La commission des affaires sociales examine aujourd’hui la proposition de loi N° 296 déposée par le groupe socialiste, visant à autoriser les mutuelles à mettre en place des réseaux de soins. Richard Ferrand, l’un de ses auteurs, répond aux questions d’Egora.fr, tandis qu’une pétition paraphée par 13 000 signataire circule pour s’indigner de cette transformation insidieuse du système de soins. Dans les faits, les internes, les chefs de cliniques et la quasi-totalité des syndicats médicaux s’opposent bruyamment à cette réforme "privatisant la santé" dans l’opacité.  

 

Egora.fr. Que répondez-vous aux médecins et professions de santé, qui voient dans cette proposition de loi N° 296 autorisant les mutuelles à mettre en place des réseaux de soins, un cheval de Troie ouvrant la voie à la privatisation de la santé ?

M. Richard Ferrand. J’ai envie de dire qu’il faut lire de près ce texte et garder son sang-froid. Cette proposition de loi prévoit que les mutuelles puissent proposer un conventionnement identique à celui qui est aujourd’hui autorisé par le code des assurances, aux assureurs privés et aux institutions de prévoyance. Ni plus, ni moins. Il s’agit d’un texte de régularisation et je suis surpris qu’il suscite un tel émoi puisqu’il ne changera rien à ce qui se passe aujourd’hui. Il s’agit d’inscrire dans le code de la mutualité une situation de fait puisqu’aujourd’hui, 60% des chirurgiens dentistes ont décidé de se conventionner avec des organismes complémentaires. Nous voulons mettre tous les organismes complémentaires sur un plan d’égalité, c’est la première vocation de la loi et qu’on y cherche des intentions cachées me surprend beaucoup.

Par ailleurs, si l’on parle de privatisation de la santé, c’est bien parce que les médecins reconnaissent que le financement de la santé est pour une large part public. Dans une situation comme celle de l’optique où l’assurance maladie prend en charge environ 4% des dépenses, il n’est pas anormal que les principaux financeurs qui solvabilisent les soins de nos concitoyens demandent à pouvoir passer des conventions avec les professionnels. Et il ne me semble pas mauvais que les choses soient encadrées par contrats pour tous. Les professionnels de santé ont tout intérêt à ce que la demande sociale en matière médicale soit financée, et l’intérêt de ce conventionnement, c’est précisément de garantir la solvabilisation des actes réalisés. Je pense qu’il serait plus sage de voir dans ce texte une clarification juridique, une organisation de la solvabilisation des professionnels de santé et de leurs prestations plutôt que je ne sais quelle privatisation qui, hélas, existe d’ores et déjà.

 

Si ces réseaux de soins mutualistes mettent le pied dans la médecine libérale, les médecins et particulièrement les jeunes ou futurs confrères redoutent que les mutuelles leur demandent de s’accréditer auprès d’eux pour que leurs patients soient mieux remboursés…

Comment ça, qu’ils soient mieux remboursés ? Lorsque je vais chez le médecin généraliste aujourd’hui, cela me coute 23 euros, la sécurité sociale prend en charge 70%,  et le reste est pris en charge par l’organisme complémentaire. Je ne comprends pas où est le sujet.

 

Il est clairement dit dans l’exposé des motifs de la proposition de loi que cette modification du code de la Mutualité permettra au patient mutualiste de bénéficier d’une prime au remboursement lorsqu’il recourt à un professionnel de santé, un établissement de santé ou un service de santé accrédité auprès du réseau…

Oui. Je ne vois pourquoi cela inspire de la terreur !

 

Les médecins se disent que cette disposition met en place une concurrence déloyale entre praticiens sur le terrain, qu’il n’y a plus de liberté de choix…

Ah, mais cette concurrence déloyale, elle existe déjà aujourd’hui, en défaveur des mutuelles !  Je répète que plus de 60% des praticiens de chirurgie dentaire ont souscrit volontairement à ce conventionnement avec des organismes complémentaires. Quant aux opticiens, ils déplorent que tous ne puissent pas accéder au conventionnement ! Ils sont à fois contre, sans être dedans. C’est un peu contradictoire.

 

On comprend le point de vue des chirurgiens dentistes et des opticiens, puisque la majorité des soins qu’ils suscitent ou biens qu’ils délivrent ne sont pas pris en charge. C’est leur intérêt que leurs patients soient solvabilisés.

Nous avons procédé à de très nombreuses auditions pour faire cette proposition de loi et je garantis qu’il n’y a aucune intention de la part des mutuelles de venir sur un terrain où l’assurance maladie joue son rôle. Quel serait son intérêt ?

 

Dans les zones où les praticiens en secteur 2 sont trop nombreux, par exemple

Ce n’est pas cela l’intention du législateur. Il a voulu permettre aux organismes complémentaires mutualistes de pouvoir conventionner comme cela est autorisé par la loi aux assureurs ou aux institutions de prévoyance. C’est tout. Il ne faut pas avoir d’arrière pensées. Moi, à la place des internes, ce qui me ferait le plus peur c’est d’avoir demain des patients qui n’ont plus les moyens de se faire soigner. Mieux vaut une économie sécurisée qu’une économie non régulée. Nous avons reçu un grand nombre de représentants de mutuelles et je vous assure qu’il n’y a pas chez eux la volonté de conventionner à tous crins. Il n’est jamais question de porter atteinte au libre choix, puisqu’il n’est jamais question de dire que le remboursement est supprimé si le patient se rend chez un patient non conventionné. Mais simplement de dire qu’il y aura un bonus de remboursement s’il se rend chez un conventionné.

Aujourd’hui, si l’on ne fait rien pour réguler les flux et peser sur le montant des cotisations mutualistes, on assistera à des vagues de dé-mutualisation ou dé-assurantialisation, si je puis dire et donc à l’insolvabilité des patients. Voilà comment les médecins doivent regarder les choses, c’est de bonne économie car cela leur donne une garantie du règlement de leurs prestations.

Donc, le libre choix, il tient autant à la capacité qu’ont ou n’ont pas les assurés de se couvrir, car les cotisations ne pourront pas augmenter à l’infini. Aujourd’hui, une couverture complémentaire représente pour un couple, a minima, un Smic par an, près de 100 euros par mois. Chacun comprendra que si les cotisations mutualistes ou assurantielles continuent d’augmenter car on ne régulerait pas l’économie de la couverture, les gens vont petit à petit se démutualiser, ne vont plus se soigner, les professionnels de santé auront des ardoises non payées et au bout du bout, ce seront les urgences hospitalières qui accueilleront les personnes qui n’auront pas eu les moyens de se soigner. Nous voulons garantir l’accès aux soins en contenant l’évolution des coûts dans des limites acceptables. Et solvabiliser les assurés sociaux qui auront recours aux professionnels de santé. Telle est notre intention.

 

L’opacité des comptes de la mutualité, dont les frais de gestion sont quatre ou cinq fois plus élevés que ceux de l’assurance maladie par exemple, du fait de la publicité notamment, insupporte les médecins et les internes…

Les mutuelles ont toutes l’obligation de publier leurs comptes. De les certifier et de les publier.

 

Lorsque Marisol Touraine s’est rendue au congrès de la Mutualité française, elle a confirmé au président de la Mutualité, Etienne Caniard, le report d’une année de l’obligation législative imposée aux seules mutuelles par Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé, de communiquer le montant de leurs frais de gestion. Ce que la Mutualité s’est refusé à faire jusqu’ici. 

Ce n’est pas le sujet de la proposition de loi.

 

Mais c’est l’un des points de crispation majeur pour les médecins, qui mettent en parallèle l’obligation de transparence absolue qui leur est faite et l’opacité des comptes des mutuelles, où personne ne comprend ce qu’elles remboursent réellement.

Je n’ai pas approfondi cette question. Ce dont je suis certain, c’est que les comptes des grands groupes d’assurances sont publics. Et je puis vous assurer, après avoir  auditionné les responsables des assurances et des mutuelles, qu’il n’y a pas de laxisme dans la gestion. Cela étant, que la transparence en la matière soit totale, je n’y vois que des avantages.

Mais de vous à moi, je trouve que l’on fait porter bien des choses sur cette proposition de loi. Notre intention n’est nullement de transformer radicalement le système. Je veux apaiser les professionnels de santé, nous ne cherchons qu’à créer une égalité entre les différents opérateurs complémentaires et faire en sorte que le plus grand nombre de Français puisse accéder à un niveau de prix raisonnable à une couverture complémentaire et que ceci induise une solvabilisation de l’accès aux soins. C’est pour nous la meilleur manière pour que les gens soient soignés, et les professionnels, payés.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Propos recueillis par Catherine Le Borgne