C’est à l’occasion de la journée internationale du refus de la misère, le 17 octobre dernier, que la maire et les médecins de Saint-Eloy les Mines (Puy de Dôme) ont appris la venue de Médecins du Monde dans leur village, dans le but de lutter contre les inégalités d’accès aux soins. Dubitatifs, ils considèrent que leur commune de 3 500 habitants, qui compte cinq généralistes, ne rencontre pas de difficultés sur ce plan là.

 

“Ils me font penser aux Américains en Irak, ils ont voulu venir alors ils sont venus”, tacle le Dr Pierre Bernard, généraliste dans le village de Saint-Eloy-les Mines situé entre Montluçon et Clermont Ferrand. Le praticien n’a toujours pas digéré la venue de Médecins du Monde, programmée pour le mois de janvier prochain. “Sur la forme, ils s’y sont pris comme des manches. On a appris leur venue en écoutant France Bleue Puy de Dôme. Et sur le fond, on ne voit pas bien ce qu’ils viennent faire ici. Personne dans le village ne refuse de se faire soigner pour des raisons financières. En tant que généralistes, nous soignons tout le monde, même les plus pauvres. Nous n’avons jamais refusé personne”, s’agace le Dr Bertrand.

 

Binômes

Le discours de Médecins du Monde est tout autre. A la suite d’une mission exploratoire de quatre mois, l’organisation humanitaire a décidé de poser ses valises à Saint-Eloy-les-Mines pour une période de deux à trois ans. “L’objectif, c’est d’apporter une aide aux populations, qui, pour des raisons financières, n’accèdent pas aux soins. Nous allons également recueillir des données médico-sociales afin d’en faire une analyse”, explique le Dr Jean-François Corty, directeur des missions France pour Médecins du Monde. D’après lui, l’état de santé des Français se dégrade et les inégalités d’accès aux soins s’aggravent, notamment en cette période de crise économique. Il considère que les zones rurales sont d’autant plus touchées par cette précarité.  “Nous souhaitons aider différents types de personnes qui, pour de multiples raisons, n’accèdent pas aux soins. Les travailleurs du monde agricole sont en grande difficultés financières par exemple”, cite le Dr Corty.

Le médecin humanitaire se veut rassurant vis-à-vis des généralistes en place. “Les praticiens ne doivent pas s’inquiéter. Nous n’allons pas leur prendre leur travail ni se substituer à eux, ce n’est pas notre rôle. Nous souhaitons nous intégrer dans le tissu médico-social existant”, indique-t-il. Les équipes de Médecins du Monde travailleront en binômes composés d’un médecin et d’un travailleur social. “Le praticien apportera des éléments en lien avec le problème médical donné. Il n’aura pas pour but de prescrire, à l’exception des situations urgentes. Quant au travailleur social, il aidera notamment à l’ouverture des droits de la CMU par exemple”, éclaire le Dr Corty. Les binômes seront ainsi une “interface” entre précaires, MG ou hôpital. Conscient de la crispation des médecins en place, Jean-François Corty  considère que “tous les généralistes n’ont pas la même perception de la précarité et de son existence”.

 

De la paille sous les sabots

Des propos qui exaspèrent au plus haut point le généraliste de Saint-Eloy-les-Mines. “Le Dr Corty parle beaucoup à la presse, mais il n’a jamais mis les pieds ici et n’a même pas pris la peine de nous téléphoner. Il a une vision très parisienne de la campagne. C’est tout juste s’il ne nous voit pas avec de la paille sous les sabots ou en train de courir derrière le cochon pour pouvoir bouffer”, s’indigne le Dr Bertrand avant d’ajouter que “nous on voit les gens, on est sur le terrain. On connaît toutes les familles. Il reste à peine cinq paysans par communes et ce ne sont pas les plus pauvres”, ajoute-t-il.

Selon le praticien, le vrai problème de la route des Combrailles sur laquelle est située Saint-Eloy-les-Mines est l’accès aux transports. Mis à part le bus scolaire, il n’y a pas de transports en commun dans le village ce qui rend  les visites chez les spécialistes très onéreuses et compliquées. “Ce n’est pas Médecins du Monde dont nous avons besoin mais de Taxi du Monde !”, plaisante-t-il.

Thérèse Sikora, la maire de Saint-Eloy-les-Mines, est également sceptique. Elle regrette l’image de précarité véhiculé par les humanitaires sur sa commune. “Ils veulent faire le point de la précarité dans les Combrailles, mais qui n’est pas précaire aujourd’hui ?”, s’interroge-t-elle. Pourtant, elle considère que le village ne manque de rien. “Nous avons un cabinet médical important, d’autres médecins sont installés dans les cantons environnants. Nous avons même un centre Alzheimer”, énumère-t-elle fièrement. Quant aux problèmes de précarité, ils sont traités quotidiennement par l’assistante sociale en poste à la mairie. Face à l’arrivée de Médecins du Monde, la maire essaye donc de relativiser. “Je souhaite qu’ils mènent de bonnes actions et que ça marche bien. Nous allons découvrir leur travail”, estime-t-elle.

 

Une centaine de projets

Saint-Eloy-les-Mines n’est pas la première opération de Médecins du Monde sur le territoire français. “Nous travaillons sur une centaine de projets autour des questions d’accès aux soins en France métropolitaine et en Outre-mer”, souligne le Dr Corty. En revanche, il s’agit de la première mission de MDM dans le monde rural. Au-delà du problème de démographie médicale, l’organisation humanitaire souhaite améliorer profondément l’accès aux soins des plus pauvres. Selon le Dr Corty, entre 15 et 20% des Français retardent leurs soins faute d’argent.

De son coté, le Dr Bertrand est prêt à coopérer, bien qu’il estime que cela ne changera pas de son travail habituel. “Je n’ai jamais refusé personne. Précaire ou non, je suis pour l’égalité pour tous en ce qui concerne les consultations. En revanche, je crains de recevoir des appels de MDM en me disant : cette personne est disposée à être soignée, nous voulons un rendez-vous tout de suite. Tous mes patients auront les mêmes délais pour la prise de rendez-vous, à l’exception bien sur des urgences”, averti le généraliste.

Deux salariés et une quinzaine de bénévoles prendront leurs fonction d’ici un mois. Une équipe fixe sera installée à Saint-Eloy-les Mines et une équipe mobile ira à la rencontre de la population. “Je suis curieux de savoir combien de patients ils verront”, se demande le Dr Bernard dubitatif. Réponse l’année prochaine.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi