Chers lecteurs, la rédaction d’Egora.fr est en vacances. A cette occasion, nous en profitons pour publier quelques uns de vos souvenirs professionnels les plus marquants…

 

"Comment reconnaît-on un futur médecin alors qu’il n’est encore qu’un turbulent bambin en culottes courtes ? Peut-on déjà savoir s’il choisira la route sinueuse de la couleuvre d’Esculape plutôt que les huiles d’un moteur à explosion ou les subtiles tortures des langues orientales ? Existe-t-il quelques troublants prémices qui prophétisent la vocation médicale ? La question peut de prime abord paraître sotte ou même passer pour une frivole extravagance. Elle m’est cependant venue à l’esprit lorsque, fouillant le grenier à souvenir de ma jeune aventure médicale afin d’en extraire les plus savoureux moments, j’en arrivais à cette épineuse mais exaltante interrogation : comment tout cela a-t-il commencé ?

 

On n’entre à l’évidence pas par hasard à la faculté de médecine. Si les études débutent au premier frottement de fond de culotte sur les bancs d’un amphithéâtre bondé, l’appel du métier, lui, a dû sonner bien avant…

Si d’aucuns affirment se souvenir de leur naissance et même parfois de leur vie foetale, pour ma part, et malgré de sincères efforts, je dus me contenter pour toute genèse de quelques bribes de  prime enfance. Vieux bébé déjà, depuis longtemps retraité des couches et des biberons…

Puis, explorant le cours de l’enfance, j’y cherchais les signes avant-coureurs qui auraient pu m’aiguiller, consciemment ou non, vers le serment d’Hippocrate. C’est le fruit de cette rétrospective intérieure que je vais vous livrer en guise de préambule.

En ces lointaines années, l’essentielle  révélation  du corps médical me fût offerte à l’occasion de quelque  fièvre rebelle à l’aspirine. Le « Docteur » entra dans ma chambre, investi d’immémoriaux pouvoirs magiques. Héritier des druides et des chamanes, il inspirait à la fois crainte et dévotion. Adoubé par les universités garantes de la science moderne, son autorité ne souffrait d’aucune faille. Il rédigea l’ordonnance, l’ordonnance qui ordonne..

Le simple souffle de son passage m’aurait sûrement guéri, mais, sans doute pour récompenser ma docilité, il m’offrit par la grâce de ses écritures un somptueux cadeau : un flacon de sirop au merveilleux goût de banane et au nom imprononçable… Quelque chose comme "gentil biotic" si mes souvenirs sont exacts… Une friandise obligatoire à boire trois fois par jour ! Voilà un homme qui connaît les enfants ! Voilà un métier de bienfaiteur !…

Ce fût, je le crois désormais, à cet instant que j’entrai en médecine. Trop jeune pour l’université, je dus d’abord me résoudre à suivre le cursus de l’instruction publique en commençant par l’école primaire…

Tout en gravissant patiemment les échelons de cette vénérable institution, je me forgeai en autodidacte une "culture scientifique" toute personnelle, disséquant lézards et sauterelles afin d’élucider les mystères des entrailles.

Plus tard, ayant reçu pour Noël la panoplie du parfait infirmier, je fus déçu par les aiguilles factices… et m’en procurai je ne sais trop comment une vraie ! Ainsi nanti d’une seringue performante, je pratiquai  en grande pompe mon premier acte thérapeutique sur la personne de ma petite soeur qui souffrait d’après moi de déshydratation : après avoir soigneusement désinfecté la peau à l’alcool, je lui injectai quelques centilitres d’eau distillée sous la peau… La guérison fut immédiate !

Fort de ce succès prometteur mais injustement réprouvé par mes parents et occulté par les revues scientifiques, je jugeai le moment venu de transmettre mon nouveau savoir et organisai un examen ouvrant droit au diplôme suprême : "le brevet de secourisme élémentaire". Mon camarade de jeu de l’époque fut le seul candidat à se présenter. Initié par mes soins, il  réussit cette épreuve avec mention et reste encore à l’heure actuelle l’unique lauréat de cette faculté méconnue…

Toutefois, bien des questions restaient irrésolues dans ma tête et je sentais la nécessité d’un complément de formation… Les cours de biologie dispensés au collège où je venais d’entrer commencèrent à me passionner à en dévorer les manuels. Je fis connaissance avec les rudiments de l’anatomie et de la physiologie au travers d’expériences plus… scientifiques que les miennes ! Ainsi, d’autres s’étaient posés ces questions avant moi et avaient défriché le terrain ! J’écoutais, fasciné, le professeur révéler les découvertes de Pasteur et de Claude Bernard, tout en lorgnant de temps en temps vers Oscar, sympathique squelette tellement attaché à l’enseignement qu’il ne quittait jamais la salle de classe.

C’était le temps aussi où les corps s’allongent à vue d’oeil, en un bouillonnement d’hormones qui provoque en nos intérieurs de si puissants émois… Hypnotisé par les planches d’anatomie féminine, un groupe d’élèves triés sur le volet sortait comme une relique à chaque récréation, un dictionnaire de médecine datant du début du siècle, sans doute trouvé dans quelque maison abandonnée… Si j’étais également sensible aux mystères de la femme, la curiosité me poussa à feuilleter plus avant cet ouvrage dont l’antique savoir fût pour moi une révélation. Par quelque troc dont les adolescents sont si friands, je finis par en devenir propriétaire et l’étudiais des soirées entières.

Cette anachronique lecture me fit comprendre plus tard à quel point la médecine s’était transformée en quelques décennies, gagnant en efficacité ce qu’elle avait perdu en prestige. Je me délectais donc de ces notions d’un autre âge, d’alcool camphré, de remèdes à l’arsenic, d’abcès de fixation, de chloroforme, de masturbation qui rend sourd ou même fou…

Notions qu’on regarde aujourd’hui avec un condescendant sourire amusé, comme un pyrotechnicien observant un frappeur de silex. Et pourtant, ce sont nos glorieux ancêtres après tout ! Ils y croyaient ! Et qui sait si les médecins du prochain siècle ne se rappelleront  pas nos méthodes actuelles sans ajouter sur un ton confraternellement moqueur : "ça ne se fait plus…"

 Passèrent les années. Sans trahir mon amour pour les sciences de la vie, d’autres passions avaient illuminé ma curiosité et n’allaient plus me quitter : la musique d’abord, m’avait happé sans retour au hasard d’un poste de radio crachotant malicieusement ses refrains enjôleurs ; et puis, ce goût pour les voyages, acquis sans doute à grands coups de rêveries tropicales devant une mappemonde délavée, vestige dérisoire du mirage colonial…

Médecine, musique, voyage… Difficile à priori d’harmoniser cet éclectisme mais je sentais déjà confusément que mon équilibre dépendrait de mon habileté à développer cet étonnant trio : Je serai médecin nomade et ma guitare me suivra jusqu’au bout du monde… Cependant, au sortir du lycée, j’optai curieusement  pour la médecine… …vétérinaire.

Sans doute quelque accès de misanthropie avait détourné de l’humanité mes attentions  pour les porter sur la gent animale. Le destin se chargea de lui même de me remettre dans le droit chemin : je fus refusé au concours d’entrée.

Puisqu’on m’avait jugé incapable de soigner les bêtes, je m’occuperai donc des hommes, c’était écrit. Mais après tout, on peut considérer le médecin comme un vétérinaire spécialisé dans l’Homo Sapiens…"

 

Source :
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Auteur : Docteur Marc Rousseau, médecine générale et Homéopathie