Le futur 4e Plan de lutte contre la douleur devrait être axé sur une prise en charge plus proche des patients et moins hospitalo-centrée. Mais aura-t-il les moyens de changer profondément la prise en charge de la douleur?

 

Le 4e Plan douleur, recommandé par le Haut Comité de santé publique (Hcsp) dans son rapport d’évaluation du Plan 2006-2010, pourrait finalement être présenté dans les mois qui viennent. Mis en chantier en 2011, puis demeuré plusieurs mois en suspens après le changement de gouvernement, il est en cours de validation au cabinet du ministre. “Mais nous avons encore quelques doutes quant à son avenir : se fera-t-il, ne se fera-t-il pas ?”, commente le Dr Michel Lanteri-Minet, chef de service du département douleur-médecine palliative du CHU de Nice et président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (Sfetd).

 

232 structures hospitalières surchargées

On peut également avoir des réserves sur la portée des mesures qui seront proposées, puisque, crise économique oblige, ce 4e Plan n’a pas de financement. Les membres des groupes de travail en avaient été avertis dès les premiers stades de sa conception. C’est donc à budget constant que devra s’effectuer le “changement de paradigme” voulu par le Haut Conseil de la santé publique (Hcsp) pour passer d’une prise en charge essentiellement axée sur l’hôpital et les centres douleur vers une offre de proximité.

Actuellement, on dénombre 232 structures hospitalières de prise en charge de la douleur (148 consultations et 84 centres), qui sont surchargées “et pourtant loin d’accueillir toutes les personnes qui en auraient besoin”, remarque Sylvain Fernandez-Curiel, chargé de mission santé au Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). “Les témoignages que nous recevons donnent l’image de patients perdus, qui souffrent de douleurs chroniques depuis des années et ne trouvent pas de réponse. Et lorsqu’une réponse est trouvée, c’est après six mois d’attente.”

Bien qu’elle ait fait partie des quatre priorités du précédent plan, la structuration de la filière de soins de la douleur n’a pas réussi à améliorer la situation des centres antidouleur. Bien au contraire, “certains centres ont perdu du personnel sous la pression de restructurations hospitalières, d’autres ne se sont jamais vu attribuer leurs crédits alors que ceux-ci ont été délégués aux établissements”, notait le Hcsp dans son rapport d’évaluation. Le constat est celui d’une fragilisation, et l’avenir s’annonce compliqué pour certaines de ces structures. En 2013, les financements ont été redéfinis selon le volume de consultations de chaque centre, ce qui devrait entraîner une baisse des budgets pour cinq régions: Alsace, Aquitaine, Paca, Centre et Île-de-France. “La conjoncture est extrêmement difficile, constate le Pr Alain Serrie (chef du service de médecine de la douleur et de médecine palliative, hôpital Lariboisière, Paris). Des structures douleur sont en train de fermer, comme celle de l’hôpital Sainte-Anne. D’autres sont en grande difficulté.” Dans son unité, les délais de rendez- vous sont de trois-quatre mois.

 

Prise en charge trop tardive

Chaque année, les structures spécialisées prennent en charge environ 300 000 patients, ce qui est très peu par rapport à l’ensemble des sujets douloureux chroniques. Une étude menée par questionnaire auprès de 30 000 adultes indique que 30% de la population générale souffre de douleurs chroniques, dont 20% de douleurs d’un niveau supérieur à 4, justifiant une prise en charge médicale (Bouhassira D, et al. Pain 2008). “Parmi ces 20%, il y en a probablement un tiers qui ont des douleurs rebelles”, estime le Dr Lanteri-Minet.

De fait, c’est donc en ville que sont pris en charge la grande majorité de ces patients. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), plus de la moitié des patients adressés à une structure spécialisée souffrent de douleurs chroniques depuis au moins deux ans. Or plus la prise en charge est tardive et plus le traitement risque d’être difficile, et les douleurs de se pérenniser. La douleur chronique doit être considérée comme une maladie et non plus comme un symptôme. D’où la recommandation, paradoxale, d’adresser des patients plus vite à des centres qui sont déjà surchargés et ont des délais d’attente difficilement tolérables.

Alors comment éviter que ceux-ci attendent quatre à six mois leur rendez-vous? “Dans mon centre, nous avons réfléchi à la question et nous avons proposé à la Direction générale de l’organisation des soins [Dgos] des consultations d’infirmières cliniciennes pour repérer les patients devant être pris en charge très vite, explique le Dr Lanteri- Minet. Mais cela suppose la reconnaissance de cette activité.”.

 

“Revenir aux grandes pathologies douloureuse”

Pour améliorer la prise en charge de la douleur en ville, le Hcsp proposait de mener des actions de formation et de sensibilisation auprès des professionnels de santé, notamment généralistes et pharmaciens, d’informer les patients et de mieux structurer l’offre de soins. Pour le Dr Lanteri-Minet, “il faut arrêter de parler de la douleur en général pour les soins de premier recours. Si on veut toucher le généraliste, c’est important de revenir aux grandes pathologies douloureuses. Les patients qui nous sont adressés ont essentiellement des céphalées, des lomboradiculalgies, des douleurs neuropathiques, beaucoup post-chirurgicales, et des douleurs rhumatologiques, plutôt arthrosiques, fortement favorisées par le vieillissement de la population. Nous avons proposé des actions ciblées sur ces quatre grandes pathologies.” Par exemple, pour les céphalées chroniques, il s’agit de prévenir les abus médicamenteux, en menant notamment des actions auprès des pharmaciens; pour l’arthrose, de renforcer le bon usage du médicament; pour les douleurs post-zoostériennes, de vacciner les personnes âgées contre le zona.

Deux éléments pourraient jouer un rôle important, juge le Dr Lanteri-Minet : le développement professionnel continu (DPC) et la définition d’un parcours de soins du patient douloureux chronique, pour préciser la place des différents intervenants, comme cela a déjà été fait pour d’autres pathologies. “L’idée est de faire de la douleur la priorité nationale du DPC, si tant est qu’on arrive à le mettre en place, car on bute sur un obstacle financier majeur.” Concernant les référentiels, la HAS a produit de nombreuses recommandations, “mais celles-ci sont beaucoup trop complexes et finalement peu appliquées, estime le Dr Lanteri-Minet. Il faudrait qu’elles soient adaptées à la pratique des généralistes.”

 

“Plus le flux de patients est important, moins la douleur est prise en compte”

Une prise en charge efficace des douleurs aiguës est essentielle pour réduire le risque de douleurs chroniques. Malgré les avancées thérapeutiques, il persiste de grosses lacunes dans ce domaine en France. Une étude menée récemment dans cinquante hôpitaux révèle que la moitié (51%) seulement des patients accueillis aux urgences avec des douleurs sévères, qui justifieraient un antalgique fort, reçoivent un traitement contre la douleur et 9% seulement de la morphine (Guéant S, et al. Eur J Anaesthesiol 2011).

“Et pourtant on a accès à ces médicaments, observe le Dr Michel Galinski (hôpital Jean- Verdier, Bondy). La grande majorité des patients ont des douleurs qui pourraient bénéficier de traitements simples et efficaces. Nous disposons aussi des moyens nécessaires pour prévenir les douleurs liées aux soins, et pourtant les besoins ne sont pas satisfaits. Il y a une question de temps. Plus le flux de patients est important, moins la douleur est prise en compte. Mais il y a aussi un problème structurel. Il faudrait des procédures antalgiques anticipées qui soient respectées par les soignants.”

Il est urgent également d’engager un travail de réflexion sur les soins eux-mêmes. Une étude menée dans des unités de soins intensifs néonatals de la région parisienne indique qu’en quatorze jours les nouveau-nés subissent une médiane de 75 gestes douloureux (Carbajal R, et al. Jama 2008). Un enfant avait eu 95 ponctions au talon. 79 % de ces gestes étaient réalisés sans analgésie spécifique. Or on sait que les douleurs aiguës chez le nouveau-né peuvent entraîner ultérieurement une plus grande sensibilité à la douleur. Peu d’études ont été menées pour évaluer les conséquences des douleurs aiguës aux urgences, notamment sur le risque de développement de douleurs chroniques.

 

“Nous sommes soumis à des contraintes financières fortes”

En revanche, pour certaines chirurgies –chirurgie thoracique, chirurgie du sein, en particulier–, il est bien démontré que l’intensité de la douleur aiguë est corrélée à la persistance de douleurs chroniques. Quel regard porter sur l’avenir ? “Je ne suis pas optimiste, parce que les moyens manquent, nous sommes soumis à des contraintes financières fortes”, répond le Pr Serrie. Un point semble cependant évoluer positivement : la reconnaissance d’une filière universitaire pour la douleur, revendication de langue date de la Sfedt. Quatre médecins, dont le Pr Serrie, ont été nommés professeurs de médecine de la douleur. C’est sans doute un premier pas vers la reconnaissance de cette discipline.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot