Installée au 3 rue Soufflot à Paris depuis 1859, la pharmacie Lhopitallier va fermer définitivement ses portes pour se transformer en magasin de vêtements. Roger Lhopitallier prend sa retraite, comme l’avaient fait son père et son grand-père, propriétaires des lieux avant lui. Lots de consolation, le décor de l’officine qui n’a pas changé depuis le 19ème siècle ira enrichir les collections du musée Carnavalet.

 

Derrière la vieille porte en bois de la pharmacie Lhopitallier, la lumière est éteinte. La croix verte ne s’allumera plus. Sur la porte une affichette annonce que l’officine ferme définitivement. Elle remercie les clients de leur fidélité et les informe que le décor sera transféré au musée Carnavalet à Paris. Le propriétaire de cette pharmacie, installée rue Soufflot depuis 1859, prend sa retraite à l’âge de 76 ans. Et ce n’est pas sans un pincement au cœur qu’il voit les étagères se vider et les cartons se remplir. Pour Roger Lhopitallier, ce lieu représente son histoire familiale. “Ca me fait de la peine de voir les souvenirs de mon enfance s’effacer. J’ai toujours vécu ici. Petit lorsque je rentrais de l’école, je venais directement à la pharmacie.  Ça me fait mal de la laisser” soupire-t-il.

 

Alambiques

Installée au 3 rue Soufflot, face au Panthéon depuis 1859, l’officine était alors une apothicairerie. “C’est un dénommé Buirat qui s’installa ici le premier. Il venait d’être expatrié de la rue de la montagne Sainte Geneviève pour cause de travaux haussmanniens” raconte Roger Lhopitallier, incollable sur l’histoire de sa pharmacie. L’apothicairerie se transforme en pharmacie en 1892 lorsqu’elle est rachetée par Octave Lhopitallier, grand-père de Roger. “Cela fait plus de 120 ans que la pharmacie est dans la famille” témoigne le retraité, pensif. Et depuis 1892, le décor n’a pas changé.

Dans l’arrière boutique, de vieux alambiques en cuivre datant de la Révolution côtoient un immense mortier posé sur un sublime poêle à charbon en faïence. Sur les étagères de vieux flacons poussiéreux sont alignés. Contenant des matières toxiques, ils seront voués à la destruction. Tous ces outils, qui semblent sortir droit d’un film historique, ont été utilisés par le père et le grand-père de Roger Lhopitallier, lors de la préparation de médicaments. (Voir le diaporama sonore pour plus de détails)

Aujourd’hui le métier n’est plus le même, et ce décor fascinerait les jeunes étudiants en pharmacie. Heureusement, tout ne sera pas détruit. Les curieux pourront bientôt découvrir les plus belles pièces de la pharmacie au musée Carnavalet à Paris. “La personne en charge du patrimoine à l’Ordre des pharmaciens a tenu à ce tout cela ne soit pas saccagé. Elle a usé de son influence pour que le musée reprenne les pièces” se réjouit Roger Lhopitallier avant d’ajouter : “Je suis très heureux que ce patrimoine ne disparaisse pas. Ca m’aide à faire passer la pilule”. Les vieux ordonnanciers de l’officine ont été récupérés par l’Ordre des pharmaciens pour les conserver à la faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Paris. “Au temps de mon grand-père, on notait pour chaque achat, le nom du médecin qui l’avait prescrit et la formule exacte de la préparation” explique le retraité qui constate à quel point la profession a changé.

 

Artisans

 “Le métier se dégrade. Il se transforme. Autrefois les pharmaciens étaient des artisans. On aurait ainsi pu les comparer aux boulangers ou aux pâtissiers. Certains faisaient du pain, d’autre des gâteaux et les pharmaciens fabriquaient les médicaments. De nos jours, les pharmaciens sont devenus des commerçants” déplore-t-il. La famille Lhopitallier a assisté à la naissance des laboratoires pharmaceutiques et au développement des médicaments à l’échelle industrielle. Roger Lhopitallier relativise : “Le changement était inévitable. Aujourd’hui les technologies ont atteint un tel niveau. Mon grand-père n’aurait jamais été capable de faire une pilule contraceptive. Les doses sont si infimes”.

Si Roger Lhopitallier a choisi d’être pharmacien, c’est  “un peu par la force des choses”, pour pouvoir prendre la suite de son père. Et la filiation continue. Sur ces quatre enfants, le septuagénaire à un fils, lui aussi pharmacien ! “Il a préféré s’installer en province. C’est un  rythme de vie qui est différent. A Paris, il y a beaucoup de concurrence et la vie est beaucoup plus chère” explique-t-il, compréhensif. S’en est donc fini pour la mythique pharmacie Lhopitallier. “J’ai eu plusieurs propositions de reprises. Je n’ai pas donné suite car j’ai une toute petite retraite et une grande famille que j’aimerais aider. S’il y avait eu un pharmacien, le prix du loyer aurait été un pourcentage de mon petit chiffre d’affaire. Etant donné l’emplacement magnifique de l’officine, j’ai eu plusieurs propositions de magasins de luxe et demi-luxe. Je vais donc leur vendre le pas de porte, ce qui me permettra de bénéficier d’un loyer intéressant” confie le pharmacien retraité.

Pas d’inquiétudes pour les anciens patients fidèles de Roger Lhopitallier, une autre pharmacie est située au numéro 17 de la rue Soufflot. Mais si la densité des officines est très forte à Paris, elle va en régressant à l’échelle du pays. Selon l’Ordre national des pharmaciens, qui vient de procéder à un recensement de la profession et s’inquiète pour l’avenir, 141 licences de pharmaciens ont été supprimées en 2011 et plus d’une pharmacie ferme tous les trois jours. 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi