Le budget de la permanence des soins en Finistère (29) a été divisé par trois par l’ARS. La potion est également dure à avaler dans le Morbihan, où l’on repousse la réforme initiée par l’agence au 1er juin dernier.

 

Crozon, dans le Finistère (29), c’est cette langue de terre en forme de croix qui s’enfonce dans l’Atlantique, enserrée par les deux mâchoires de la pointe de la Bretagne. Les rivages y sont tout crochetés, et il faut compter en moyenne 45 minutes -voir plus la nuit ou par mauvais temps – pour rejoindre Brest ou Quimper par la route. Bref, Crozon est une zone blanche (il y en a une seconde dans le Nord Finistère), de celles qui échappent à la régulation ordinaire du fait de sa particularité géographique, un peu comme le font les îles. Un hélicoptère blanc, dépendant du SAMU, peut se déplacer, mais uniquement de jour et par beau temps et place les secours urgent à 15 minutes des malades.

 

Délai de 45 minutes

Mais, grondent les médecins généralistes, l’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne, qui a maintenant la responsabilité de la PDS, ignore totalement cette spécificité. Ces MG ont démissionné en groupe de l’Adops 29 (association départementale de permanence de soins du département) pour protester contre la nouvelle organisation de la Pdsa (permanence des soins ambulatoire). Des volontaires ont relevé le gant, pour ne pas avoir à licencier la secrétaire.

"On a considéré qu’il fallait légalement 20 minutes pour l’intervention d’un Smur, le délai est passé à 30 minutes il y a quelques années. Maintenant, il va falloir compter 45 minutes avant qu’un Smur arrive de Camaret", s’indigne le Dr Patricia Coroller, médecin généraliste très active sur le département, tant en matière de formation initiale que de vie syndicale ou associative. Interrogés par nos soins, les responsables de l’ARS n’ont pas souhaité répondre ce jour.

 

Rationalisation des coûts

Pourquoi ce retour en arrière ? Alors que jusqu’au 31 mai dernier, la permanence des soins étaient organisée par le Codamups, instance préfectorale départementale réunissant toutes les parties prenantes de la PDS, la Pdsa est désormais régie par l’ARS. Un nouveau cahier des charges a ainsi été élaboré pour chaque département et chaque zone en “concertation”, notamment avec les ordres départementaux et l’union régionale des professions de santé (Urps) se félicite-t-on à l’ARS. Un travail d’organisation que l’on pourrait caractériser par son souci de rationalisation des coûts. Dorénavant, le montant annuel consacré à la rémunération des forfaits ne sera plus de  3 millions d’euros pour le département, mais de 1 million ! Alors, çà grince évidemment de toutes parts.

Résultats sur le terrain ? Tandis que jusqu’ici, les médecins généralistes pouvaient pallier les inconvénients de… [ pagebreak ]

la zone blanche en participant à la PDS en tant que régulateurs et effecteurs 24 heures sur 24, et se déplacer y compris en nuit profonde dans le cadre de l’AMU (aide médicale urgente), cela ne sera plus possible. Il n’y aura plus désormais que cinq généralistes “mobiles” sur tout le département de minuit à 8 heures et le week-end en journée. Et deux seulement pour la nuit profonde, de minuit à 8 heures.

 

Aucun renfort

"Que faire lorsque l’hélico ne peut plus voler ? La problématique est aggravée la nuit” prévient le Dr François Parenthoine, qui exerce à Crozon. Ancien membre du bureau de l’Adops 29, il n’a pas voulu reprendre du service, pour ne pas cautionner une réforme “dictée par des impératifs économiques”, qu’il juge dangereux. Car à ses yeux, le problème va devenir particulièrement aigu avec l’arrivée des touristes, qui verra la presqu’île de Crozon passer de 15 000 à 40 ou 50 000 habitants entre le 14 juillet et le 15 août, "sans qu’aucun renfort ne soit prévu". Le problème est également urgent pour la permanence des soins autour de l’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), de l’hôpital local. “Nous allons devoir organiser une PDS sur le budget hospitalier”, explique, lassé, le Dr Parenthoine. 

“Il ne s’agit pas de faire peur à la population, mais les généralistes sont inquiets pour la santé de leurs patients, insiste le Dr Coroller. Il pourra y avoir perte de chance importante pour cette population en cas d’urgence grave, et avec l’arrivée de la population d’été, les risques d’appel pour les vraies urgences n’auront pas de réponse”.

 

Folie

Le Dr Jean-Yves Lohéac, de Landerneau (qui n’est pas une zone blanche), a également jeté l’éponge à l’Adops 29. Et pourtant, il y participait depuis 10 ans ! Lui non plus ne veut pas cautionner le modèle de l’ARS, qui ne prévoit que deux effecteurs mobiles la nuit. Mais il explique son opposition par d’autres raisons.

“’Deux médecins mobiles, c’est de la folie. Le Finistère, c’est énorme, le territoire est côtier, découpé…”, relate-t-il. Pour lui, la solution la plus efficace aurait consisté à supprimer carrément la Pdsa de nuit profonde, “couteuse et dangereuse”, et la laisser au secteur public. Dangereuse, car "les médecins prennent leur véhicule, risquent un accident alors que pour cette mission de service public, ils ne sont assurés pour les dommages subis que s’ils ont souscrit à leurs frais une assurance privée”, fait-il valoir. Couteuse, car cette Pdsa en nuit profonde consomme le quart de l’enveloppe pour répondre à un à deux appels par nuit : 365 000 euros annuels sont budgétés pour la rémunération des deux effecteurs de nuit, contre 700 000 pour les cinq effecteur mobiles et fixes de jour.

 

Système boiteux

"L’ARS veut harmoniser la PDS sur les quatre départements bretons, mais il n’y a actuellement que les Côtes d’Armor et l’Ile et Vilaine qui acceptent la réforme, car le Morbihan la repousse, tout comme le Finistère” explique le Dr Lohéac. Il aurait souhaité que l’on augmente sensiblement les forfaits des effecteurs de jour (actuellement de 50 euros pour quatre heures) et de début de nuit (fixé par l’ARS à 150 euros de vingt heures à minuit),  pour trouver plus facilement des volontaires. Cette proposition n’a pas été acceptée et aujourd’hui, regrette-t-il, “les postes de médecins mobiles ne sont pas pourvus partout, le système est boiteux”.

Mais cette carence fera sans doute des heureux, les médecins de SOS médecins qui assument à eux seuls entre le tiers à la moitié des actes. Alors qu’ils ne couvrent, selon notre interlocuteur, que le quart de la population.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne