Les travaux du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (Hcaam) ont inspiré le gouvernement . Explications du parcours avec Denis Piveteau, le président du Hcaam.

 

Egora.fr : Tandis que le Hcaam qualifie dans son rapport la situation financière de l’assurance maladie d’"extrêmement critique", à défaut de réformes, le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie s’est voulu rassurant en affirmant en avril que "l’équilibre est à notre portée". Qui croire?

Denis Piveteau : Ces deux discours ne sont pas forcément contradictoires. On peut prendre acte que le déficit de l’assurance maladie se réduit grâce aux mesures d’économies classiques et pourrait être ramené au niveau de 2007, avant la crise. L’an dernier, il s’est ainsi élevé pour le régime général à 8,6 milliards d’euros, soit 900 millions de moins que les prévisions. Cependant, l’effort à mener est beaucoup plus profond si l’on veut trouver une solution à long terme. Les dépenses de santé continuent de progresser plus vite que les recettes. Pour l’allocation des ressources, la santé est de plus en plus en concurrence avec d’autres besoins publics. Et il ne faut pas oublier que la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) supporte une dette cumulée de 100 milliards d’euros au titre de l’assurance maladie, dont nous devons rembourser chaque année le capital et les intérêts… Le Hcaam suggère donc que l’action gouvernementale annoncée en direction des déserts médicaux, de l’hôpital public et des dépassements d’honoraires s’inscrive plus globalement, pour équilibrer les comptes de l’assurance maladie sur le long terme, dans une politique publique de santé et d’autonomie.

 

Selon vous, les deux principaux défis auxquels est aujourd’hui confronté notre système de soins, soignant et financier, se rejoignent sur la question du «parcours de soins».

L’importance croissante des maladies chroniques et des polypathologies est au coeur des enjeux. D’une part, parce qu’elles concentrent les deux tiers des dépenses de santé, et sont responsables des trois quarts de la hausse des dépenses. D’autre part, parce qu’elles impliquent des modes de prise en charge nouveaux pour notre système de santé, avec une grande diversité de soignants, d’acteurs sociaux et d’aidants qui doivent apprendre à travailler ensemble. Faute d’une bonne gestion de la complexité, les «parcours » de ces patients sont les plus susceptibles d’engendrer des interventions inadéquates des différents professionnels : mal réparties entre eux, trop précoces ou trop tardives, incomplètes ou inutilement lourdes. Ces défauts de coordination sont autant de facteurs de non-qualité qui sont en même temps des coûts évitables pour l’assurance maladie. Ainsi, par exemple, par des approches territoriales comparatives, le Hcaam a pu estimer à plusieurs milliards d’euros les effets d’une mauvaise prise en charge du parcours de soins des personnes âgées dites « dépendantes » sur la seule dépense hospitalière. Le jeu en vaut la chandelle !

 

Quelles sont les différentes implications du passage à une «médecine de parcours» que vous préconisez?

La médecine de parcours demande un travail soignant plus collectif. La fonction de synthèse médicale peut être assurée par le médecin traitant seul, ou par l’équipe de soins réunie en maison de santé. L’hôpital public doit intégrer dans sa démarche qu’il est au service d’un parcours soignant, dont la médecine de proximité est le vrai pivot. La Haute Autorité de santé (HAS) doit élaborer des recommandations de «parcours », ce qu’elle initie en faisant évoluer les guides ALD pour certaines pathologies (encadré). Elle doit aussi envisager des recommandations polypathologiques autour de comorbidités, et définir le rôle et l’articulation des différents professionnels. Cette meilleure coordination appelle à trouver, autour de chaque malade, des formes nouvelles de partage des tâches entre soignants. Quant à l’assurance maladie, elle devra élaborer de nouvelles tarifications transversales, incitatives à la qualité et au travail collectif. Il est par exemple illogique que le reste à charge d’une personne âgée soit aujourd’hui plus élevé en maison de retraite qu’à l’hôpital… L’approche par parcours de soins suppose aussi une vision globale de la densité médicale et soignante : la mesure du besoin ne doit plus reposer sur de simples comparaisons de densités de professionnels ou de lits mais sur une analyse des services attendus par la population et des diverses manières d’y répondre.

 

Comment engager ce mouvement concrètement sur le terrain?

Au-delà des dispositifs expérimentaux de soins coordonnés existants, le Hcaam plaide en faveur de « projets pilotes » mis en oeuvre sur quelques territoires spécifiquement désignés, autour du parcours de soins des malades choisis pour commencer parmi les plus fragiles : personnes âgées polypathologiques et patients souffrant de pathologies mentales. Ces projets pilotes doivent impliquer l’ensemble de la chaîne soignante, depuis les soins hospitaliers les plus spécialisés jusqu’aux services d’aide à domicile, en passant par la coordination des soins en ville. Ces prototypes d’organisation nouvelle impliquent un pilotage national fort, négocié avec les professionnels de santé, et une mise en oeuvre sous l’égide de quelques ARS travaillant en lien étroit avec les collectivités territoriales. L’investissement doit être important autour des entrées et sorties d’hôpital, de la mise en oeuvre pluriprofessionnelle d’un même protocole, de l’échange de données cliniques entre soignants,de la mise à disposition d’appuis spécialisés aux médecins de ville, de l’évaluation médicoéconomique… En vue d’une généralisation à tout le territoire.

 

Le comité de pilotage sur le parcours de soins des personnes âgées en perte d’autonomie, mis en place en avril par le précédent gouvernement et qui travaille à un «prototype» pour 2013, va donc en ce sens?

Ce comité placé sous la présidence de Dominique Libault se donne effectivement pour objectif de mettre techniquement en oeuvre les propositions du Hcaam. Mais l’enjeu, vous l’avez compris, est tout sauf seulement technique. Un tel projet ne peut être légitime qu’en étant confirmé avec force par la nouvelle ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine. À cet égard, on ne devrait pas limiter la réflexion aux seules personnes âgées, comme c’est le cas actuellement. Et je formule le voeu que les autres initiatives déjà en cours, telles que l’appel à projets lancé par certaines ARS pour expérimenter des dispositifs de prévention des hospitalisations et de gestion des sorties d’hôpital des personnes âgées (article 70 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2012), puissent être réintégrées dans des projets pilotes de plus grande ampleur.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Holué