Chers lecteurs, cet été Egora.fr a publié une série d’articles historiques. Retrouvons cette rubrique chaque vendredi.



C’est au cours de l’année 1686 que Louis XIV a ressenti les premiers symptômes d’une maladie dont la postérité retient, jusqu’à aujourd’hui encore, les péripéties. Ainsi, comme le plus simple de ses sujets, le Roi-Soleil souffrait en sa chair et devait se plier aux exigences de médecins hésitant entre servilité courtisane et déontologie professionnelle.



 



L’une des premières mentions de la fistule provient du marquis de Dangeau, un diariste très proche du roi. Enfévrier 1686, il note que Louis se plaint d’une “tumeur à la cuisse”, formule à la fois pudique et trompeuse : le roi ose-t-il tout dire de son mal naissant ? La discrétion du malade, et surtout le fait qu’il se laisse de moins en moins voir éveillent les soupçons alors que son médecin attitré, Antoine Daquin, multiplie les interventions sans succès. Emplâtres fantaisistes et suppuratifs vitriolés se succèdent sur un abcès qui est placé près de l’anus et qui finit par s’ouvrir quinze jours après le début des tourments royaux. Le chirurgien intervient à la lancette pour sonder le mal et tenter de le cautériser à l’aide de liquides astringents et franchement acides. D’autres potions suivent mais sans effets probants : que peuvent les pétales de roses de Provins ou le mystérieux baume du Pérou sinon entretenir le mal au lieu de le cautériser tout à fait ?



 



Cobayes



Il apparaît nettement que le malade rechigne à se faire opérer alors que, depuis Hippocrate, on savait pratiquer une incision à l’aide d’un fil. Mais les risques étaient considérables, et chaque opération risquait de donner lieu à une hémorragie ou à une infection encore plus grave que la maladie initiale. Louis XIV ne peut donc se résoudre à cette opération et préfère, pour faire aumieux, s’habituer à la souffrance en évitant de trop la montrer à sa Cour. Mais à la fistule se surajoute bientôt la goutte (son père et son grand-père s’en plaignaient déjà !), et le monarque se retrouve dans une situation désormais intolérable.



on songe un temps à une cure thermale en guise de traitement résolutif, et les poètes de la Cour, avec le zèle et la précipitation qu’on suppose, adressent déjà des compliments au monarque à l’occasion de son déplacement à Barèges. Mais c’était là sans compter avec le changement d’avis du roi : un tel voyage risquerait fort de fragiliser son image alors que les protestants de toute l’Europe maudissent la révocation de l’édit de Nantes qu’il a signée l’année précédente. Louis restera dans son palais et se fera opérer, une fois pour toutes, quand il jugera le moment opportun.



Le bruit court que les pauvres de l’hôpital général de Versailles servent de cobayes au chirurgien qui doit opérer le souverain. Quelques-uns seraient morts pour que le roi survive à cette dangereuse et très douloureuse opération. Toujours est-il que le secret est gardé, et seule une poignée de proches va être mise au courant de la décision royale de subir la “grande opération” à l’automne.



 



Tremblements



La nouvelle de l’opération, le 18 novembre 1686, résonne comme un coup de tonnerre : beaucoup croyaient le roi guéri depuis longtemps, même s’il ne se montrait guère, et rares étaient ceux qui auraient pu penser que Louis s’en remettrait aux bons soins et à la dextérité de son premier chirurgien, le célèbre Charles-François Félix de Tassy. L’opération se déroule sans problème, et le malade convoque dans la foulée un Conseil des ministres. Il le présidera depuis son lit pour prouver à la Cour et au monde qu’il est tiré d’affaire… ce qui est une manipulation de l’opinion !



Alors que les Te Deum se multiplient dans les églises, que les poètes, les peintres et les compositeurs s’empressent d’immortaliser l’événement, Louis sait bien que ses souffrances ne sont pas terminées. Au début du mois de décembre, les incisions reprennent, toujours en vain, toujours avec douleur, toujours avec appréhension, toujours avec discrétion : le malade souffre, mais tout roi qu’il est, il a décidé de confier sa vie à ses médecins en laissant les thuriféraires s’exclamer loin de ses tourments chirurgicaux. Ému par la circonstance et l’importance de ses coups de bistouri, le chirurgien du roi Félix de Tassy contractera des tremblements qui le poursuivront jusqu’à la fin de ses jours, en tout cas c’est ce que dit la légende.



 



Désinformation



Au début de l’année 1687, le mal semble vaincu, la fièvre est tombée, le roi se laisse voir davantage et s’efforce de reprendre une activité normale, étiquette oblige : les médecins semblent satisfaits (on scarifie tout de même l’abcès qui persiste le jour même du Nouvel An) et le bistouri à lame courbe et souple de Félix de Tassy entre dans l’Histoire (il est visible au musée d’Histoire de la médecine à Paris). Louis doit encore attendre le 15 mars pour remonter à cheval, signe d’un rétablissement complet de sa santé.



Pendant ce temps, la monarchie n’a de cesse de rappeler le courage du souverain et d’instrumentaliser l’événement en conférant à l’épisode toutes les caractéristiques d’une victoire militaire. Louis a été courageux, il a tenu ses plans secrets, il a affronté le mal avec grandeur, il n’a jamais eu peur de mourir, et il sort vainqueur de la maladie : on l’a vu aussi grand dans son lit qu’à la tête des armées, ressassent les poètes et autres spécialistes de l’encomiastique royale. La désinformation a préparé le terrain, et la plupart des sujets du monarque ignorent tout des multiples opérations qu’il a subies en réalité.



À l’occasion de cet épisode à la fois douloureux et glorieux, les médecins du roi ont aussi prouvé que leur art, si décrié sur scène, pouvait prolonger les jours de leur patient, ce qui ne tenait pas de l’évidence à l’époque. La “grande opération” a servi la cause de la chirurgie et de la monarchie : la première y a gagné de nouvelles lettres de noblesse (Voltaire s’en souviendra dans son Siècle de Louis XIV) quand la seconde a voulu confirmer le caractère symboliquement immortel du prince. Établir un parallèle historique entre l’art de guérir et l’art de régner ne serait donc pas sans fondement, puisque, comme la politique, la maladie a ses grandeurs et ses servitudes les plus intimes.



 



Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : M.D, d’après La RevueduPraticien.fr. Pour lire le dossier complet, cliquez sur ce lien, Stanislas Perez*.



 



* Stanislas Perez, qui a publié aux éditions Champ Vallon « La Santé de Louis XIV, une biohistoire du Roi-Soleil » (v. La Revue du Praticien du 31 mai 2008) ainsi qu’une édition du « Journal de santé de Louis XIV » aux éditions Jérôme Millon (v. La Revue du Praticien du 31 janvier 2005).