour un médecin d’aller voir un psychiatre auquel il a peut être lui-même adressé des patients… C’est encore moins facile d’être hospitalisé dans son secteur, où il peut côtoyer des collègues, ou même des patients”. Comme si le praticien se devait de renvoyer une image de bonne santé, tel un gage de ses compétences, au reste de la société.
Au-delà de la réputation professionnelle du praticien, il semble qu’un profond conditionnement lié à la profession soit mis en place dès la formation initiale. “On découvre les maladies sur le papier, on a un rapport différent à la santé. On a vite tendance à s’oublier au profit du patient. Cette culture se forge aussi pendant l’internat. A l’hôpital, on enchaîne les gardes, c’est très dur. Mais il ne faut pas se plaindre, c’est le métier. On doit être endurant. On en vient à penser qu’on est plus fort que tout.”
A cela s’ajoute la tendance à l’autodiagnostic du médecin, persuadé de pouvoir se traiter lui-même et d’avoir une bonne conscience de ses troubles, voire même meilleure que celle d’un psychiatre. “C’est parfois vrai. Il arrive qu’un généraliste se prescrive à bon escient une dose d’antidépresseurs”, nuance l’auteur, avant de rappeler qu’un tel comportement condamne le médecin à la solitude dans sa maladie, ou pour le moins au retard pour consulter un spécialiste.
La solitude de l’exercice professionnel liée à l’exercice libéral, dont les conséquences sont multiples, porte une grande responsabilité dans le fait que taux de suicide des médecins généralistes est bien supérieur à celui du reste de la population : “L’isolement est présenté comme inhérent au métier, par la nature concrète de l’activité, solitaire, y compris dans la décision médicale, de par l’individualisme et les aspects concurrentiels et par la charge de travail, qui limite les interactions sociales”, analyse l’auteur.
Il demeure impossible de dresser un portrait type du “médecin généraliste à risque”, étant donné le manque de données épidémiologiques par profession. “Mais il y a quand même l’image qu’on peut s’en faire », explique le chercheur, avant de décrire « un médecin isolé, qui ne compte pas ses heures, qui prend énormément de gardes, qui fait passer son travail avant sa vie de famille, voire qui a divorcé, qui n’a pas de vie privée…”.
Quant à la prévention du suicide ou des troubles psycho-sociaux chez les généralistes, elle est peu développée en France. “Les médecins ont besoin de structures adaptées, où ils puissent être pris en charge en dehors de leur réseau professionnel, par des soignants formés à traiter la population particulière des médecins, qui sont aussi des prescripteurs, qui font du diagnostic, qui ont une idée sur leur propre santé…”. Quelques unités de soins spécifiques existent pourtant. Elles ne sont pas ouvertes au public, et les médecins peuvent y avoir accès via l’Association pour la promotion des soins aux soignants. “Mais à ma connaissance, il n’y en a pas plus de trois…”, tempère le chercheur.
A l’université de Rennes, une autre initiative a été mise en place, pour favoriser la promotion de la santé des médecins au cours de la formation initiale. “Quelques heures de cours ont permis d’aborder des notions certes assez générales, les grands principes… Mais c’est important que les médecins ne rentrent pas tout de suite dans cette culture professionnelle de mise à distance de sa propre santé”.
Des expériences qui restent sporadiques et insuffisantes pour prendre en charge le problème. ” En France, on est clairement en retard sur ce plan, par rapport aux pays anglo-saxons notamment…”, commente le chercheur avant de citer l’exemple du « signalement confraternel », qui fait partie de la déontologie médicale aux Etats-Unis. “Quand on a connaissance de troubles de la santé mentale d’un confrère qui peut l’amener à se mettre en danger, on a l’obligation déontologique de le signaler à la structure équivalente au Conseil de l’ordre”, ajoute le généraliste. “En France, on a une culture très différente. Les médecins libéraux ont une certaine méfiance par rapport aux institutions ordinales… Il faut des solutions adaptées à notre culture, mais une meilleure prise en charge de la santé mentale des médecins est indispensable”.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier