Alors qu’ils sont les plus gros “dépasseurs”, les PU-PH ayant une consultation privée sortent quasiment indemnes du rapport commandé par Marisol Touraine à Dominique Laurent, sur l’activité libérale à l’hôpital public. Son but était pourtant d’appliquer au secteur privé de l’hôpital public, les obligations de l’avenant N° 8 encadrant les dépassements d’honoraires à 150 %, pour les limiter considérablement. La balle est désormais dans le camp de la ministre de la Santé.

 

 

Limitation à la carte des dépassements d’honoraires en secteur 2 autour de 150 % en consultation privée à l’hôpital public, certes, mais avec prise en compte de la “plus-value intellectuelle” du praticien pour juger de ce montant ; pas d’encadrement du chiffre d’affaire en secteur privé ni de sanctions financières en cas d’excès… Le monde libéral attendait ce rapport commandé par Marisol Touraine à Dominique Laurent en octobre dernier. La montagne semble avoir accouché d’une souris. Les 4 581 médecins hospitaliers, dont 1 932 exerçant en secteur 2 (soit au total, 10 % des 45 900 PH en activité en 2011), qui ont un secteur privé à l’hôpital public vont pouvoir dormir tranquille. Le rapport Laurent, qui vient d’être remis à la ministre de la Santé sur “l’activité libérale dans les établissements publics de santé” les épargne grandement.

 

70 millions d’euros de recettes annuelles

La conseillère d’Etat y préconise neuf propositions qui ne font pas de vagues. La plus attendue concerne le taux de dépassement de 150 % du tarif conventionnel, imposé aux libéraux en honoraires libres, qui devait aussi, théoriquement, s’appliquer au secteur privé de l’hôpital public. Là, Dominique Laurent pose un sacré bémol à cette obligation, en demandant qu’il soit tenu compte de “l’expertise et de la compétence” du médecin hospitalier, et de son lieu d’exercice. Une charte déontologique de l’activité libérale est par ailleurs proposée à l’adoption du conseil de surveillance de l’établissement, concernant les délais de rendez-vous – plus rapprochés en secteur privé – et l’information des patients sur les tarifs. Si le nombre de consultations et actes effectués au titre de l’activité libérale doit être inférieur à aux actes effectués en activité publique, aucun encadrement du chiffre d’affaire, ni plafond de cumul de rémunérations, n’est revendiqué dans ce rapport. Un texte qui a fait exploser Michel Chassang, le président de la CSMF et signataire de l’avenant N°8, qui a lu avec “consternation” les préconisations du rapport Laurent, “instaurant une iniquité supplémentaire entre la ville et l’hôpital”. Comme cela était prévu au départ, le président de la CSMF exige que les critères définis dans l’avenant N° 8 “s’appliquent à tous”. Et promet d’en tirer toutes les conséquences dans le cas contraire.

Marisol Touraine, qui s’est déclarée à plusieurs reprises, très soucieuse que les conditions de prise de rendez-vous notamment, soient identiques partout, tant en secteur privé et qu’en consultation publique, devra maintenant trancher. La ministre annonce une “large concertation”, qui précèdera une mise en œuvre réglementaire ou législative selon la nature des mesures.

Conçu à l’origine, en 1958, pour attirer vers le public, les plus grands noms de la médecine et pallier par ce biais, le différentiel de rémunération pouvant exister entre le public et le secteur libéral, le secteur privé est assez lucratif pour les établissements : il génère environ 70 millions d’euros de recettes annuelles, issues de la redevance reversée par les professionnels. A condition qu’ils l’acquittent, car tous ne la paient pas, ou insuffisamment. Ainsi, et sans doute à titre d’exemple, le Pr. Laurent Lantieri le pionnier de la greffe de visage, vient-il d’être condamné à plusieurs mois de suspension du droit d’avoir une consultation privée à l’hôpital public, pour avoir accumulé vis-à-vis de son établissement avec qui il était en conflit, une dette de 70 000 euros de redevance non payée.

Du côté des PU-PH exerçant en secteur privé en secteur 2 à l’hôpital, ces derniers ont tiré une moyenne de 35 773 euros de cette activité, il est vrai très disparate puisque les écarts de rémunération s’étalent entre 8 000 et 60 000 euros. Dans un rapport datant de 2007, l’IGAS notait que les dépassements des praticiens hospitaliers en secteur 2 étaient en moyenne plus élevés dans le secteur hospitalier public que dans le secteur privé : 34 261 euros par personne contre 30 804 dans le privé.

 

Expertise et compétences prises en compte pour juger du dépassement

Au moment de la signature de l’avenant N° 8, en novembre dernier, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) estimait à 1 500 au total, le nombre de médecins du secteur 2 pratiquant des dépassements supérieurs à 150 %. Dominique Laurent note : “les praticiens hospitaliers en établissement public de santé (EPS) sont donc un sous ensemble de ces 1 500 médecins.”

Mais, on le sait, la consigne gouvernementale en ces temps troublés, est de ne pas faire de vagues. Et donc, au même titre que les PU-PH peuvent bénéficier d’un C3 (69 euros) en consultation, le rapport Laurent demande que l’on prenne en compte l’expertise et la compétence du praticien pour juger de son dépassement. “La notion d’expertise et de technicité retenue dans l’avenant (…) doit permettre que les dépassements fondés sur une forte plus-value intellectuelle soient considérés comme non abusifs” préconise la conseillère d’Etat. Une préconisation perçue comme une “injure” par les praticiens libéraux, qui se voient ainsi niés dans leur plus-value intellectuelle et leur technicité”, s’emporte la CSMF.

De la même manière, les dépassements pourront être adaptés “dans certaines zones géographiques”. Avec un taux fixe de 150 % sinon, “les praticiens seraient amenés à renoncer à l’activité libérale faute d’y trouver un intérêt suffisant”, estime Dominique Laurent. D’autant que le montant de la redevance due à l’établissement, fixée en pourcentage des honoraires demandés aux patients et fixée de manière différenciée selon les disciplines, pourrait alors conduire à “une baisse excessive des rémunérations globales (…) qui justifierait alors une baisse notable de la redevance qui leur est demandée”.

Dominique Laurent demande que la promotion de l’avenant N° 8 soit assurée par les commissions de l’activité libérale (CAL), la publicité et la diffusion des sanctions prononcées par les CPAM devant être assuré par la caisse nationale d’assurance maladie.

Elle écarte ensuite l’hypothèse d’une sanction financière spécifique, au cas où les revenus liés aux dépassements d’honoraires dépasseraient soit un certain montant, soit celui de la rémunération publique du praticien.

Enfin, le rapport plaide pour l’institution d’une clause de non concurrence de manière à interdire à un PU-PH ayant une activité libérale en EPS, de le quitter en cours de carrière pour s’installer à libéral à proximité.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne