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BILLET DE BLOG (5/5) – Conjoints de MG : les plus mal soignés, qu’ils disent…

Nombreux sont les médecins qui dévoilent un peu de leur quotidien sur la toile. Anecdotes, états d’âme ou coups de gueule, Egora.fr a sélectionné pour vous quelques-uns des meilleurs billets de médecins blogueurs. Docmaman est une jeune femme médecin généraliste remplaçante, mère de deux petites filles.
C’est aussi l’épouse d’un “ours” qui tombe, parfois, malade.

 

C’est un fait, l’homme et la femme ne sont pas égaux devant la maladie, comme peut en témoigner ce témoignage édifiant. Pour un même virus, les symptômes peuvent être bien différents, et surtout beaucoup plus graves chez les hommes, c’est bien connu. Si à côté de ça, on se rappelle que les cordonniers sont les plus mal chaussés, que dire des conjoints de cordonniers… L’Ours (mon mari) a donc expérimenté la terrible expérience d’être malade ET d’être marié à un médecin. C’est dire s’il a frôlé la mort.

Alors que moi-même je sortais à peine d’un mois de maladite, à tousser à longueur de journée, à en vomir, et à me déchirer les muscles intercostaux, tout cela dans l’indifférence générale, parce qu’une trachéite, c’est viral, donc y’a pas d’antibiotiques, donc chui pas vraiment malade – et qu’en plus chui médecin donc ça serait vraiment un comble d’être malade quand même, même si 30 personnes me toussent à la figure par jour – l’Ours a décidé lui aussi de se faire entendre.

Très vite ses quintes de toux et ses plaintes ont ainsi empli la maison de leur douce mélodie. A côté de ça, il a consciencieusement refusé toute prise de paracétamol proposée – c’est pour les fiottes – et on sait jamais que ça le soulage et qu’il n’ait plus aucune raison de se plaindre.

Bien qu’il se lamente à qui voulait l’entendre de sa malchance d’être marié à un médecin qui n’en a rien à faire de lui, je gardais néanmoins un œil sur lui. Après trois jours de fièvre, et surtout trois nuits à (ne pas réussir à) dormir à côté de “Siffly le pingouin” et me faire vider mes flacons de Ventopoumon, j’ai commencé à insister pour qu’il aille consulter.

Ah oui, parce que malgré ses regards de chien battu, mes seules réponses à ses plaintes restaient “tu devrais aller consulter”, je ne serai PAS ton médecin. Ouh là là non. Déjà parce qu’il est mon mari, et surtout parce qu’il est l’Ours. Je préfère confier cette lourde tâche à un autre, toutes mes condoléances cher confrère.

Et VRAIMENT, je pense que l’Ours mérite d’avoir un VRAI médecin qui sera attentif à ses plaintes, qui pourra compatir et lui donner du “ah là là oui c’est vraiment pas drôle ce qui vous arrive” plutôt qu’une Docmam, puisque la dernière chose dont j’ai envie en rentrant enfin chez moi après le boulot, c’est entendre quelqu’un se plaindre qu’il est malade. Je reconnais effectivement mon probable manque de compassion.

S’en est suivi une lutte silencieuse de plusieurs jours pendant laquelle l’Ours ne consulta pas – c’est pour les fiottes sûrement – et pendant laquelle je me demandais jusqu’à quel stade de complications je tiendrais avant de sortir mon stétho et mon ordonnancier.

Mais je sentais que c’était maintenant ou jamais, et qu’en serrant les dents un peu, j’arriverais à le refourguer à quelqu’un d’autre.

Notons que je n’avais absolument aucun soutien dans notre entourage, tout le monde trouvant ça absolument normal de ne pas aller consulter quand on a un médecin à domicile. “Elle est relou ta femme mon pauvre”.

J’ai donc supporté quelques nuits de plus à l’entendre s’étouffer, je l’ai laissé me gâcher le super mariage de mes amis parce que “je suis pas bien, on rentre” mais dès le lundi suivant, après une semaine de fièvre, l’Ours acceptait de prendre rendez-vous chez un médecin. Ne voulant pas laisser passer une si belle occasion, je m’empressais de lui griffonner le numéro de quelques confrères dont j’avais plutôt de bons échos, et lui fourrais le téléphone dans la main.

A la question qui ne manqua pas “êtes-vous patient du cabinet ?” l’Ours n’avait qu’à répondre la plus stricte vérité pour se vendre : “Non, depuis trois ans qu’on est dans la région, je n’ai pas eu besoin de consulter, du coup je n’ai pas de médecin traitant.” Il traduisait ainsi : un mec peu emmerdant, qui n’avait pas beaucoup de problèmes de santé, et qui ne demanderait donc pas beaucoup de temps à ce médecin déjà surchargé.

Retenez bien.

L’Ours a rétorqué tout de go : “ben non, mais ma femme est médecin et elle veut plus me soigner.”

Fail. Le boulet.

J’ai pris ma tête dans mes mains devant tant de bêtises. En plus de se présenter comme un gros relou, il met d’emblée la pression en annonçant un médecin dans l’entourage proche. Sans compter que j’espérais bien trouver un bon médecin pour ma petite famille sans que la relation se retrouve brouillée par “et sinon vous ne voulez pas me remplacer ? Vous installer avec moi ?” Il ne manquait plus qu’il annonce qu’il était prof, avec deux thèses et peut être prochainement une troisième, pour achever le malheureux.

Il a néanmoins décroché un rendez-vous pour le lendemain, et est revenu fier comme un paon avec un arrêt de travail et une ordonnance d’antibiotiques et de cortisone, ce qui ne m’a guère étonné. Il me l’a tout de même brandie sous le pif, sûrement comme preuve qu’il était bien malade, ce que je n’avais jamais renié.

Ma victoire ne serait pas complète s’il ne m’avait pas également montré sa feuille de déclaration de médecin traitant. Mes yeux s’illuminèrent. L’OURS A UN MEDECIN TRAITANT ! Reste encore à ce qu’il aille le consulter en cas de problème, mais maintenant que le premier contact est pris, j’ai bon espoir.

Malheureusement, mon œil professionnel ne manqua pas de lire ce qui était marqué sur l’ordonnance. Fluidifiants bronchiques, cortisone pour le côté Siffly, et 10 jours d’amoxicilline/acide clavulanique. Mazette, le collègue n’y allait pas avec le dos de la cuillère, sûrement avait-il flairé le côté relou du mec, et avait préféré assurer le coup avec une dose maousse d’antibios pour éviter de le revoir de suite.

Bon c’est mon côté médisant qui pense ça, mais après tout je ne l’avais même pas examiné, donc je ne critiquais en aucun cas la prescription. L’Ours lui, était convaincu qu’un tel traitement était entièrement justifié tellement son cas était GRAVE.

“Mais attends, t’as vu comment je tousse ???” (Ah ben ça je peux te dire que j’en profite aussi oui).

– (d’un ton compréhensif et conciliateur) Nan mais c’est pas une histoire de comment tu tousses, c’est juste que dans les bronchites, si y’a besoin d’antibios, on met en général de l’amoxicilline, et pas aussi longtemps d’emblée, c’est pour ça que je dis que c’est costaud ce qu’il t’a donné.

– Nan mais chez moi ça marche pas l’amoxicilline. (Atteinte du point “faut pas me donner la même chose que tout le monde, chez moi ça marche pas”. Je suis contente de ne pas être son médecin traitant !)

– (restons calme, je suis sa femme, douce et compatissante) On ne veut pas que ça marche “chez toi” en même temps, on veut que ça marche sur la bactérie. C’est pas parce qu’une fois y’a 3 ans ça n’a pas suffit que ça ne marche pas “chez toi”

– N’empêche que moi, je ne suis pas souvent malade, mais à chaque fois que je suis malade, je fais un gros truc ! Attends j’ai quand même fait un trismus ! (atteinte du point “moi docteur je suis pas souvent malade mais alors QUAND JE VIENS… !” Mais que je suis CONTENTE de ne pas être son médecin traitant)

-Tu ne fais pas plus des gros trucs que les autres, tu te soignes pas ou tu fais n’importe quoi !

Stop. Éclaircissons certains points. Il y a 3 ans, l’Ours a fait une angine. J’avais gracieusement accepté de regarder sa gorge, qui était effectivement bien rouge. Malgré sa violente douleur, je n’avais sur le moment aucun argument pour lui donner un quelconque traitement : pas de fièvre, pas de ganglions, et surtout rappelons que déjà à l’époque, je n’avais pas l’intention d’être son médecin.

En déplacement à la capitale, l’Ours a alors eu la très bonne idée de sa gaver d’ibuprofène pendant 4 jours.

[Point éducation thérapeutique : l’ibuprofène est un anti-inflammatoire. Pour résumer, il agit en limitant la réponse inflammatoire de l’organisme, c’est à dire effectivement la douleur et l’œdème, mais également la réponse immunitaire. Ce qui pose moyen problème en cas d’entorse ou de douleurs de règles, mais qui peut devenir fort fâcheux en cas d’infection, les bactéries profitant de ce mécanisme de défense freiné pour s’installer confortablement. Tu la vois venir la chute ?

Rajoutons qu’en plus, pris à tord et à travers, l’ibuprofène peut avoir des conséquences quelque peu ennuyeuses comme des saignements digestifs ou une insuffisance rénale, entre autre. Bref bien qu’en vente libre, l’ibuprofène n’est pas un bonbon, et en première intention, sans avis médical, préférez lui ce bon vieux paracétamol.]

A son retour, dans le mille, l’Ours avait développé un joli abcès derrière l’amygdale, qui venait titiller les muscles de sa mâchoire, provoquant ainsi le fameux trismus, c’est à dire une contracture l’empêchant d’ouvrir complètement la bouche. Bien évidement cela s’est résolu par une visite en urgence chez l’ORL et 10 jours d’amoxi/clav.

De cet épisode, l’Ours a retenu une bonne leçon. Non, pas “je ne prendrais plus d’ibuprofène n’importe comment comme un gros nul” mais “l’amoxicilline, ça marche pas chez moi, il me faut plus fort.” Admirez la logique.

Revenons à notre bronchite d’homme. Devant l’air renfrogné de l’Ours, j’adoucis le ton.

– Enfin bon, je veux juste dire que ce qu’il t’a donné, c’est ce qu’on donne pour une pneumonie plutôt, et encore. (que n’avais-je pas dit)

– Et comment vous faîtes la différence entre bronchite et une pneumonie ?

La question était posée avec une curiosité réelle. Me voilà partie dans des explications sur les anomalies à l’auscultation pulmonaire, la présence d’un foyer et tout et tout.

– Et ben C’EST ÇA ! Il a écouté vachement longtemps à droite ! Je crois qu’il a dit que c’était pas symétrique. En fait j’ai une PNEUMONIE, c’est ça.

A partir de ce moment, l’état de santé de l’Ours à travers ses paroles a évolué de façon inversement proportionnelle à l’évolution de son état clinique. Plus il se remettait, plus le diagnostic empirait.

Il fallait l’écouter au téléphone.

De “j’ai une bonne crève” des premiers jours, il est passé à “j’ai une sale toux, ptet une bronchite” avant sa visite chez le médecin, puis à “j’ai une bonne bronchite, je suis sous antibio pour 10 jours !”

Le coup de fil suivant, “grâce” à moi, il avait une grosse pneumonie, la durée des symptômes augmentant également au fil des appels pour atteindre “deux bonnes semaines de fièvre et un mois à tousser”, sans oublier la mise en avant des antibiotiques comme gros signe de gravité. (Oui rappelons que l’infection virale qui m’a mis sur les rotules pendant un mois ne compte pas, seul l’Ours a été malade, et pas qu’un peu mon n’veu)

J’ai préféré quitter la pièce avant le prochain coup de téléphone, de peur qu’il ne passe à deux doigts de la réanimation à cause de sa femme médecin qui ne s’occupait même pas de lui.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Docmaman