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Ecœuré, le pharmacien devient agent immobilier

Pharmacien passionné par son métier, Jean-Pierre Couderc en a pourtant eu assez. Assez des marges qui n’ont cessé de diminuer, des déremboursements, des génériques contre tiers payant et du "flicage de la sécu". Il y a quelques mois, il a donc décidé de vendre son officine et de changer de métier. Il exerce désormais la profession d’agent immobilier.

 

C’est  l’histoire d’un homme qui rêvait depuis l’enfance de devenir pharmacien. "Petit je trouvais déjà que c’était un super boulot. Le pharmacien m’impressionnait, j’avais l’impression qu’il avait réponse à tout", se souvient Jean-Pierre Couderc en souriant. Et ce désir ne l’a jamais quitté. Une fois le bac en poche, le jeune Jean-Pierre opte donc pour la pharmacie. "Dès le départ, j’ambitionnais d’ouvrir mon officine", souligne-t-il. Diplômé en 1990, il se rend vite compte que les choses ne sont pas si évidentes, notamment lorsqu’on n’a pas d’argent de côté. "Aucune banque n’a voulu me faire un prêt, j’ai du me débrouiller autrement", glisse-t-il. La débrouille va alors durer douze ans.

 

Ingérable

"J’ai monté une petite société de soins par l’odeur. J’avais même un brevet. Au final, ça n’a pas marché. Puis j’ai acheté une maison en ruine que j’ai retapé et que j’ai revendu pour avoir un petit apport", dévoile le pharmacien. A cette époque, Jean-Pierre n’est pas seul à avoir besoin d’argent. Son jeune frère termine ses études de pharmacie. Lui aussi souhaite s’offrir une officine. La vente de la maison additionnée à celle du domicile parental leur permet de réaliser leur rêve. Jean-Pierre rachète une officine. Son frère en crée une. "Quand j’y repense, je me dis qu’aujourd’hui tout cela n’aurait pas été possible. Avec le peu d’apport que nous avions, il aurait été inimaginable d’avoir suffisamment d’argent pour ouvrir deux officines", constate-t-il.

Sa nouvelle vie en officine est heureuse. "Lorsque j’ai acheté la pharmacie en 2003, le chiffre d’affaire était de 450 000 euros. J’ai du faire de gros achat de stock et je suis finalement arrivé à l’équilibre en 2006. Le CA avoisinait le million… [ pagebreak ]

d’euros. C’était très encourageant", confie Jean-Pierre Couderc. Cela ne va pourtant pas durer longtemps. Si tout semble aller pour le mieux, les conditions de travail deviennent de plus en plus en plus compliquées pour le pharmacien. "Les marges ne cessaient de diminuer. On ne peut pas gérer une entreprise lorsque c’est l’Etat qui fixe les prix. J’avais toutes les contraintes d’une société classique, c’est-à-dire les impôts et les charges, sans en avoir les avantages, autrement dit la possibilité de négociation des tarifs", regrette-t-il avant d’ajouter que "cela est vite devenu ingérable".

 

Remettre les pendules à l’heure

Malgré ses 80 à 90 heures par semaines, le chiffre d’affaire de l’officine ne génère plus suffisamment de bénéfices. D’autant que les pressions de la sécurité sociale sont constantes. "On me demandait d’avoir une gestion comptable. La sécu oublie que face à nous, il y a des malades, des gens qui nous font confiance. Je me souviens d’avoir été accusé de faute grave pour avoir délivré à une patiente un anticancéreux prescrit par un radiologue et non par un oncologue", soupire Jean-Pierre Couderc.

Si on imagine volontiers que le train de vie des pharmaciens est plus que convenable, Jean-Pierre Couderc tient à remettre les pendules à l’heure. "Nous sommes vus comme des nantis, bien que ce ne soit pas le cas. Nous n’avons aucune reconnaissance en termes de rémunération. Si j’avais voulu que ma boutique tienne, je n’aurais pas pu me payer plus de 2 800 euros par mois. La seule chose que nous avons en excès, c’est le travail", s’exaspère-t-il. Lorsqu’il y a quelques mois, Jean-Pierre Couderc décide de s’acheter un véhicule et que le prêt est refusé, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. "Je n’ai pas voulu m’acheter une voiture de luxe, juste une Jeep", gronde le pharmacien avant de poursuivre : "à 50 ans, ne pas avoir de prêt pour une bagnole lorsque l’on bosse tous les week-end plus de 80 heures par semaine, ce n’est pas possible".

Sa décision est prise, Jean-Pierre Couderc décide de changer de voie. "Ce métier est devenu un métier de c… On est trop bridés, contrôlés par la sécu. Mon boulot de pharmacien je l’adore. C’est justement pour ça que j’ai décidé d’arrêter. Je refuse de l’exercer de cette[ pagebreak ]

manière", explique-t-il. Selon lui, les syndicats de pharmaciens ne sont pas étrangers à cette dégradation de la profession. "Ils se sont très mal débrouillés, chacun n’y a vu que son intérêt. Il n’y a même pas eu de négociation", s’emporte Jean-Pierre Couderc. "Pour faire des économies, on a abimé un service qui fonctionnait bien. Je suis d’accord pour participer à l’effort en tant de crise, mais pas dans ces proportions", estime-t-il. Le titulaire de l’officine revend donc l’affaire à son ancien assistant. "Célibataire, sans enfant, c’est plus facile pour lui de travailler dans ces conditions. Aujourd’hui, je sais qu’il ne se rémunère que 2 000 euros par mois", indique Jean-Pierre Couderc.

 

Relever le défi

Jean-Pierre Couderc, qui n’envisageait pas de redevenir salarié, s’est donc imaginé devenir franchisé. C’est donc tel un étudiant fraichement diplômé qu’il s’est rendu au salon de la franchise, dans le but de trouver un nouveau métier. "Au départ je pensais acheter un Intermarché, mais on m’a appris qu’il fallait être en couple pour reprendre cette activité. Mon épouse étant malade, ce n’était pas possible. Finalement, j’ai opté pour l’immobilier", indique l’ancien pharmacien. Bien que le secteur soit aussi en crise, cela n’a pas rebuté Jean-Pierre Couderc, prêt à relever le défi.

Si en un mois et demi d’activité, il n’a réalisé qu’une seule vente, le chef d’entreprise estime que c’est un bon début et il ne s’avoue pas vaincu. D’autant qu’il a prévu d’assurer ses arrières. "Aujourd’hui je ne peux pas m’offrir de salaire mais je l’avais prévu. J’ai revendu mon stock d’officine sur 18 mois, en attendant que l’agence prenne le relais", dévoile-t-il avant d’ajouter, lucide : "j’ai donc 18 mois pour gagner ma vie".

Heureux de sa reconversion, Jean-Pierre Couderc n’a pas peur de l’avenir. "Je suis fier de l’avoir fait. Je suis allé jusqu’au bout de mes idées. Je n’ai pas continué dans quelque chose que je ne cautionnais pas", souligne-t-il. Et il prédit déjà qu’il ne sera pas le seul à changer de voie. "Dans les officines beaucoup d’autres pharmaciens en ont raz le bol, mais ils ont l’impression de ne rien savoir faire d’autre. C’est vrai que c’est compliqué", lâche-t-il.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi