Conventionnement sélectif des médecins selon la densité médicale, obligation de remplir deux ans de service public à l’installation : voilà la potion adoptée unanimement par les sénateurs pour supprimer les déserts médicaux en France.
Et voilà les parlementaires qui recommencent ! Au moment de la mise en place de leur groupe de travail sur les déserts médicaux vus dans l’optique de l’aménagement du territoire, en mai dernier, les sénateurs avaient prévenu qu’ils mèneraient leurs auditions et feraient des propositions “sans tabous”. Et de fait, malgré l’assurance du gouvernement que la liberté d’installation serait maintenue pour les médecins libéraux, malgré la présentation par Marisol Touraine, en décembre dernier, de son “Pacte santé territoire” garantissant la promesse du Président de la République. Malgré l’opposition réitérée des syndicat d’internes et chefs de cliniques et le recul de l’Ordre des médecins sur ce sujet devant la fronde des jeunes, les sages du Palais Bourbon ont gaillardement enfourché le cheval de la coercition. Le rapport issu des huit mois de travail de la mission qui les préconisent, a été adopté à l’unanimité, toutes tendances politiques confondues.
Dans la liste des 16 propositions qu’ils formulent pour stopper l’avancée des déserts médicaux en France, les sénateurs envisagent de serrer la vis aux futurs installés, de flécher leurs installations en fonction des besoins évalués par les ARS et donc mettre en terme à la liberté des médecins, à laquelle les pharmacies, les infirmiers, les kinés, les dentistes et les sages-femmes libérales ont déjà dit adieu… “Sans troubles pour leurs professions”, a lâché le rapporteur du groupe de travail, le sénateur centriste Hervé Maurey (Eure).
Le mécanisme proposé pour les médecins reposerait sur un conventionnement sélectif en fonction des zones sur et sous dotées, comme pour les infirmières. Ces dernières ne peuvent se conventionner dans un bassin de vie surdoté, qu’à la condition qu’un poste se libère. A l’inverse, elles reçoivent des aides à l’installation pour les inciter à aller tenter leur chance en zone sous-dotées.
Pour les médecins, la mesure serait à double détente : conventionnement sélectif d’une part, pour tous les médecins, en fonction de la nature des zones d’installations. Puis, pour les médecins spécialistes, obligation d’exercer pendant deux ans à la fin de leurs études, à temps plein ou temps partiel, dans les hôpitaux des chefs-lieux de départements ou le manque de spécialistes est reconnu par les ARS. Parallèlement, la mission recommande d’informer dès à présent les étudiants en médecine de la possibilité d’instaurer pour les médecins généralistes, une obligation de quelques années d’exercice en zone sous-dotée en début de carrière “si, au terme de la présente législature, la situation des inégalités de répartition territoriales des médecins n’a pas évolué positivement.”
Pourquoi ce durcissement de la situation ? Parce qu’il y a en France, “3 millions environ de patients qui sont à plus de 15 minutes des soins de proximité,” et le temps d’attente pour décrocher un rendez-vous médical “tend à s’allonger”, argumente Hervé Maurey. S’il n’est en moyenne que de 4 jours pour un généraliste, ce temps d’attente saute à 103 jours pour un ophtalmologue, 51 jours pour un gynécologue et 38 jours pour un dermatologue… Cet état des lieux accentue les inégalités de santé, affirment les sénateurs, en ce qu’il aggrave l’accès aux soins dans certaines régions.
Or, les projections démographiques sont défavorables à moyen terme, du fait de la baisse du nombre de médecins, de l’augmentation de la moyenne d’âge des praticiens actifs et du vieillissement de la population française. L’option de la régulation autoritaire se serait imposée, puisque l’ensemble des “mesurettes” mises en place jusqu’à présent depuis une quinzaine d’années, n’a pas apporté la preuve de son efficacité à avancé Hervé Maurey.
La mission a passé en revue lesdites mesures. Le système de bourses à l’installation, (contrat de service public) nées de la loi Bachelot, sont quasiment inconnues des futurs médecins. Et lorsqu’elles sont connues, s’avèrent trop contraignantes et peu attractives. L’avenant N° ; 20 à la convention médicale, procurant un bonus de 20 % sur les honoraires pour les praticiens exerçant en groupe dans un désert, “a coûté 20 millions pour l’installation de 50 médecins” a détaillé M. Maurey. Les diverses aides fiscales à l’installation dans les zones franches et autres zones de revitalisation n’ont pu être chiffrées par la mission – la Cour des comptes qui avait entrepris d’en faire de même, s’était heurtée à cette même impossibilité.
Bref, il est temps de passer à la vitesse supérieure, d’autant que la convention des infirmières a permis en 3 ans, entre 2008 et 2011, de diminuer de 33 % le nombre d’infirmières installées dans les zones sous-dotées, et de diminuer leur nombre dans les zones sur-dotées, s’est félicité le président du groupe, le sénateur socialiste Jean-Luc Fichet (Finistère). Les parlementaires préconisent donc de faire un copier-collé de ces dispositions, sans pour autant – laisser de côté les mesures incitatives déjà mises en place, mais après les avoir évaluées.
Les sages du palais Bourbon préconisent en outre, de réfléchir aux critères de sélection lors de l’accès aux études médicales, de généraliser (enfin), les stages de médecine générale en 2ème cycle ou mettre en place une quatrième année professionnalisante en fin de troisième cycle pour les étudiants en médecine générale.
Plusieurs dispositions concernent les territoires : mise en place à cette échelle, d’une commission de démographie médicale, transfert de tâches et d’actes entre différentes professions de santé, en prenant en compte la notion de tâche et non plus d’actes, aide à l’exercice regroupé (forfait structure ou secrétariat), exonération des cotisations retraites des médecins retraités qui continuent à exercer en zones sous médicalisées, développement le cas échéant, de solutions salariées ou de la télémédecine.
Enfin, les sénateurs veulent utiliser les ARS comme plate-forme d’entrée unique des aides financières, avec un référent-installation… Une mesure figurant déjà dans le “pacte-santé-territoire” de Marisol Touraine.
Les internes et chefs de cliniques, présents lors du point presse hier matin, on vivement protesté contre les mesures coercitives envisagées, affirmant qu’elles seraient pires que le mal, en éloignant de la médecine libérale, les futurs installés déjà tentés par la médecine salariée. Dans un communiqué, la CSMF considère que les sénateurs ont fait des préconisations “éculées et dangereuses” (…) Le conventionnement sélectif et la création d’un service public obligatoire pour les jeunes médecins, de 2 ans dans les hôpitaux locaux pour les spécialistes, sont des mesures totalement ineptes, dangereuses et contreproductives. Elles réapparaissent régulièrement depuis plusieurs années et mettent à chaque fois en lumière l’ignorance crasse, qu’ont ceux qui les ressortent des cartons, de la “complexité de la démographie médicale” a taclé la centrale.
Les sénateurs, pour leur part, rappellent que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a été un temps, avant la campagne présidentielle, partisan de la régulation autoritaire des installations. Ils attendent donc leur heure, en préparant une proposition de loi, qu’ils espèrent pouvoir prochainement proposer au débat.
Source :
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Auteur : Catherine Le Borgne