A la tête de la lutte contre la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, le docteur Gérald Kierzek a été démis lundi 8 juillet de ses fonctions de responsable du Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR). Il reste praticien hospitalier et entend poursuivre son combat. Les syndicats et des élus Front de Gauche, PS et UMP demandent l’annulation immédiate de cette suspension. Hier soir, un rassemblement en soutien à Gérald Kierzek était organisé devant l’Hôtel-Dieu.

 


Vous êtes démis de vos fonctions de responsable du Service SMUR, pourquoi cette éviction ?

Je dérange l’AP-HP. Elle veut récupérer les locaux de l’Hôtel-Dieu pour y installer ses bureaux et faire une opération immobilière en vendant le siège administratif. Pour faire ça, elle ne peut pas dire qu’elle ferme un hôpital, ça fait désordre à l’approche des municipales. Donc depuis des mois, elle trouve des raisons. Elle dit l’hôpital est vieux, ce qui est complètement faux. Elle déshabille les services et puis dit “Ah vous voyez nous n’avons plus de réanimation, donc on ne peut plus faire tourner les urgences”. Là aussi c’est faux. La moitié des services d’urgence n’ont pas besoin de réanimation derrière.

Donc l’AP-HP nous vend une espèce de projet vitrine : l’hôpital universitaire de santé publique. Un hôpital sans lits, au cœur de Paris. Avec 13 millions de touristes sur le parvis de Notre-Dame, et 750 000 passagers dans le RER qui passe en dessous, ce n’est pas rien. Et c’est juste un drame si on créé un désert hospitalier en plein cœur de Paris. Sachant que tous mes collègues dans les services d’urgence autour, à Lariboisière, Cochin, Pitié Salpêtrière, Saint-Antoine, croulent déjà sous le boulot et ne sont plus capables d’accueillir des malades avec dignité. Les gens attendent des heures avant de voir un médecin. Ils sont sur des brancards, ils attendent des lits.

 

Que vous-est-il reproché ?

Si je pense qu’un projet institutionnel est un mauvais projet, c’est de mon devoir de médecin de le dire, de le dénoncer, de le montrer à qui de droit. Et c’est ce que j’ai fait en faisant venir les politiques et les médias. Je leur ai montré que les urgences étaient neuves, qu’elles rendaient service, que c’étaient les seules sur 9 arrondissements parisiens et que partout autour c’était plein. C’est ça qu’on me reproche.

J’ai aussi fait visiter à Nathalie Kosciusko-Morizet les services d’urgence de Lariboisière et de l’Hôtel-Dieu le soir de la Fête de la musique. Ca débordait de partout. Il y a eu 279 malades à Lariboisière et 209 chez nous à l’Hôtel-Dieu. Et vous imaginez fermer l’Hôtel-Dieu ? Ce qui veut dire 488 malades à Lariboisière, pour un médecin de garde, ou même deux. Mais ils vont pousser les murs ? Ce n’est pas possible.

Donc pour me faire fermer ma bouche, je reçois un recommandé avec accusé de réception. On m’explique que j’ai un devoir de réserve, ce qui est manifestement l’obligation de se taire, on me reproche la venue de personnalités politiques et de médias dans le service. Mais les élus de la République ont le droit de voir, de visiter, de regarder les choses. Ce n’est pas ma compétence professionnelle qui est remise en cause, c’est bien mon engagement. Mais si leur projet était suffisamment fort, ils n’auraient pas à avoir peur de moi. Là, ils voient que tous les politiques qui viennent reconnaissent que c’est une évidence qu’il faut garder ces urgences et cet hôpital. Vu la faiblesse de leur projet, ils utilisent la peur.

 

On se souvient de la démission de Pierre Taboulet en septembre dernier. Maintenant vous… Y’a-t-il un problème à l’APHP avec les services d’urgence ?

Bien sûr qu’il y a un problème à l’AP-HP, il y règne un climat de terreur. Les médecins ne sont plus entendus. La Commission médicale d’établissement (CME) ne représente plus les médecins, et l’administration s’appuie sur cette CME pour pouvoir prendre des décisions. Mais elle est complètement déconnectée de la réalité, et en particulier des services d’urgence. On entend parler la ministre de Pacte de confiance, mais on en est loin, du pacte de confiance. Quand on fait confiance à quelqu’un on lui donne les clés de la maison, ou en tout cas, on partage les clés.

A l’APHP, on muselle les gens. Il y a une obligation de se taire. Et quand on ne se tait pas, voilà ce qui arrive, on reçoit des recommandés avec accusé de réception. Là, on est monté d’un cran quand même. Avant, on poussait les gens à démissionner. Mon collègue Pierre Taboulet, à Saint Louis avait démissionné. Pareil pour Caroline Rey, qui était la responsable du médico-judiciaire à l’Hôtel-Dieu. Maintenant quand vous ne démissionnez pas, on vous démissionne. On est vraiment dans un climat de terreur, dans un refus de dialogue.

En face il y a un rouleau compresseur qui est l’administration, qui veut de toute façon récupérer l’Hôtel-Dieu, et surtout que les blouses blanches la ferment. Et dès qu’il y a quelqu’un qui dépasse, on coupe. Avec une valeur d’exemplarité en plus. Vous pensez bien que si moi on me démissionne, ça ne va pas donner beaucoup de courage à mes collègues. Et ça impacte l’ensemble de la politique de ressources humaines de l’Assistance publique. Les jeunes médecins sont formés à l’AP-HP, ils se donnent pendant des années, ils sont pressés comme des citrons… et ils se tirent de l’AP-HP, voilà la réalité des choses. Et donc on est en retard de 20 ans, parce qu’on n’arrive pas à recruter les gens. Avant c’était prestigieux d’être médecin hospitalier, maintenant on se fout de ma gueule quand je dis que je suis praticien hospitalier.

 

Les médecins n’ont-ils pas été consultés pour ce projet ?

A l’AP-HP, on est dans une organisation qui est quand même assez spéciale. Le projet a été soumis aux 55 membres de la CME. 53 qui ont voté pour la fermeture. Mais ce sont 53 personnes qui sont extérieures à l’établissement. Et il y a un conflit d’intérêt évident. Les collègues, qui sont aussi en difficulté chez eux, se disent que si un autre établissement que le leur ferme, ils pourront récupérer des moyens. Et je les comprends. Mais quand on parle avec eux en off, ils vous disent tous que c’est une connerie la fermeture de l’Hôtel-Dieu. Tous. Là encore, c’est un climat de terreur. Et les deux seuls qui ont voté contre, c’est Patrick Pelloux, urgentiste qui connaît bien la situation des urgences et qui sait que ce sera un drame si on ferme les urgences, et Nicolas Dantchev qui est chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu.

On voit bien que c’est la cacophonie. Il n’y a pas de projet médical. Il y a une direction générale qui ne sait plus où elle va. Depuis deux ans et demi, on a une directrice de projet, Sophie Albert, qui est à côté de ses pompes. Elle ne connaît rien à la médecine. Ils ont mis un chef de projet médical, le professeur Fagon, qui n’a jamais fait d’urgence ni de médecine générale de sa vie. Il est peut être très bon en réanimation mais le premier recours n’est pas son métier. Et il y en a un autre qui nous dessert dans cette histoire. C’est Jean-Marie Le Guen, à la tête du conseil de surveillance de l’AP-HP. Alors qu’il est adjoint de Delanoë à la mairie, et que Delanoë nous soutient. On voit bien que leur projet ne tient pas la route. La direction générale n’est pas compétente. Et ce n’est pas possible, c’est un enjeu qui est trop grave.

 

Que comptez-vous faire maintenant ?

On va se battre. Et c’est là que le politique doit taper du poing sur la table en disant “ce que vous faites est une connerie. C’est un mauvais projet médical, un mauvais projet économique, bref un mauvais projet de politique de santé”. Le politique doit donner le cap, et l’administration doit suivre ce cap. Et pas l’inverse. Mais c’est en train de bouger. J’ai eu les communiqués de NKM, d’Hidalgo… Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a écrit au Premier ministre.

Il faut qu’on revienne à un hôpital de proximité, généraliste, à taille humaine. Ce que l’APHP ne sait plus faire. L’APHP, c’est des mastodontes déshumanisés. Demain matin, je vais être entendu à la Commission des affaires sociales au Sénat sur le projet. Ensuite, il faut que la CME revienne sur sa décision de fermeture. Mon éviction, ce n’est pas important, ce n’est pas ça l’enjeu. Ce n’est même pas ma réintégration qu’on demande. C’est vraiment qu’on puisse avoir un débat public sur quelle orientation on veut pour cet hôpital. Avant les médecins participaient au projet de soins et avaient leur mot à dire. Maintenant, les blouses blanches sont soumises ou démises.


Le chef des urgences s’explique

Dr Bertrand Renaud, chef de service des urgences de Cochin et de l’Hôtel Dieu (AP-HP) : “Le Dr Gérald Kierziek n’est pas exactement démis de ses fonctions. Il avait été nommé responsable du SMUR, ce qui est un titre purement organisationnel. Cette décision met fin à un long processus d’entretiens qui ont débuté au mois d’avril dernier. Je lui ai expliqué que je souhaitais qu’il mette fin, au moins temporairement à ses fonctions. Comme je n’ai pas eu de réponse de sa part, je lui ai fait part, lundi dernier de ma décision.
Il était très rarement présent aux réunions de service et d’encadrement. Il avait sûrement d’autres points d’intérêt. Sa défense de l’Hôtel Dieu ne me dérange pas dans la mesure où elle ne dérange pas les soins ni l’organisation du service. Or, il ne remplissait pas son rôle d’encadrant médical.
Je sais que cette décision tombe très mal car on pourrait supposer qu’elle est due à d’autres raisons… Ce n’est pas le cas. Il ne s’agit en aucun cas d’un jugement de valeur, ni d’une barrière à son expression publique. Je ne remets pas non plus en cause ses capacités médicales.
Il y a des centaines de décisions de ce type qui sont prises dans tous les services et cela ne fait pas un tel remue-ménage.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier