Après avoir décroché un bac S, Sarah** a enchainé les petits boulots. Aujourd’hui, maman d’une petite fille de quatre ans, elle a décidé de reprendre ses études pour devenir pharmacien. Elle n’imaginait pas que l’Etat lui mettrait des bâtons dans les roues… Rencontre.

 

“J’ai 28 ans et je suis maman d’une merveilleuse petite fille de quatre ans. Elle est mon moteur, ma motivation, ma force. En 2011, j’ai décidé de reprendre mes études. Je suis aujourd’hui en deuxième année de pharmacie. Ma situation est désespérée, je ne sais pas si je vais pouvoir tenir.

J’ai toujours été une bonne élève. A 18 ans, j’ai décroché un bac scientifique mais sans vraiment savoir quoi en faire. Je n’avais aucune idée d’orientation. J’ai alors opté pour l’école de la vie et enchaîné les petits boulots. Serveuse, femme de ménage, baby-sitter… Je gagnais de quoi vivre et cela me satisfaisait.  J’étais jeune, bête, mais surtout inconsciente. Et puis à 23 ans, je suis devenue adulte, où plutôt maman. Moi qui ne savais même pas ce que c’était, j’ai commencé à toucher le RSA (Revenu de solidarité active) sur les conseils de l’assistante sociale.

 

Dérogation

Reprendre mes études à toujours été une évidence. J’y pensais depuis très longtemps. Je voulais faire un métier en lien avec la santé. J’ai finalement choisi pharmacie. On peut se demander pourquoi je souhaite faire des études aussi longues. Quitte à sortir de la précarité, autant le faire pour de bon. Je ne veux surtout pas devenir un actif précaire. Je veux pouvoir m’élever socialement et offrir à ma fille la vie qu’elle mérite. Pharmacien, c’est un métier qui offre un métier mais aussi le temps de vivre à côté de son travail. Je n’ai pas voulu faire médecine, parce que la formation est trop aléatoire. Le concours des ECN détermine toute une vie.

Fin 2010, mon projet était clair. Je voulais faire pharmacie. Je me suis donc renseignée auprès de différents organismes afin de pouvoir faire un stage de remise à niveau. J’ai du demander une dérogation au Conseil général pour pouvoir continuer à toucher le RSA*. Miracle : ma demande de stage en vue d’une reprise d’étude est acceptée. Moi qui ne savais plus bachoter, j’ai pu, grâce aux APP(Ateliers Pédagogiques Personnalisés), retourner à l’école de mars à aout 2011. J’y ai revu le programme scientifique de la troisième à la terminale.

Le 19 septembre 2011 est une date très importante pour moi. La rentrée scolaire. C’est aussi le début de la galère absolue. Etant de nouveau étudiante, je demande une dérogation au Conseil Général afin de pouvoir continuer à toucher le RSA. Mes trois requêtes sont refusées. Refusées alors même que 4 000 euros ont été dépensés pour moi afin de me remettre à niveau. Si j’arrête mes études, je pourrais percevoir le RSA, mais tant que j’étudie, ce n’est pas possible. Je ne comprends pas la logique. On accepte de m’aider si je ne fais rien, mais on refuse si je veux m’en sortir.

 

Epiceries solidaires

Les dettes s’accumulent, la situation devient intenable. Au premier semestre, j’ai l’intention de tout abandonner. Une assistante sociale m’annonce alors que je peux toucher une bourse de 460 euros sur 10 mois. Par chance, elle est rétroactive, j’encaisse les mois où je n’avais rien et cela me permet de sortir un peu la tête de l’eau. Malgré tout, cette somme n’est pas suffisante pour vivre avec ma fille. Une fois le loyer et les charges fixes payées (électricité, assurance, abonnement de bus…) il me reste 28 euros pour le mois… L’assistante sociale m’envoie vers des épiceries solidaires. Quelques fois, j’ai droits à des bons de la mairie pour manger.

Pendant ce temps là, je dois continuer à travailler pour valider la difficile année de P1. La journée, je suis à la fac. Je récupère ma fille le midi et le soir. Je travaille mes cours lorsqu’elle est couchée. Je dors quatre heures par nuit. Je ne sais pas comment j’ai fait mais j’ai réussi à passer en deuxième année.

Malheureusement ma bourse était sur 10 mois. L’été arrive et je n’ai plus rien. Je dois pourtant faire un stage de six semaines en officine pour valider ma première année. Manque de chance, il n’est pas rémunéré. Je dois aussi faire garder ma fille. La mettre en centre aéré me reviendrait à 273 euros pour deux semaines. Je suis désemparée… Un jour, je suis allée à la CAF pour leur demander de l’aide. Ils ne pouvaient rien pour moi. Je me suis effondrée en pleurs dans leurs locaux. Un employé m’a alors amenée dans un bureau et m’a conseillée de tricher. De dire que j’arrêtais mes études en juillet et aout, histoire de toucher deux mois de RSA, puis de prévenir que je reprennais mes études en septembre. J’ai décidé de le faire, la peur au ventre que l’on me demande de rembourser ces deux mois.

 

Découvert à trois chiffres

Nous sommes en septembre et j’ai repris les cours, mais je suis épuisée. Fatiguée de faire toutes ces démarches qui me prennent une énergie folle. La semaine dernière, j’ai fait une crise d’angoisse. J’ai honte d’être dans cette situation. Je ne touche plus que 460 euros par mois. Je dois 600 euros d’électricité et payer mon loyer devient de plus en plus compliqué. Mon découvert est à trois chiffres. Tant que je peux retirer des sous je le fais. Je n’ai aucune visibilité financière. Je ne sais pas comment je vais m’en sortir. J’essaie de vivre au jour le jour. Ma dernière chance est un recours administratif au tribunal. Cela va encore me prendre un temps fou.

Je ne peux pas arrêter mes études maintenant. Je suis allée trop loin. J’ai trop souffert pour valider ma P1. De l’argent du contribuable a été dépensé pour moi. Tout arrêter reviendrait à le brûler. Si on m’aide je pourrais avoir un boulot, je remplirais une mission de service public et je paierais des impôts. On ne peut pas me reprocher de pouvoir m’élever socialement.

A quatre ans, ma fille a une maturité formidable. C’est pour elle et grâce à elle que je tiens. Il y a quelques jours, elle voulait quelque chose dans une boutique. Je lui ai alors expliqué que pour le moment nous n’avions pas assez d’argent, mais que j’étudiais pour qu’on puisse s’en sortir. Elle a reposé l’objet avec un sourire et m’a dit : “c’est pas grave maman, on l’achètera quand tu auras fini l’école”.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi

 


*Le RSA n’est pas ouvert aux étudiants, sauf sur dérogation justifiée "par la situation exceptionnelle de l’intéressé au regard de son insertion sociale et professionnelle".
**Note de la rédaction : après s’être exprimée sur le site Rue 89, Sarah a accordé une interview à la rédaction d’Egora.fr. Nous avons jugé important de diffuser au maximum son histoire. Bien cordialement.