Le Dr Eric Henry est médecin généraliste dans la maison de santé d’Auray. Il est à l’origine du concept de médecin volant sur lequel il travaille depuis 2007 avec le syndicat des médecins libéraux (SML). Il propose aux médecins installés de se faire remplacer au moins un jour par semaine, afin de pouvoir venir en aide aux zones sous-dotées. L’idée étaye l’expérimentation mise en place à Belle Ile, où, comme le Dr Henry, des praticiens volontaires jonglent entre la ville et l’hôpital, pendant 24 heures, pied au plancher.

 

Egora.fr : Comment est née l’idée des médecins volants ?

Dr Eric Henry : A la base, il y a une mauvaise répartition des médecins en France. Dans les grandes villes, il y en a énormément et dans les campagnes, il n’y en a plus. D’autant que plus personne ne veut s’installer dans les zones rurales. L’idée est donc de proposer à des médecins de ville, qui quelques fois s’ennuient dans leur cabinet, de concentrer toutes leur consultations sur un certains nombre de jours de la semaine afin d’en libérer au moins un. Lors de cette journée, ils pourraient partir travailler à la campagne, dans les secteurs sous-dotées. Ce concept est idéal pour des médecins installés, avec une vie de famille stable.

 

Un décret vient de paraître au Journal Officiel, en quoi consiste-il ?

Ce décret du 7 mai dernier autorise les médecins qui exercent en ville à aller travailler dans des zones sous dotées. C’est désormais clairement écrit, sur avis du Conseil de l’Ordre. Le décret admet que l’on puisse se faire remplacer par des “collaborateurs libéraux ou salariés”. L’idée est là, mais c’est encore un peu limitatif, donc il va falloir faire mieux. En effet, on considère encore que le remplaçant n’a pas une existence médicale digne et on ne lui donne pas la possibilité de remplacer le médecin qui est parti. Le décret sous entend que les remplaçants contractualisent, s’engagent sur un territoire, ce qui est antinomique avec le projet des médecins volants, puisqu’il nous faut des gens très mobiles, qui ne sont enchaînés à rien. Ce que j’ai compris en lisant le décret, c’est qu’on ne parle toujours pas de remplaçants, mais plutôt de “collaborateur”.

 

Y-a-t-il déjà des volontaires ?

Oui, tout à fait. J’ai déjà reçu plusieurs mails de médecins qui veulent savoir comment tout cela se passe. Il s’agit de confrères de Normandie, de Toulouse ou encore de Franche Comté. Il y a des gens qui veulent y aller. Ils ont bien compris que leur liberté était là.

 

Vous êtes à l’initiative de l’expérience belliloise, concrètement, de quoi s’agit-il ?

En tant que secrétaire de l’URPS médecin Bretagne, je suis coordinateur de cette expérience depuis sa création en avril 2012 en partenariat avec le conseil de l’ordre du Morbihan. L’idée est encore de lutter contre la désertification médicale. A Belle-Ile-en-Mer, il y a 5 000 résidents l’hiver et 30 000 l’été et il n’y a que 3 médecins sur place.

Ce projet va au delà du concept de médecin volant. En effet, le médecin volant ne répond qu’à une demande de cabinet de médecin généraliste alors que l’expérience de Belle Ile en mer répond à une demande des libéraux, mais aussi des hospitaliers. L’hôpital sur place étant en crise démographique, les libéraux ont répondu à l’appel d’offre pour participer à l’aide médicale d’urgence (AMU), à la permanence des soins (PDS), et à la réponse aux soins non programmés. Tout cela est pour le versant libéral, mais en plus, nous gérons la trentaine de lits hospitaliers.

Nous sommes 17 médecins généralistes libéraux impliqués dans ce système, dont 14 sont des médecins installés et 3 sont des remplaçants. Sur les 17 MG, 15 viennent du continent. Ce n’est pas un effet d’aubaine pour des médecins mercenaires mais plutôt une nouvelle façon de travailler pour des médecins installés. C’est une opportunité de pratiquer une médecine plus attractive. Les soins sont d’une grande diversité. Cela amène du fun. Tout ceux qui participent me disent “waouh c’est épuisant mais alors,  qu’est ce que c’est bien !” La médecine est un peu plus pointue, elle demande des remises à niveau et de la stimulation intellectuelle. C’est cela qui est génial. Le médecin qui arrive sur l’île doit tout faire pendant 24 heures.

Cette expérience est programmée pour durer six mois, du 15 avril dernier au 15 octobre prochain. Elle fera l’objet d’une évaluation au mois de septembre et sera éventuellement prolongée.

 

Pouvez-vous décrire une journée type pour un médecin venant travailler à Belle-Ile ?

Le médecin du continent prend le bateau de 8h. On vient le chercher avec un véhicule de l’hôpital et on l’amène dans le service. Il démarre par la visite des lits avec les infirmières. Ces dernières sont d’ailleurs ravies d’avoir “enfin quelqu’un à qui on peut poser des questions !” S’il se passe quelque chose dans la matinée pendant que le médecin fait sa visite des 30 lits, il doit s’arrêter et s’occuper du malade. C’est le seul point noir actuellement. Jusqu’à 13h, le médecin alterne donc les visites à l’hôpital et les actes. De 13h à 14h, le médecin s’accorde une heure de repos. Il ne peut alors être dérangé que pour les cas d’AMU. A 14h, il reprend les consultations dans un cabinet de médecine générale, situé à l’entrée de l’hôpital. Pendant cette période, il doit faire toutes sortes d’actes, des soins non programmés avec sutures, radios, des otites, des angines … Si les pompiers nous amènent quelqu’un après régulation du Samu, on le prend en charge.  Les consultations se terminent à 19h. De 19h à 20h, le médecin dine et respire un peu ! A 20h, il reprend du service dans une maison médicale de garde jusqu’à minuit. Pendant cette plage horaire, les appels sont filtrés avant d’être redirigés. A minuit, il va se coucher mais le Samu ou la régulation peuvent appeler pour des urgences vitales. La dernière fois qu’une collègue y est allée, elle a eu quatre appels dans la nuit. Ce n’est pas de tout repos !  A 6h30, le médecin peut rentrer sur le continent s’il doit ouvrir son cabinet. De 6h30 à 9h, un médecin pompier présent sur l’ile peut assurer les urgences vitales.

 

Quelle est la rémunération des médecins qui viennent travailler sur l’île ?

Les médecins sont payés au forfait et à l’acte. Les médecins qui viennent du continent reçoivent 1 050 euros pour les 24h, les deux confrères qui sont déjà présents sur l’île, perçoivent 1 000 euros lorsqu’ils ferment leur cabinet pour se rendre à l’hôpital et faire la journée de 24h. Une partie de cette somme était déjà fléchée pour la gestion des lits d’hôpital. Nous avons demandé un petit plus pour l’aide médicale d’urgence et 100 euros pour fermer notre cabinet pour la journée.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi