Guillaume était interne en médecine générale à Poitiers. Après trois ans de burn-out, il décide d’abandonner la médecine. Le département lui réclame une bourse de 29 000 euros, versée en échange d’une installation en zone rurale à l’issue de ses études. Il rembourse et change de voie.

 

“Après trois ans d’internat, j’ai démissionné. J’ai décidé de ne plus être médecin. J’ai rendu au Conseil général de la Charente, une bourse de 29 000 euros que j’avais touchée pour mes études. J’ai vécu trois ans très difficiles.

Déjà, avec la faculté, ça s’est mal passé. On est des internes en formation donc on est également des étudiants. Mais on n’avait jamais de retour sur notre travail. On m’a reproché certaines prises en charge au point de vue diagnostico-thérapeutique, mais elles n’étaient jamais analysées, avec le dossier en main. On nous demandait de faire des RSCA sur un thème médical, ils n’étaient jamais analysés, pas de retour écrit. C’est un petit problème pédagogique.

 

Je me suis senti complètement abandonné

J’ai fait un premier burn-out juste avant mon premier stage, aux urgences à l’hôpital. Pour des raisons à la fois personnelles et professionnelles, j’ai été arrêté six mois. Quand je suis revenu travailler à l’hôpital, je n’ai pas du tout été soutenu par mes confrères, je me suis senti complètement abandonné, trahi. Ils savaient que j’étais malade. J’ai senti que j’étais devenu un interne faible à leurs yeux. Je l’étais peut-être, mais je n’ai tué personne, je n’ai mis en danger personne.

Qu’il y ait des conflits réglés à la va-vite dans un couloir aux urgences, je peux le comprendre. Parce qu’aux urgences tout va vite. Mais bon, qu’on fasse un débriefing ensuite. On prend le dossier, et on dit à l’interne, pourquoi t’as fait ça ? Pourquoi t’as pas fait ça ? J’avais vraiment le sentiment d’être tout seul, mis à l’écart.

Une fois, on arrive dans un box. Je suis avec un médecin stagiaire, et un urgentiste. Un quatrième amène un patient dans le coma, qui respire très mal. Et s’en va en disant “Pas pour moi, je suis à l’accuei”. Et les autres “Il est non réanimatoire, fais-en ce que tu veux”. Je suis resté tout seul avec le patient.

Mon dernier stage, je l’ai fait dans un cabinet de médecine générale à Nantes. Mais là c’était le même problème qui revenait, le médecin savait que j’avais un passif. Pendant quatre mois, j’étais assis à côté de lui pendant les consultations. Je n’ai jamais fait une consultation seul. C’est une position difficile les consultations à trois… Le patient ne sait pas vraiment qui est le médecin, l’interne respecte suffisamment son supérieur moral pour ne pas l’interrompre à tout va, et puis pour le médecin, d’avoir un interne à côté de lui, ça peut être perturbant.

 

“Bon ton stage s’arrête. Tu manques d’humanité”

Mais au bout de quatre mois, le médecin m’a dit “Bon ton stage s’arrête. Tu manques d’humanité”. J’ai compris que ça venait d’un malentendu avec une patiente. Elle venait à l’origine pour un grain de beauté qu’elle supposait bénin, qui l’était très probablement, mais très vite la consultation est partie sur un autre problème, une masse au sein. Avant qu’elle s’en aille, sur le pas de la porte, j’ai dit une bêtise. Dans l’idée qu’on venait de parler du grain de beauté, je lui dis “Il faut vous faire suivre, sinon ca risque de mal évoluer”. Mais j’ai su plus tard que la patiente pensait que je parlais du sein… Elle l’a très mal pris et a demandé à ce que je n’assiste plus aux consultations. Le médecin a pris sa décision et m’a renvoyé du stage.

Je trouve que la médecine moderne est fondée sur des études à grande échelle, où on discute de l’efficacité d’un médicament, mais elles sont toujours biaisées, elles ne peuvent pas servir de preuve scientifique. J’ai toujours eu du mal avec l’allopathie, parce que ca change tous les quatre matins. Donc apprendre une science qui retourne sa veste si souvent, je trouve ca difficile à tenir comme position. J’ai passé un diplôme de phytothérapie, dans l’espoir de faire de la phytothérapie et de prescrire.

Mais j’ai alors pris conscience que la prescription engageait le médecin vis-à-vis de son patient et de la société en général, que la prescription, c’était quand même une injonction de prendre un médicament. Le patient doit prendre un médicament en contrepartie d’une supposée confiance qu’il a envers son médecin.

C’est une vision de la médecine qui a toujours été difficile à entendre chez mes collègues. Par exemple un jour un monsieur a eu un retour de flamme dans le nez, j’ai proposé un aérosol de corticoïde. Les arguments scientifiques existent mais je n’ai pas réussi à les étayer. Donc on m’a opposé ça.

 

On n’est que des humains, on n’est pas des surhumains

J’ai la vision d’une médecine péremptoire. On n’est que des humains, on n’est pas des surhumains… Je pensais qu’en faisant ce métier j’avais un moyen d’être, entre guillemets, surhumain. Mais ça n’a pas été le cas. Je pense que ce n’est pas possible. J’ai pu l’être, quand j’ai sauvé un patient. Dans ces conditions, on se sent fort… C’est le bon côté des responsabilités. Mais elles restent trop lourdes.

J’ai eu cette remise en cause pendant mon internat. Ce ne sont pas des choses que j’avais perçues avant, au cours de mes études. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de stage chez un médecin généraliste avant d’être interne. Ensuite quand on est étudiant en médecine, on reste tout au plus quatre mois dans un service, et à une petite échelle. Quand on est plus encadré, on occupe une position centrale du jour au lendemain, avec des responsabilités qui nous dépassent.

C’est à la fin de ces trois ans que je me suis dit que ce n’était pas possible. Je ne suis pas passé loin du suicide. J’ai été hospitalisé et j’ai décidé de tourner la page. Je voudrais faire du conseil en phytothérapie.

Moi c’est comme ça que j’ai vécu le surmenage à l’hôpital, sous la forme d’une pression psychologique. Mais pour d’autres, c’est physique. Moi je supporte bien la surcharge de travail physiquement, mais d’autres en bossant 70 ou 80 heures, physiquement, ils sont fatigués. Le burn out chez les internes, ca existe. Je ne suis pas le seul.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier