Julie Wasselin a été visiteuse médicale pendant 25 ans. Fille d’un médecin généraliste, elle a arrêté d’exercer ce métier il y a neuf ans à l’âge de 60 ans. Dans un livre intitulé Le quotidien d’une visiteuse médicale ou la promotion du médicament en France (édition L’Harmattan), elle dévoile le quotidien d’une profession qu’elle a d’abord aimé avant qu’elle ne devienne sinistrée.

 

Egora.fr : Comment est-ce que vous définiriez le métier de visiteuse médicale ?

Julie Wasselin : Je définis le métier de façon humoristique en disant que c’est une sorte de mélange entre un homme sandwich et un chauffeur routier. Nous sommes des arguments publicitaires et rien d’autre. Nous faisons partie des frais publicitaires pour un laboratoire. Nous ne vendons rien, nous faisons de l’information, ce qui est très pompeux je trouve alors que nous attendons vraiment les résultats des ventes. Les visiteurs médicaux (VM) sont tout le temps en voiture. Les dernières années, je faisais 300 kilomètres par jour.

 

Vous avez été visiteuse médicale pendant 25 ans, d’après vous, comment la situation a-t-elle évolué ?

Lorsque j’ai commencé, nous étions 7000. C’était vraiment facile. Les médecins nous recevaient d’une façon très agréable. Parfois, ils nous offraient un café, nous déjeunions ensemble. Nous avions rapidement des relations amicales. Ce métier m’a permis d’élever mes enfants puisque j’étais toujours rentrée avant la sortie de l’école. Le profil de la visiteuse médicale type était la jeune femme divorcée avec enfants, obligée de se battre pour vivre. C’était mon cas. A l’époque les labos préféraient embaucher des femmes car elles connaissaient beaucoup moins leurs droits que les hommes et que les médecins étaient beaucoup plus patients avec la gent féminine que masculine.

Les laboratoires ce n’est pas l’armée du salut, en séminaire, ça ne parlait que d’argent et de boîtes vendues. Ils ont fini par embaucher de plus en plus de visiteurs médicaux. Certains labos avaient quatre ou cinq visiteurs en doublon sur le même secteur. Les médecins ça les rendait fous, d’avoir des personnes qui passaient tous les quinze jours leur répéter la même chose. Ils ont commencé à fermer leurs portes. Il a donc fallu prendre des rendez-vous qui étaient d’abord pour dans trois mois, puis six, puis un an… C’est devenu une galère épouvantable. On était tellement nombreux qu’on se marchait sur les pieds. Les médecins ont un travail fou et on leur prend beaucoup de temps, sans leur rapporter un sous, mis à part les cadeaux et les invitations…

A l’heure actuelle, les visiteurs médicaux qui sont là depuis longtemps arrivent encore à tourner. Ils ont des portes ouvertes. Mais ceux qui débutent n’ont pas de rendez vous. Ca devient impossible. Je trouve scandaleux qu’il y ait des jeunes qui payent des études sur deux ou trois ans, à plusieurs milliers d’euros pour passer le diplôme de visiteur médical, qui n’est d’ailleurs pas facile, alors qu’il n’y a pas de débouchés. Les labos licencient de plus en plus.

 

Avez-vous le sentiment que les médecins généralistes ont changé ?

Non, ils n’ont pas changé, c’est leurs conditions de travail qui ont changé. Ils sont de moins en moins nombreux alors que la population est de plus en plus vaste. Leur patientèle explose et ils ont donc beaucoup moins de temps à consacrer à la visite médicale. Pourtant ils ont l’obligation de se former.

 

Pensez-vous vraiment que les médecins se forment via les visiteurs médicaux ?

Ils n’ont pas le temps de faire autrement. Ils n’ont pas le temps de lire les revues médicales. Elles s’empilent le long des murs.

 

Vous parlez de manipulation des médecins…

Nous ne savons que ce que les labos veulent bien nous apprendre. Nous n’avons pas fait médecine. Nous subissons un peu du bourrage de crâne. Lorsque nous en sortons, nous sommes persuadés que notre médicament est le meilleur. Si on nous raconte des choses fausses, nous n’en sommes pas conscients. Je disais souvent aux médecins pour les nouveaux produits, essayez le, si cela vous convient, vous pourrez le prescrire. J’ai toujours été comme ça car mon père était généraliste et il m’a toujours dit “ne raconte pas d’âneries à un médecin parce que le client, c’est lui qui va le perdre, ce n’est pas toi !”

 

Quelle a été la réaction de votre père lorsque vous lui avez dit vouloir devenir visiteuse médicale ?

Mon père était un précurseur, il n’a jamais voulu les recevoir ! Il n’en recevait qu’une parce qu’elle faisait de la voile dans le même club que lui, alors ils parlaient voilier ! Quand il su que j’allais faire ce métier, il n’était pas content du tout. Les médecins ne sont pas tous comme mon père. Certains adorent les visiteurs médicaux. J’ai gardé des copains. J’ai fait lire mon livre à un ami cardiologue et il m’a dit que je n’avais pas raconté d’âneries. C’était important pour moi.

Avec du recul sur le livre, je me suis dit que j’avais attaqué les médecins, peut être même plus que les labos. Je n’en étais pas consciente en l’écrivant. En fait c’est normal, s’il y a eu autant de dérive de la part des labos, c’est parce que les médecins ont accepté de se faire acheter. Si les médecins n’avaient pas accepté tous les cadeaux, les labos n’auraient pas pu les manipuler de la sorte.

 

Comment étiez-vous formée sur les médicaments ?

Nous étions entièrement formés par les labos. Nous apprenions d’abord la maladie concernée par un produit. Puis nous apprenions le produit et la façon dont il fonctionne. C’était très pointu, du niveau internat. Je me rappelle avoir beaucoup galéré sur le diabète par exemple. On apprenait comment le médicament marche, à qui il faut ou pas le donner, pourquoi, avec quoi… Par contre je n’ai jamais entendu dire que le produit avait des défauts. Alors qu’ils en avaient tous forcément.

 

Certains médecins proposent de supprimer la profession de visiteur médical, qu’en pensez-vous ?

J’ai des amies qui travaillent encore et qui ont très peur de perdre leur travail. Mais je comprends les médecins. Cela leur prend beaucoup de temps alors qu’ils sont débordés. Ils ont peur de se faire rouler, que l’information soit orientée.

En même temps s’ils ne reçoivent pas les visiteurs médicaux, je me demande comment ils s’informent. Ils n’ont pas le temps. Ils travaillent comme des bêtes. Il faut bien qu’ils dorment un peu !

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin