Nombreux sont les médecins qui dévoilent un peu de leur quotidien sur la toile. Anecdotes, états d’âme ou coups de gueule, Egora.fr a sélectionné pour vous quelques-uns des meilleurs billets de médecins blogueurs. Genou des alpages est un médecin généraliste installé dans un cabinet de montagne. Il raconte un week-end d’astreinte en pleine saison.

 

Mi Février. Cabinet de montagne.

Ce samedi matin, le beau temps enfin retrouvé coïncide avec le début des vacances scolaires. Il y aura sûrement plus de monde sur les pistes et dans les locations saisonnières, et notre centre médical est d’astreinte.

Un de nos associés a arrêté de fait, sa participation aux astreintes de week end. Comment lui en vouloir, à 63 ans. Mon deuxième associé a décidé de protéger un peu sa vie familiale en se faisant remplacer autant que possible, les week-ends. C’est légitime. D’ailleurs, nous avons trouvé quelques jeunes médecins, prêts à en découdre en remplaçant dans un centre médical de médecins de montagne.

Ce samedi, je commence donc mon week-end d’astreinte avec Alexandra, une de nos dernières stagiaires, actuellement en 3ème année de médecine générale et en cours de DESC de médecine d’urgence. C’est un médecin remarquable, compétent et consciencieux, doublé d’une jeune femme absolument charmante. Ce qui ne gâte rien. Bien sûr, c’est un de ces premiers remplacements, mais elle a exercé aux urgences et elle a travaillé six mois avec nous. Ce n’est donc pas une “oie blanche” de la médecine de montagne.

 

Midi et quart, l’heure du brancard ! Pas grave, on mangera plus tard !

Le samedi matin est habituellement occupé par les sempiternelles rhinopharyngites des enfants du bled. Vers midi on commence à voir arriver les vacanciers : “Il tousse depuis 3 jours, mais comme on a vu votre cabinet ouvert en arrivant à la location, on en profite avant le week-end…” Déjà les premiers traumatismes du ski déboulent. Normal, il est 12h15. C’est l’heure habituelle des ambulances. Midi et quart, l’heure du brancard ! Pas grave, on mangera plus tard !

En plus des “caca mous” de dernière minute, il y a maintenant deux blessés dans le centre médical : un enfant qui présente un poignet fracturé avec une belle déformation en dos de fourchette et une jeune femme sur la table de radio, le genou dans une attelle. Je ferme la porte du cabinet afin que l’on puisse se concentrer sur les blessés, mais en dépit du panneau “FERME” et du store abaissé, les familles continuent d’entrer en salle d’attente. “On a vu que vous y étiez encore, alors on en profite. J’ai les trois enfants qui toussent…alors à y être…”

On aurait bien besoin d’aide pour réguler ces abus, mais il y a maintenant plusieurs années que nous ne demandons plus aux secrétaires de venir les samedis et les dimanches. Politique de réduction des coûts. Nous sommes seuls, Alexandra et moi-même, et la salle d’attente enfle dangereusement, une famille pénétrant ou sortant du centre signalant la porte ouverte à d’autres enrhumés.


Et déjà le SAMU nous “facilite” la tache en nous envoyant moult bêtises :
– ” Bonjour c’est le SAMU. C’est bien vous qui êtes d’astreinte ?”
– ” Ben oui. Vu qu’on est sur la liste ! “
– ” On vous envoie un enfant qui a 38° de fièvre depuis 2 jours…”
– ” Ça ne peut pas attendre ? C’est pas le moment là…”
– ” Non, c’est le médecin régulateur qui veut ! Euh, il est où votre centre médical ? “
– ” Même endroit que d’habitude depuis 5 ans : 12 rue des marmottes. Près de la pizzeria…”


C’est le moment que choisit le fils de M. D., un de mes patients habituels pour appeler le cabinet : “Mon père a du mal à respirer. Il dit qu’il s’étouffe. Pouvez-vous venir de suite ?” J’aime beaucoup la famille D. et l’appel est on ne peut plus légitime. Mais là, je ne peux pas. Je suis tout simplement incapable de quitter le foutoir qu’est devenu le centre médical en laissant Alexandra gérer seule le gamin qui hurle en salle d’urgence, la jeune femme sur la table de radio, la troisième ambulance qui vient d’arriver sur le parking et dont je vois le gyrophare à travers le verre dépoli de ma fenêtre, et la salle d’attente pleine de gamins turbulents.

D’ailleurs, il a un médecin du SAMU basé à quelques kilomètres à peine. Une détresse respiratoire, c’est pour le SAMU, non ? Le fils en question est un garçon intelligent et débrouillard. Je lui demande de composer le 15 et de me tenir au courant s’il a des difficultés. M. D. n’habite qu’à quelques kilomètres lui aussi. J’arriverai peut être à quitter le cabinet un peu plus tard.

14 h. Je radiographie le genou, calme la douleur du marmot, immobilise son poignet, puis brancarde la patiente du genou en salle d’urgence, porte le gamin en salle de radio effectue mes radios du poignet, lance le développement, change les bains de la développeuse, puis écluse un catarrheux et deux diarrhéiques, reviens chercher les radio du genou et du poignet… et 15 minutes plus tard M. D. franchit la porte du cabinet en respirant comme une carpe, soutenu par son fils et sa belle fille.

Le fils m’explique qu’il a appelé le SAMU et est resté en ligne plus de 7 minutes sans réussir à obtenir un permanencier. “On a l’annonce d’accueil et la musique, et puis ça sonne sans s’arrêter… Au bout de 7 minutes j’ai décidé de vous l’amener directement.” M. D. peine à respirer. Ça pourrait bien être un bronchospasme. Seulement voilà, M. D. est insuffisant cardiaque et polyvasculaire. Alors ça peut être aussi bien un oedème pulmonaire, une embolie pulmonaire ou un infarctus…

Je l’installe dans mon bureau. Oxygène : 9 l/min. ECG normal. Examen clinique. Pas de sibillances mais un temps expiratoire mal entendu. SpO2 : 94% Pas de péril imminent. Pas de signe d’insuffisance cardiaque. Probablement un bronchospasme ! D’ailleurs son fils me dit qu’il a eut un incendie à la cave de sa maison la veille, et qu’il a respiré de la fumée. Je branche un aérosol de broncho dilatateur qui semble rapidement efficace. Ouf. J’injecte rapidement un Solumédrol IV et un Bricanyl sous cutané. Alexandra reste avec moi. Elle est efficace. C’est agréable de ne pas être seul, de pouvoir partager nos avis sur la détresse du patient.

Mais déjà on cogne à la porte du bureau. Une tête bonnetée apparait dans l’entrebâillement : “Il y a une dame qui saigne dans la salle d’attente ! Il faudrait faire quelque chose…” Alexandra quitte la pièce et prends en charge la patiente en question, qui, je l’apprendrai plus tard, a reçu un coup de poêle à frire sur la tête, de la part de son compagnon. Elle est alcoolisée et couverte de sang. Une vision digne des “walking dead” impressionnante pour les petits renifleurs de la salle d’attente, qui, pour le coup, ne mouftent plus. Je poursuis mon chassé croisé entre mon bureau et la salle de radio.

Alexandra prends en charge la plaie du crâne. La femme ôte son béret détrempé de sang. Un énorme caillot tombe au sol dans un bruit mouillé, tandis qu’une artériole asperge le mur du cabinet…

16 h. Pas le temps de manger. Les blessés affluent maintenant par vagues. La loi des séries. Deux jeunes surfeurs avec des fractures du poignet, fort heureusement peu déplacées, que l’on pourra plâtrer ici. Deux entorses du genou chez des jeunes filles, dont une rupture du ligament croisé antérieur. Une plaie du mollet chez un skieur (carre trop affuté), une plaie de la main chez un saisonnier de la restauration.

Et le SAMU qui poursuit son travail de sape en continuant de nous adresser les grippés et autre tousseurs …

– “C’est bien vous qui êtes de garde ?” – “Toujours, oui !”
– ” Il est où votre cabinet médical ? ” – “Au même endroit qu’il y a deux heures !”

Un vacarme couvre le brouhaha de la salle d’attente. Des bruits de chaussures de ski dans l’entrée. Des éclats de voix. Un groupe de nos voisins transfrontaliers vient d’entrer dans le cabinet en parlant fort. Ils accompagnent les ambulanciers qui déposent sur la table de radio une de leurs amies qui semble souffrir du genou. La douleur doit être importante si j’en juge aux cris d’orfraie de la belle en combinaison de ski fuschia.

Perfusion. Morphine. Perfalgan. Radio face et profil. J’ai un doute. Les 3/4 mettront en évidence une magnifique fracture du plateau tibial. C’est là que les choses se compliquent. Par chance la jeune fille a une assurance qui rembourse les soins primaires en cas d’accident sur pistes. J’appelle l’assurance. Le médecin conseil d’astreinte est d’accord pour la transférer mais me laisse le “soin” de contacter moi-même une compagnie d’ambulance arguant de son éloignement et de sa méconnaissance de la géographie et des intervenants locaux. Dont acte! Mais les ambulanciers locaux sont déjà occupés. Et puis d’ailleurs, ils sont échaudés et acceptent d’intervenir plus tard, pour la ramener au delà de la frontière, que s’ils disposent d’un ordre de mission de l’assurance. Ordre de mission que l’assurance assure ne pas avoir à fournir… et tout le monde se tourne vers moi, qui suis le seul intervenant ennuyé. Avec la patiente, tout de même.

Comme elle n’est pas française, le SAMU se défausse tranquillement mais essaie de me fourguer au passage une visite pour une mémé fiévreuse à 15 km.
– ” Là ? Maintenant ? NON ! “
– ” Et au fait, c’est bien vous qui êtes de garde ? Et il est où votre centre médical ? “
– ” C’est marqué dans les pages jaunes ! “

18 h. Mon sandwich, toujours intact, me fait des clins d’oeil sur le bord du bureau. Un jeune infirmier déboule en ambulance avec une fracture de l’humérus. Le temps de lui poser une perfusion, de lui passer un Perfalgan, de lui titrer la morphine et de passer un coup de fil. Il repart illico dans la même ambulance. Sans payer. Tant pis. Dans l’urgence les blessés et les familles oublient souvent de régler…

Dans un désordre indescriptible, les blessés et les enrhumés continuent de se télescoper au centre médical. J’ai vu 30 personnes depuis ce matin, dont une bonne moitié de traumato. J’ai fait 4 ou 5 manchettes platrées, et posé deux sangles claviculaires.

Alexandra se débat avec ses patients. Elle assure. Pas hyper rapide, mais fiable et efficace. De temps en temps, on échange sur une radio ou sur la meilleure attitude thérapeutique devant cette luxation acromio-claviculaire sévère ou devant cette cheville douloureuse mais non fracturée.

20 h. Cela fait 4 heures que la Castafiore nous “régale” de ses jérémiades ibériques désespérées. Même ses potes commencent à craquer. Je n’ai plus d’empathie. Il me vient une grosse envie de lui coller une paire de claques. Je doute que ça l’insonorise, mais ça me ferait peut-être du bien…

Les rhino continuent d’affluer : “Mon bébé tousse depuis cet après midi et je voulais être rassurée”
C’est incroyable comme les gens ont besoins d’être rassurés.

21 h. J’ai remis mon sandwich au frigo. De toutes manières je n’ai plus faim.
Je prends la serpillière et commence à nettoyer le centre médical. Geneviève, la femme de ménage ne passera pas ce samedi soir et nous sommes de garde cette nuit et encore demain, jusqu’à lundi. Le sol est trempé et couvert de la boue. Une fois le sol correct je m’attaque aux murs aspergés de sang. Les restes de “poêle à frire”.

22h. Les derniers patients sont partis. Je m’attaque à la comptabilité et à la télétransmission.
Alexandra prendra cette nuit d’astreinte tandis que je prendrai dimanche soir. Elle ne sera plus appelée cette nuit.

Dimanche 9 h : Je rejoins le centre médical. Il vaut mieux ne pas attendre les appels. Lorsque j’arrive, Alexandra a déjà commencé les consultations. Des rhino et autres syndromes grippaux adressés par le SAMU.

11h. Les premiers trauma du ski déboulent. Poignets cassés et entorses du genou. As usual. Enfin non, pas vraiment comme d’habitude. En général ça commence à midi. Là, c’est encore plus tôt. Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on va avoir le temps de manger.

13 h. La 4ème ambulance de la journée amène une jeune fille qui a rencontré un sapin sur son chemin. Les pisteurs ont eu toutes les peines à l’allonger dans le matelas coquille. De toute évidence ses blessures doivent être sérieuses et elle n’a, à mon avis, rien à faire dans ce centre médical. La régulation aurait du l’envoyer directement dans un centre hospitalier, mais la régulation… Puisqu’elle est là on va au moins faire un premier bilan et tenter de la calmer.

Elle tient un sac en plastique rempli de neige sur sa joue gauche et saigne de la bouche. Elle souffre en silence. Son genou est déjà extrèmement gonflé et visiblement très douloureux. Il sera plus facile de soulager sa douleur avec une perfusion. Perfalgan – Morphine, ça va mieux. On décoquille prudemment. Pas de douleur du rachis. On enlève ses chaussures de ski. Son genou est visiblement disloqué. Une entorse très sévère, de toute évidence. Peut être une luxation du genou. Les radios ne montrent pas de fracture. C’est déjà ça.

Le bilan ligamentaire sera fait à l’hôpital Il sera sûrement lourd… J’examine sa bouche. A la manière “rigolote” qu’ont ses dents de jouer à “saute mouton”, je comprends que sa mandibule est fracturée. Fracture ouverte donc. Antibiotiques. On commence à organiser le transfert en milieu hospitalier. Compliqué là aussi car elle n’est pas française et son père réclame légitimement une ambulance pour un grand hôpital au delà de la frontière.
Et le cirque de la veille recommence.

Le SAMU téléphone régulièrement : – “C’est bien vous qui êtes de garde ?, On vous envoie un bébé pour de la fièvre et une dame qui tousse. Et euh… il est où votre centre médical ? …”

16h . La salle d’attente est pleine. La salle d’urgence aussi. La salle de radio est occupée également par un traumatisme du “coté” qui se révèle en fait être une violente douleur dorsale. Les trauma du rachis n’ont rien à faire dans un cabinet de médecine de montagne. On le répète à l’envie depuis des années. C’est une perte de chance pour eux. Seulement voilà, ça arrange tout le monde de les “gerber” rapidement dans nos centres médicaux. On attend donc une ambulance pour l’amener à la DZ. Mais il n’y a plus d’ambulances sur le secteur et d’ailleurs les hélico ne sont pas disponibles de suite. De plus, le SAMU refuse de mobiliser les pompiers, pour ne pas dégarnir le secteur… C’est un choix.

Entre les sutures, les résines et les radios nous n’avons plus le temps de répondre au téléphone qui n’arrête pas de sonner. Alexandra se démène. Petit à petit on écluse les patients. De temps en temps je mange un morceau de pain avec du fromage en continuant à travailler. Je suis plutôt résistant, mais là j’en ai marre. J’ai juste envie d’être très loin, dans un endroit tranquille. Le trop-plein arrive.

18h30. Je pensais que les pistes étaient enfin fermées, mais je vois avec une réelle angoisse arriver la énième ambulance de la journée qui décharge un gamin de 12 ans qui présente une évidente fracture de l’avant bras. Encore une collision avec un sapin. Qu’est-ce qu’ils ont cette année avec les sapins ? Je n’en peux plus de ramer. C’est le patient de trop. En plus il est agité et opposant. Ça m’énerve.

Le SAMU appelle à ce moment pour essayer de nous refiler une visite pour un nourrisson diarrhéique. “Ça fait deux heures qu’on essaie de vous joindre. Vous ne répondez pas aux appels ! Je vous rappelle que vous êtes d’astreinte !” Pas le temps d’expliquer une fois encore. De toutes manières, avec la multitude des intervenants et l’absence visible de toute communication interne, ils n’entendent jamais rien !

Je ravale péniblement ma colère et m’occupe du gosse. Il se plaint de son poignet. De toutes manières je ne peux rien faire ici. Sauf calmer la douleur. 50 kg environ. Allez : 3 mg de morphine sous cutanée. Il se calme en quelques minutes, puis finit par somnoler. Le contrecoup. Il présente également une éraflure de la joue et une petite plaie de la lèvre. Je suture mécaniquement sous anesthésie locale en ruminant de sombres pensées.

19 h. Je m’occupe du transfert maintenant. Pas d’ambulance avant au moins 2 h. Il fait nuit, donc il n’y aura plus d’hélico non plus. Et j’ai encore une visite à faire plus tard. J’ai envie de tout envoyer péter! La mère du gamin me parle, mais malgré mes efforts je n’entends plus rien. Je perçois sa voix à travers un brouillard, sans comprendre ses paroles. Trop c’est trop ! Qu’ils s’en aillent !

Pas d’ambulance ? Après tout il n’y a pas de péril imminent pour une fracture du poignet et, même sous morphine le gamin est vigile. Sa saturation est à 96 %, normale. Ils partiront donc en voiture individuelle vers l’hôpital qui leur convient, à 2 h de route. Pas parfait comme solution. Mais je n’en n’ai pas d’autre.

20 h. Les derniers enrhumés viennent de partir. Ils voulaient être rassurés ! C’est fait. Alexandra est rentrée chez elle. C’est moi qui prends l’astreinte ce soir. Mais avant de partir faire ma dernière visite, je passe la serpillière une dernière fois et range un peu le bazar. Je ne peux pas décemment laisser un tel bordel à notre secrétaire même si je sais qu’elle va de son propre chef venir plus tôt demain pour faire le ménage du cabinet.

21h30. Je rentre enfin à la maison. La route est blanche. J’espère ne pas ressortir ce soir. Je n’ai pas faim. Plutôt la nausée. Epuisé ! Je ne crois pas avoir jamais été comme ça. Les saisons nous permettent de tenir le reste de l’année dans cette zone de montagne. C’est à ce prix que je peux encore vivre ici. Mais ce soir l’évidence m’apparaît : C’est trop cher payé !

23h30. Pas sommeil. Je suis toujours énervé. moi qui gère plutôt bien le stress habituellement.
Je vais au lit tout de même en retournant dans ma tête les décisions qui vont s’imposer prochainement.

23h50. Le téléphone sonne. Je sursaute. Un numéro inconnu. Une voix de femme. Jeune.

-” Bonsoir c’est l’interne de pédiatrie du CHU où vous avez envoyé l’enfant X… Y….”
Le dernier gamin. Celui avec la fracture du poignet et la plaie de la lèvre. Les gens du CHU n’appellent jamais. Sauf quand ils veulent briller ou se moquer. Je sens que je vais en prendre plein la g…
-“Je voulais savoir combien de morphine vous lui avez injecté. “
– “3 mg en sous cutané. “
C’est consigné sur le compte rendu que j’ai donné aux parents. Elle ne l’a pas lu, ou alors les parents l’ont perdu, ou alors il y a autre chose…
– “Et puis je voulais aussi savoir si ça vous arrive souvent d’envoyer des fractures de Lefort 2 en voiture particulière ? “

Oups. Voilà. Le SCUD est largué. Je sens toute son arrogance de spécialiste hospitalière face au généraliste qui, nécessairement, fait n’importe quoi, puisqu’il est généraliste. Rural qui plus est, le généraliste ! Et libéral encore ! Ouh ! le vilain ! Elle a décidé de “se le payer” à minuit, cette gourde, depuis l’abri des murs de son Hôpital/château, avec ses chirurgiens, ses infirmières, ses brancardiers, ses manipulateurs radio, ses agents de sécurité et ses secrétaires. Depuis le confort du chemin de ronde, la petite princesse moque le manant qui gratte la terre à l’extérieur des douves, et lui jette quelques détritus. – “Tiens, prends ça ! gueux !”

Mais elle a un peu raison, cette petite conne. Ce soir j’ai été dangereux. En temps normal j’aurais compris que l’agitation de ce gamin faisait partie d’un tableau de commotion cérébrale, même si le trauma crânien ne m’avait pas été annoncé. J’aurais pris au sérieux cette éraflure du visage et cette plaie de la lèvre. Fort heureusement, il n’y aura pas de conséquences pour cet enfant. Mais je sais que je n’étais plus en état de travailler ce soir. Potentiellement c’est grave. L’an dernier je m’inquiétais d’être à la limite de mes capacités. Cette année, j’ai dépassé la ligne rouge.

Trop c’est trop. On ne peut plus faire ce qu’on fait avec des moyens chaque année plus limités. Pour moi, c’est clair. Quoiqu’il arrive, je ne ferai pas la prochaine saison de traumatologie du ski. Le SAMU sera content. J’aurais tout le temps de m’occuper des rhino et des gastro-entérites !

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Genou des alpages