A peine remis le rapport Sicard sur la fin de vie, jugeant la loi Leonetti apte à “penser solidairement la fin de vie”, François Hollande faisait savoir que ce cadre juridique ne “permettait pas de répondre aux préoccupations légitimes des Français”. Le président de la République demande au comité consultatif national d’éthique de travailler sur le suicide assisté et les directives anticipées. Un projet de loi est annoncé pour le mois de juin.

 

Pour tous les patients, il faut un projet. Même s’il n’y a plus d’espoir, il doit y avoir encore un projet de vie structurée, jusqu’au bout, un parcours de fin de vie. Il ne faut pas laisser cette tâche à des associations. La mort, cela doit être comme la naissance, un accompagnement. On doit l’envisager avec le patient dès l’annonce d’un mauvais diagnostic. Mais aujourd’hui, la fin de vie intervient dans une improvisation inacceptable. Nous appelons à un changement culturel fort qui doit permettre d’accepter la mort, sans tabous”.

 

Sans violence ni hypocrisie

Ces paroles ont été prononcées par le Pr. Didier Sicard, l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique (Ccne), rapporteur de la mission Penser solidairement la fin de vie. Il présentait les travaux menés depuis juillet dernier à la demande du Président de la République, qui s’était engagé lors de la campagne électorale “à  proposer une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité”. Tandis que nos concitoyens demandent tous à terminer leurs jours à domicile, ils sont 70% à mourir à l’hôpital public, alors que ce dernier (hormis le cas des services de soins palliatifs) n’est pas préparé à les accueillir. Comment gérer ce hiatus ?

Il n’y a pas de propositions révolutionnaires dans ce rapport, mais un message réitéré avec force : nos concitoyens veulent être écoutés, entendus. Ils refusent l’acharnement thérapeutique et demandent éventuellement qu’on les aide à mourir lorsque le temps est arrivé. Comment : par une sédation terminale rapide, “dans le sillage de la loi Leonetti”. Ce qui “interroge le code de déontologie médicale”, reconnaît l’ancien président du Comité d’éthique.  

Autre message de la mission Sicard : la méconnaissance de la loi Leonetti, de 2005,  tant par les personnels soignants que les patients, alors qu’elle apparaît suffisante pour répondre à la quasi-totalité des cas qui se présentent à elle. Cette méconnaissance de la loi serait à prendre en compte  pour comprendre les sondages d’opinion qui démontrent presque tous qu’une forte majorité de Français se prononce pour une légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté. Mais telle n’a pas été la voie choisie par l’équipe du Pr. Sicard, qui s’est déplacée en Belgique, Suisse, Hollande et Oregon aux Etats Unis, où ces pratiques ont lieu.

Aujourd’hui, la mission plaide pour une grande campagne de communication autour de cette loi qui permet à la médecine “dans le cas de fin de vie difficile où le malade demande clairement que sa vie cesse, de lui apporter une sédation terminale sans violence, ni hypocrisie, une fin de vie douce et adaptée à son état”. La mission plaide également pour qu’une assise réglementaire soit donnée aux directives anticipées. Par exemple, sous la forme d’un formulaire officiel, qui pourrait être proposé aux malades où à la personne de confiance désignée entrant à l’hôpital.

 

Comment les choses se passent-elles aujourd’hui en France ?

La charge de la mission Sicard contre la médecine française est forte : essentiellement curative, elle ne prête plus attention à la parole du malade, la douleur n’est prise en compte que de manière aléatoire, l’opposition entre les soignants curatifs et palliatifs est forte. La mission demande un renforcement de l’enseignement de la prise en charge de la douleur, une initiation aux soins palliatifs durant les études et la connaissance de la notion interdite par la loi, d’“obstination déraisonnable” à donner des soins.

Trop souvent, le malade mourant arrive dans le service d’accueil et d’urgence d’un hôpital en provenance d’un domicile ou d’un Ehpad dans les derniers jours de sa vie pour y mourir aux urgences dans une indifférence choquante. 8 000 personnes en provenance d’Ehpad décèdent ainsi chaque année dans les heures qui suivent leur admission au service des urgences. La situation du malade pourtant reste trop souvent encore source de désarroi et d’interrogation pour un urgentiste peu ou mal préparé ”, souligne le rapport, qui insiste :

De la loi Leonetti, les médecins n’ont retenu que l’interdiction de donner la mort, et non l’interdiction de maintenir indûment en vie”.  La notion de directives anticipées reste “confuse” pour le plus grand nombre de malades, de bien portants et de soignants. La désignation de la “personne de confiance” est loin d’être toujours encouragée, voire formalisée. Et lorsqu’elle existe, sa consultation reste aléatoire.

De plus, l’accès aux soins palliatifs, tant en milieu hospitalier qu’à domicile par l’intermédiaire de réseaux, est extrêmement limité. Selon une estimation de 2 008 de l’Observatoire national de fin de vie (ONFV), la population requérante en soins palliatif s’élevait à 322 158 personnes (sur 535  451 décès de personnes de plus de 19 ans). L’offre ne montrait l’existence que de 1 314 lits en unités de soins palliatifs et 5 057 lits identifiés, qui sont loin d’être totalement consacrés à l’activité prévue. En 2009, l’IGAS notait que seules 2,5 % des personnes qui meurent à l’hôpital ont été identifiées dans un Groupe homogène de séjour (GHS), correspondant à une prise en charge dans une de ces unités.

Du côté des médecins, la mission Sicard relève une insuffisance de formation rendant impossible le partage des compétences, la mort vécue comme un échec, et conduisant à l’acharnement thérapeutique. Pourtant,  selon la mission, la loi Leonetti répond à la majorité des situations (hormis aux situations de souffrance existentielle), puisqu’elle propose également la sédation en phase terminale pour détresse, élément qui est peu ou …[ pagebreak ]

mal connu y compris du corps médical. S’agissant de la différence entre cette sédation et un suicide assisté, le rapport explique que l’intention n’est a priori pas la même. Dans le cas de l’euthanasie ou de suicide assisté, l’intention est de donner la mort, alors que dans le cadre de la sédation, elle est de soulager la souffrance. De plus, les produits utilisés ne sont pas les mêmes.

 

Comment les choses se passent-elles à l’étranger ?

En Suisse :

L’euthanasie est illégale, le code pénal interdit l’aide au suicide sauf si cette aide est accordée sans “motif égoïste”. Des associations ( Dignitas, Exit Ds, Exit ADMD notamment), ont utilisé cette absence de criminalisation pour organiser un suicide assisté. Seuls les cantons de Vaud, et du Valais ont ce type d’organisation. Exit ADMD a accompagné 111 personnes dans le canton de Vaud en 2012  (182 personnes ont exprimé le souhait).

En Belgique :

La loi du 28 mai 2002 a dépénalisé l’euthanasie sans modifier pour autant le code pénal. Il y a eu en 2012-2011, 2 086 euthanasies déclarées, 1 727 en Flandre et 359 en Wallonie. 935 ont eu lieu à l’hôpital, 944 au domicile et 161 en maison de repos.

Aux Pays-Bas :

L’euthanasie est pratiquée depuis une trentaine d’années, avec une approbation de près de 90% des médecins. Cinq commissions régionales de contrôle sont en œuvre, qui signalent pour s’en inquiéter, une augmentation (+ 18 %) du nombre d’euthanasies rapportées entre 2010 et 2011. Il resterait des “zones grises” dans les statistiques correspondant à des situations de sédations terminales sans consentement.

En Oregon (USA) :

La loi autorise le suicide assisté, sur prescription médicamenteuse, par auto-administration per os ou par voie digestive directe, dès lors que la demande du malade est reconnue comme confirmée. Cette procédure concerne 0,2 % des décès en Oregon, une proportion stable depuis 10 ans. Ce sont des membres d’une association privée qui se chargent de l’accompagnement du patient. Aucune enquête policière n’est faite.

Ce dernier exemple a amené le Pr. Sicard a conclure que “si la France veut légiférer, elle doit aller jusqu’au bout et assumer ses responsabilité, ne pas déléguer à une association car il s’agit de santé publique et de médecine. Or, il ne faut pas se voiler la face, toutes les sociétés éprouvent un grand embarras lorsqu’il s’agit de l’écrire”, a-t-il développé en rappelant que la mission n’avait jamais fait une recommandation de l’assistance au suicide pour une maladie incurable.

Quelques heures après la remise de ce rapport à François Hollande, l’Elysée faisait savoir qu’un projet de loi sur le sujet serait déposé au Parlement, en juin prochain. Malgré les apports indéniables de la loi Leonetti, la législation en vigueur ne permet pas de répondre à l’ensemble des préoccupations légitimes exprimées par des personnes atteintes de maladie graves et incurables", a estimé l’Elysée dans un communiqué.

François Hollande a donc décidé de "saisir" le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) "afin que celui-ci puisse se prononcer" sur trois pistes d’évolution ouvertes par le rapport de la mission du professeur Didier Sicard. C’est sur ces nouvelles bases qu’un projet de loi sera élaboré, a-t-il fait savoir et présenté en juin prochain.  

Il s’agit tout d’abord de savoir "comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées émises par une personne en pleine santé ou à l’annonce d’une maladie grave, concernant la fin de sa vie". Ces directives s’inscrivent dans le cadre de la loi Leonetti.

Deuxième piste, le CCNE devra travailler la piste du  suicide assisté, (explorée par la mission Sicard, mais non promue) : "selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome atteint d’une maladie grave et incurable d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie". Enfin, le comité consultatif national d’éthique devra réfléchir à la manière de rendre plus dignes “les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille  ou par les soignants”.

 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne