Jacques Fabrizi est un médecin généraliste, installé depuis 30 ans, tout près de la frontière luxembourgeoise. Formé aux soins palliatifs et en psycho-oncologie clinique, il a réfléchi à la relation soignant-soigné au travers de son livre Déjà presque mort mais encore si terriblement vivant (éditions l’Harmattan). Un livre de deuil, écrit à la mort de son père, rescapé du camp de concentration de Buchenwald. Le Dr Fabrizi est également leader accrédité de la Société médicale Balint.
Pourquoi ce titre, Déjà presque mort mais encore si terriblement vivant ?
Pour moi c’est un livre de deuil. J’ai commencé à l’écrire à la mort de mon père. J’avais entrepris auparavant une formation en soins palliatifs (diplôme inter-universitaire). Tout cela est un véritable cheminement. Lors de mon mémoire pour la validation de mon DIU, je m’étais intéressé au regard des soignants, dans le cadre des soins palliatifs. Déjà presque mort mais encore si terriblement vivant, est en quelque sorte la définition que je donne du mourant
Pourquoi cet intérêt pour les soins palliatifs ?
La mort m’intrigue. Je suis médecin généraliste, installé en libéral depuis plus de 30 ans, au contact des malades. Je noue des relations avec mes patients qui débordent souvent le cadre de l’empathie. J’avais ressenti quelque chose de trouble de ce côté-là et je ne comprenais pas trop. J’ai voulu chercher ce qui m’intriguait dans l’accompagnement de mes patients en fin de vie. Je me suis finalement rendu compte que cela m’avait renvoyé à l’histoire de mon père qui avait été déporté dans les camps de concentration à Buchenwald et qui n’avait jamais pu m’en parler. (Emotion) C’est une partie de ma vie très sensible et j’avais besoins de l’écrire.
Quel message voulez vous faire passer au travers de ce livre ?
On parle beaucoup d’euthanasie. On met en avant les gens qui la pratiquent, même de façon cachée. Je me souviens d’un article dans lequel 300 médecins avaient signé un appel de l’ADMD (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité). Ca me révolte d’entendre ce genre de discours. En tant que généraliste, je suis souvent confronté à des patients qui me disent : “si un jour, ça ne va pas, faites moi une piqure qu’on en parle plus”. En fait quand ils sont en situation de mourir, ils ne reparlent plus jamais de cela. Le parcours de chacun est singulier. Vouloir absolument instrumentaliser l’euthanasie comme le fait l’ADMD pour en obtenir la légalisation, c’est fausser le débat. On ne peut pas légiférer sur les singularités de chaque cas. Plutôt que de légaliser l’euthanasie, on ferait mieux de développer les soins palliatifs.
Je pense aussi qu’il est intéressant de voir comment les choses se passent dans les cabinets médicaux, comment les médecins accompagnent leurs patients. Le métier de généraliste est un métier difficile. D’autant que l’on impose de plus en plus à notre pratique des conditions délétères. Je raconte tout cela à travers mon histoire. Je reconnais que c’est un livre hybride.
Vous dites dans votre livre que le médecin généraliste est le médecin “du premier et du dernier recours”.
On consulte le généraliste lors des premiers symptômes. Il accompagne ses patients tout au long de leur histoire, jusqu’à leur dernier souffle. Moi je permets à mes patients qui ont envie de terminer leurs jours à domicile de les accompagner, en mettant tout en place pour que cela se passe au domicile et non à l’hôpital. A chaque fois c’est quelque chose de très enrichissant. J’ai accompagné dernièrement une patiente en stade terminal de la maladie d’Alzheimer, en position fœtale. Elle était à domicile, dans un lit médicalisé. Je me suis occupé de toute la gestion médicale, qu’il s’agisse des soins, mais aussi de tout l’accompagnement psychologique du malade et de l’aidant. Si on n’aide pas les aidants à participer et à prendre du recul, cela ne se passe jamais bien et les patients sont souvent envoyés en catastrophe à l’hôpital, par crainte des derniers instants. Je pense qu’il est important de prendre le temps d’accompagner. Malgré un emploi du temps chargé, je m’organise. Il y a des priorités. En fait je pense que j’ai le syndrome du survivant.
Que voulez-vous dire par là ?
En évoquant dans mon livre, ce syndrôme du survivant, j’ai été amené à parler de l’histoire de mon père qui est un rescapé des camps de concentration. Il a travaillé dans les fours crématoires, où il y mettait des corps morts. Cela a été pour lui quelque chose d’effarant. En fait je me suis rendu compte qu’en faisant de l’accompagnement de patients en soins palliatifs, je faisais la même chose que lui, en développant un véritable syndrôme du survivant. Incontestablement, cet attrait pour les soins palliatifs est lié à ce qu’a vécu mon père.
Quel regard faut-il apporter aux personnes en soins palliatifs ?
Surtout pas un regard de pitié mais plutôt un regard d’aidant, de compassion et d’empathie poussée. Si on se laisse aller à ne voir que les difformités de gens, cela devient difficile voire insoutenable. C’est tout un apprentissage. Il faut réaliser que le regard est un acte de soins. Une fois qu’on en a pris conscience, on adopte un autre regard.
Faut-il parler de la mort avec vos patients ?
C’est l’objet de tout un chapitre dans mon livre. Moi j’en parle. Je pense que c’est important pour les gens d’entendre des mots, de leur permettre de mettre des mots sur quelque chose que l’on a tendance à cacher. C’est difficile de parler de la mort. Permettre aux gens d’en parler, cela fait aussi partie des soins palliatifs.
Comment faire pour ne pas être trop atteint par la souffrance des patients et des familles ?
Quand on s’implique trop, on souffre. Je pense que les soins palliatifs ne s’arrêtent pas au décès du patient. En tant que médecin généraliste, je fais une prise en charge des situations de deuil pour les familles. Pouvoir parler de la personne décédée, cela aide souvent les proches et moi aussi. Cela fait plus de 30 ans que je suis installé, il y a donc forcement des liens qui se créent. Lorsqu’une personne décède, on n’est pas indemne.
Qu’apporte la méthode Balint dans la prise en charge des soins palliatifs ?
Elle apporte surtout au praticien. C’est un temps de parole donné au médecin pour exprimer ses difficultés par rapport à une relation. Le fait d’en parler est précieux. On adopte un autre regard par rapport à la relation soignant-soigné. Très peu de médecins participent à des groupes Balint et c’est vraiment dommageable parce que ça apporte un bien fou.
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi