Le Comité consultatif national d’éthique a remis lundi son avis sur la fin de vie. Ce rapport, demandé par le Président de la République, doit poser les bases de la future loi annoncée par le gouvernement. Reprenant les préconisations du rapport Sicard, l’avis du CCNE ne veut pas de refonte de la loi Leonetti, mais plaide pour des directives anticipées réellement contraignantes. Pour le Dr Vincent Morel, président de la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), les médecins traitants et les infirmières ont un rôle déterminant à jouer.

 

Egora.fr : Actuellement, c’est la loi Leonetti qui régit la fin de vie en France. Cette loi a-t-elle montré ses limites ?

Dr Vincent Morel : C’est une loi qui est très bien faite, qui est copiée dans le monde entier. Tout le monde médical reconnait que si elle est bien appliquée, elle permet de trouver les solutions adaptées. Le problème, c’est qu’elle n’est pas assez connue. Par les professionnels de santé d’une part, mais surtout par le grand public. Sept Français sur dix ne la connaissent pas et cinq professionnels sur dix.

Néanmoins, il y a des pistes d’amélioration possibles. Notamment en ce qui concerne les directives anticipées. Il faut qu’elles soient plus contraignantes pour que le malade soit persuadé qu’elles seront appliquées. Pour cela, il faut qu’elles soient écrites avec un professionnel de santé. Le second point sur lequel on peut réfléchir, concerne la procédure collégiale. Cette réunion de l’équipe soignante avec la famille devrait pouvoir être déclenchée par les infirmières. C’est important car les infirmières sont proches des malades, elles les connaissent bien. Elles peuvent demander à l’équipe médicale de prendre le temps de s’assurer que nous ne sommes pas dans l’acharnement thérapeutique. Elles peuvent prendre ce temps pour rencontrer la famille ou les personnes de confiance. Et vérifier que des directives anticipées ont bien été formulées.

 

Il y a quelques semaines, un cas a fait la Une de l’actualité. Celui d’un jeune homme plongé dans le coma après un accident. Il y a eu une bataille judicaire entre son épouse, qui souhaitait arrêter l’alimentation et l’hydratation, et ses parents qui y étaient opposés. Après un arrêt des sondes, un juge a ordonné le maintien du traitement. N’est-ce pas un exemple des limites de la loi actuelle sur la fin de vie ?

Justement, une des difficultés de cette situation c’est que ce jeune homme n’a pas pu anticiper ce qui lui est arrivé. Si bien que quand les médecins ont eu à décider s’ils maintenaient ou pas l’acharnement thérapeutique, aucune personne de confiance n’avait été désignée. Ils ont demandé à son épouse et à ses parents comment ils voyaient la situation. La femme était pour l’arrêt de l’alimentation et les parents pour le maintien en vie. C’est une situation terrible où un drame familial s’est ajouté au drame humain. C’est pour éviter ce genre de situation que nous plaidons pour la diffusion de directives anticipées en amont, même sur des situations imprévisibles ou accidentelles. Moi, j’en ai écrit une récemment. Si jamais j’ai un accident et que je suis dans le coma, sans moyen de communiquer, je demande aux médecins de ne pas s’acharner et de m’accompagner vers la mort, sans que je souffre. J’insiste aussi sur le fait qu’ils accompagnent mes proches, dans ces moments là. Evoquer la fin de sa vie, même quand on est bien portant c’est faisable. Et cela permet d’éviter un drame familial.

 

Mais justement, on voit dans les faits qu’il n’y a en réalité que très peu de directives anticipées qui sont rédigées, même pour des patients en fin de vie. Et elles ne sont pas toujours respectées.

Des directives anticipées sont faites dans 2% des cas. Mais elles sont respectées. Lorsqu’elles sont précises claires et expriment bien les volontés du patient dans une situation donnée, si le médecin se retrouve dans cette situation, elles sont suivies. Ce qui peut arriver, c’est que certaines ne correspondent pas à la situation vécue par le patient. Là on peut décider de ne pas en tenir compte. D’où l’idée qu’elles soient rédigées avec un professionnel.

 

Concrètement, en situation d’urgence, les médecins ont-ils le temps et la possibilité d’être informé des directives formulées par le patient ?

Normalement, on a le temps d’aller lire, cela prend 2 minutes. On doit pouvoir les mettre en œuvre sans problème. Elles sont d’ailleurs, en général, faites pour les urgences. Les urgences doivent prendre le temps de vérifier les volontés d’un patient.

 

Au sujet des directives anticipées, le rapport remis ce lundi par le CCNE insiste sur le rôle d’information et de conseil du médecin traitant.

Le médecin traitant a un rôle déterminant car il connait le malade. Il peut accompagner le patient dans la rédaction de ses directives. Par exemple, un médecin, ou une infirmière, qui voit, depuis des années, chaque semaine, une personne âgée, établit au fur à mesure une relation de confiance avec ce patient. Il peut alors tout à fait l’inciter et l’aider à rédiger ses directives.

 

L’avis du CCNE insiste sur le développement des soins palliatifs à domicile. Aujourd’hui, ils ne concernent qu’un quart des patients en fin de vie. C’est beaucoup moins que les autres pays européens. Pourquoi ce retard ?

Le dernier plan sur la fin de vie (2008-2012) a engendré de grands progrès dans le champ sanitaire. Notamment avec la création de nombreuses unités de soins palliatifs. Mais c’est vrai que le domicile n’a pas été suffisamment pris en compte. Je plaide moi pour une véritable politique de la fin de vie en insistant sur la prise en charge à domicile pour les personnes vulnérables, âgées ou handicapées. Il y a là toute une politique à penser et à mettre en place.

 

En ce qui concerne la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté, le CCNE se montre majoritairement opposé et ne préconise pas de revenir sur la loi Leonetti. Qu’en pensez-vous ?

Là-dessus, le CCNE rejoint rapport Sicard. On pense qu’il est risqué de modifier la loi. Une dépénalisation de l’euthanasie pourrait être ressentie, par les personnes vulnérables, comme un abandon. Et puis le CCNE, montre que dans les pays qui ont dépénalisé il y a presque toujours des cas de dérives et pas de contrôle. Enfin, pour moi, soignant, je sais d’expérience que quand la loi Leonetti est bien appliquée, il y a des solutions. Moi, en dix ans de soins palliatifs j’ai toujours trouvé une solution. Parfois c’est difficile, ca prend du temps, mais on trouve.

 

CCNE : un avis “prudent”

C’est la deuxième fois en 13 ans que le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), saisi en janvier dernier par le Président de la République, se penche sur les questions de la fin de vie. Révélé lundi, l’avis du comité émet plusieurs recommandations :

– La nécessité de faire cesser toutes les situations d’indignité, qui entourent trop souvent la fin de vie.

– La nécessité de rendre accessibles à tous le droit aux soins palliatifs – droit reconnu par le législateur depuis quatorze ans – et de développer l’accès aux soins palliatifs à domicile.

– Le respect des directives anticipées ; lorsqu’elles ont été rédigées en présence d’un m édecin traitant, et dans des circonstances où une maladie grave a été annoncée, les directives anticipées devraient être contraignantes pour les soignants sauf exception dûment justifiée par écrit.

– Le respect du droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu’au décès si elle en fait la demande, lorsque les traitements, voire l’alimentation et l’hydratation ont été interrompus à sa demande.

En ce qui concerne le droit d’une personne en fin de à avoir accès, à sa demande, à un acte médical visant à accélérer son décès et/ou le droit au suicide assisté, la majorité des membres recommande de ne pas légaliser. Ils estiment que la loi actuelle n’a pas besoin d’être modifiée étant donné qu’elle opère une distinction essentielle et utile entre “laisser mourir” et “faire mourir”. Une minorité des membres, en revanche cette frontière a déjà été abolie et reconnaissent que le “faire mourir” est déjà une réalité. Enfin, le CCNE demande que le sujet de la fin de vie fasse l’objet d’un débat public.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu