On en attendait 3,5 milliards d’économies par an. Huit ans après la réforme de 2004, la Cour des comptes estime que dossier médical personnel (DMP) a coûté un demi-milliard d’euros, pour 158 000 dossiers ouverts et zéro économies.

 

Rappelez-vous, c’était en 2004. Et Philippe Douste-Blazy, le ministre de la Santé de l’époque, présentait avec de grands effets de manche et de menton, sa réforme de l’assurance maladie, basée sur le parcours de soins et le médecin traitant, et reposant sur une innovation de taille : le dossier médical personnel (DMP), bientôt obligatoire pour chaque assuré social de plus de 16 ans. Un chantier qui se voulait monumental et censé rapporter 3, 5 milliards d’euros d’économies par an à l’assurance maladie, grâce à la suppression de doublons et autres redondances dans le cheminement du malade circulant entre la ville, l’hôpital et le secteur médico-social.

 

Puit sans fond

Sept ans plus tard, qu’en est-il ? Après une très longue et couteuse phase expérimentale, 158 000 dossiers “seulement” ont été ouverts…. Et le nouveau gouvernement s’interroge clairement sur la nécessiter de continuer à financer ce puits sans fond, boudé par nombre de médecins libéraux car peu ergonomique et peu utile. Désormais délaissé par les patients après avoir été le centre d’une violente lutte de pouvoir, où ces derniers sont parvenus à arracher au corps médical le droit au masquage des données de santé, puis celui de masquer ce masquage….

Saisie en décembre 2011 d’une demande d’enquête sur le DMP par le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Jérôme Cahuzac, qui avait cette Arlésienne dans le collimateur, la Cour des comptes vient de mettre son volumineux rapport en ligne. Pour cadrer ce travail, une rencontre avait été organisée avec le député (PS) Gérard Bapt, le président de la mission santé de la commission des finances, qui n’avait pas caché à de multiples reprises, lui aussi, tout le mal qu’il pensait du DMP. Un paquebot qui semble à la dérive, particulièrement dans le viseur en ces périodes de disette budgétaire.

De fait, le rapport des magistrats de la rue Cambon semble résumer ce qui se fait de mieux en matière de ratage dans la conduite d’un chantier national par l’Etat. Depuis 2004, le DMP aurait un coût total, estimé au doigt mouillé par les magistrats de la rue Cambon, encore ahuris de l’absence de comptabilité sérieuse et exhaustive sur le sujet, de plus d’un demi-milliard d’euros.

 

Essuyer les plâtres

“Les investigations de la Cour ne permettent pas de rendre compte de manière complète et précise du total des coûts engagés pour la mise en œuvre du dossier médical partagé de son instauration à 2011, faute de disponibilités des données financières ou de fiabilité de celles qui peuvent être retrouvées. Les seuls coûts qu’il a été possible de documenter peuvent être estimés à quelque 210 M€, avec cependant une marge importante d’approximation”, peut-on lire. A noter que la longue phase expérimentale a tout de même eu la vertu d’essuyer les plâtres, et clarifier une quantité de problèmes juridiques, organisationnels et techniques, dans les régions et au niveau national. A elle seule, cette phase aurait consommé le quart de cette enveloppe.

Le total de plus d’un demi- milliard d’euros à la fin 2011 aurait été mis à la charge de l’assurance maladie. “L’absence de suivi par le ministère de l’ensemble de ces dépenses ne permet pas d’être plus précis”, ajoute le rapport, qui ne manque pas de noter un certain paradoxe : un ralentissement des dépenses dédiées au DMP par l’ASIP (Agence des systèmes d’information partagée de santé), et surtout des ressources humaines qui lui sont consacrées, qui s’est amorcé depuis 2010, “au début du déploiement maintes fois reporté”.

Deuxième gros écueil, souligné par la Cour : l’absence de perspective d’ensemble, prenant en compte le déploiement du DMP et les services en ligne associés qui ont pourtant vocation à converger avec lui.

 

Absence de stratégie

Il en va ainsi du dossier pharmaceutique (DP), conçu et porté par l’ordre des pharmaciens (20 millions de dossiers ouverts, 23 M€ de coûts directs à fin 2011) ; de l’historique des remboursements, mécanisme développé par la CNAM (+ 10 millions de coûts directs), des dispositifs informatisés de dossiers de patients hospitaliers, initiés par les établissements de santé, dont “ni le ministère ni l’ASIP n’ont évalué le coût imputable à leur interface avec le DMP, alors qu’ils ont ouvert à ce stade 60% des DMP existants”, dénoncent les magistrats de la rue Cambon. Et il en va de même pour l’actuel volet médical de synthèse, l’un des item proposé par la CNAM aux médecins libéraux conventionnés.

Originellement, explique la CSMF, “une synthèse annuelle est réalisée automatiquement par le médecin traitant via le Volet médical de synthèse (VMS) intégré dans les logiciels professionnels. Ces informations monteront ensuite dans le Dossier Médical Personnel (DMP) lorsque celui-ci sera opérationnel par simple extraction automatique, sans générer de travail supplémentaire pour le médecin, ni aucune double saisie.” Or, dans la réalité, les systèmes ne sont pas compatibles… “Ces constats attestent d’une absence particulièrement anormale et préjudiciable de stratégie et d’un grave défaut de continuité de méthode dans la mise en œuvre d’un outil annoncé comme essentiel à la réussite de profondes réformes structurelles”, tacle sévèrement la Cour.

Manifestement, la patience des magistrats est à bout, car à plusieurs reprises, les autorités compétentes ont été alertés sur les risques de la situation actuelle, tant en termes de coûts que d’échec des objectifs assignés.

 

En friche

Les mots employés sont durs : “insuffisance grave de suivi financier”, “absence d’analyse des coûts induits pour le déploiement et le fonctionnement”, “défaut d’évaluation et d’anticipation” pouvant déboucher sur des “impasses financières et des blocages d’autant plus dangereux qu’aucune méthodologie rigoureuse d’évaluation médicoéconomique des gains de performance pour le système de soins et des économies pour l’assurance maladie n’est à ce stade définie pour permettre de mesurer un retour sur investissement”…

Est ainsi considéré comme “très anormale”, l’absence de parution du décret définissant le champ et le contenu du DMP, ainsi que son mode de montée en charge. Aux résultats, le DMP se déploie “sans aucune stratégie préétablie ni réflexion préalable sur l’opportunité d’un ciblage en direction de catégories prioritaires de patients (ALD notamment)”.

Dans ce chantier en friche, une série d’interrogations concerne la CNAM, qui paye la facture, mais fait aussi cavalier seule en développant son volet médical de synthèse, doublon du DMP et non compatible avec lui. Or, “les éditeurs ont donné la priorité à l’informatisation séparée de ce volet, au détriment de développements intégrant le dispositif de DMP dans les logiciels des professionnels de santé”, relèvent les magistrats qui appellent à une stratégie homogène dans ce domaine. Il en va de même pour la politique de sécurité des systèmes d’information de santé, où un comité de pilotage ne s’est réuni qu’en mars dernier.

Bref, la charge est rude et la Cour des comptes appelle à une rapide et ferme reprise en main du dossier du DMP par le ministère de la Santé, en matière d’identification et de maîtrise des coûts, de démarche stratégique, de pilotage et d’évaluation. Rapidement surnommé Dossier Mal Parti, le DMP menace aujourd’hui d’être rebaptisé Défunt Maillon Promis.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne