Anesthésiste-réanimateur, Louis Puybasset dirige depuis douze ans le service Neuroréanimation chirurgicale à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à Paris, qui gère 40 % des urgences neurologiques d’île-de-France. Dans son livre "Euthanasie, le débat tronqué", publié en février dernier, il s’oppose fermement à la légalisation de l’euthanasie.

 

 

En tant qu’anesthésiste réanimateur, en quoi votre parole est-elle pertinente au sein du débat sur l’euthanasie?

Tout dépend  de la définition que l’on donne au mot "euthanasie". Si on définit ce terme comme la demande explicite d’un malade d’obtenir  une injection létale avec le geste explicite d’un médecin, notre spécialité n’est pas tellement concernée, car en réanimation, nous avons le plus souvent affaire à des malades qui sont hors d’état d’exprimer leur volonté, sauf par anticipation, ce qui reste très rare.

Mais notre spécialité est concernée par plein d’autres aspects : la gestion de la douleur et surtout l’énorme champ du problème des malades végétatifs et pauci-relationnels, qui n’existeraient pas sans la réanimation. En ce sens, la loi Léonetti a été fabriquée en grande partie par les réanimateurs et répond très bien à la thématique du malade inconscient, en encadrant de façon règlementaire la limitation de l’acharnement thérapeutique.

Mais l’idée de ce livre n’est pas uniquement liée à ma spécialité. J’ai décidé de l’écrire quand j’ai vu que l’ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité) manipulait l’opinion publique en utilisant les histoires dramatiques de malades cérébrolésés comme les cas de Vincent Humbert ou d’Hervé Pierra pour revendiquer un droit à la mort, alors que ce droit n’aurait jamais pu s’appliquer à ces patients là.

Par définition, l’injection létale ne concerne pas les malades incompétents. Je me suis alors rendu compte que le même mot "euthanasie" servait pour évoquer toutes ces situations cliniques, pourtant bien différentes. Il y avait une telle simplification dans les médias que cela ne correspondait plus du tout à la médecine que nous vivons avec les patients et leurs familles. J’ai donc voulu classer les cas médiatisés, entre les malades compétents ou non compétents, dépendants ou non dépendants, etc…  Pour faire réapparaitre la complexité des choses, loin des fantasmes et des caricatures.

 

Vous parlez d’un débat tronqué. Pensez-vous que l’avènement de ce débat pendant la campagne électorale soit une bonne chose?

Non, c’est vraiment nul d’avoir politisé cette question. C’est un très mauvais thème de clivage car c’est un sujet qui touche à l’intime et nécessite du temps. Plus on le politise, plus on le radicalise et plus les positions sont tranchées donc fausses.

On  savait très bien que l’ADMD allait profiter des élections présidentielles pour remettre ça sur le tapis. Ce qui est extrêmement décevant, c’est que le Parti Socialiste ait embrayé sur leur position en faisant fi de tout le travail de Léonetti, qui avait pourtant réalisé plus de 150 auditions.

De la part de la gauche, c’est carrément de l’indigence. Ils  n’ont consulté aucuns médecins et n’ont pas l’accord des sociétés savantes. Il ne faut pas jouer avec l’essentiel. On ne peut pas mettre dans la balance des mois et des mois d’expertise et un seul homme politique (François Hollande ndlr) qui écrit dans son programme que la loi est là pour suivre l’évolution de la société et qu’il faut donc la modifier.

La difficulté de ce dossier est qu’il est toujours sous tendu par des histoires personnelles et les hommes politiques n’échappent pas à la règle. Ils veulent gérer une société en fonction de ce qu’ils ont vécu, souvent pour obtenir réparation. Hors la loi n’est pas fait pour ça, elle est là pour donner une norme de vie en société dont certains interdits sont structurants.

 

Pensez-vous que la loi Léonetti soit une bonne loi ?

C’est une loi juste qui accompagne toutes les situations. Le problème  de la fin de vie en France ne relève plus d’un problème juridique. La seule chose qu’elle n’autorise pas, c’est l’injection létale et heureusement, car elle donnerait trop de pouvoir aux médecins. La souffrance physique, on peut la soigner, quoi qu’il arrive, et quand à la souffrance morale, on ne peut pas la qualifier. Accepter ça comme cause de mort, c’est complètement en contradiction avec la réanimation des suicidés. Sans compter les clivages majeurs que la légalisation de cet acte créerait au sein du corps des soignants, comme c’est le cas en Belgique.

 

Si François Hollande est élu et qu’il fait effectivement évoluer la loi Léonetti, pensez-vous que les médecins se laisseront faire ?

Je pense, oui, malheureusement. Beaucoup de médecins sont près à laisser tomber. Ils sont fatigués de tous ces débats, et surtout la plupart ne comprennent pas les enjeux qu’il y a derrière tout ça. Ils penseront que ce sera toujours pour les autres, que ça ne concernera pas leur activité.

 

Pour aider les gens à mieux mourir en France, vous défendez la notion de "juste soin". Pourriez-vous y revenir ?

Il est avéré qu’on meurt mal en France. Le juste soin serait de rééquilibrer le curseur entre les soins curatifs et les soins palliatifs. En d’autres termes, il faudrait lâcher plus tôt le soin curatif pour faire plus de palliatif.

Notre pays est complètement déraisonnable sur le curatif, on en fait à outrance et il y a trop d’acharnement thérapeutique. C’est une fuite en avant qui permet de ne pas  aborder la question de sa mort avec le malade. Hors c’est justement cet acharnement thérapeutique qui génère les demandes d’euthanasie, ou, à l’inverse, une sous médicalisation du mourant. Légaliser l’euthanasie reviendrait à traiter la conséquence du problème du mal mourir en France et non pas la cause.

Il faudrait redonner les moyens financiers au palliatif, mais aussi valoriser la formation en créant ne serais-ce qu’une spécialité, avec des enseignants. Il faudrait aussi par exemple des modules d’éthique dans chaque spécialité pour apprendre aux étudiants que la mort fait partie intégrante de la médecine, et re cultiver les soignants sur le fait qu’il faut affronter la mort ; pas la zapper, comme le permettrait la légalisation de l’injection létale.

Dans cet hôpital par exemple, sur des centaines de médecins, il n’y en a que deux qui s’occupent du palliatif alors qu’on a 1500 lits. Ça veut dire tout simplement dire qu’on ne s’en occupe pas. Le problème étant qu’il y a beaucoup d’intérêts financiers derrière le curatif, alors que le palliatif ne génère pas d’argent : ce n’est pas un business médical, c’est un business humain qui ne fait l’affaire de personne en terme de lobbying et de croissance industrielle.

 

Le candidat à la présidentielle François Bayrou attribue la méconnaissance de cette loi à un manque de communication. Etes-vous d’accord avec son analyse ?

Cette loi est méconnue et mal appliquée, c’est vrai, mais le fond du problème est à mon avis beaucoup plus grave que qu’un simple manque de communication.

Les médecins ne connaissent pas cette loi car ils ne veulent pas la connaitre. Il s’agit d’une loi du non abandon, humaniste et exigeante, qui redit aux médecins qu’ils sont soignants et pas des garagistes. Dans le cadre de cette loi, il faut accompagner les mourants alors que beaucoup de médecins réduisent désormais leur métier à une gestuelle ou à un acte.

Cette situation est liée à notre cadre économique actuel, profondément incompatible avec la loi Leonetti. Avec la T2A (tarification à l’activité), les soignants obéissent à une injonction paradoxale. On leur demande de faire à la fois des actes qui sont valorisés et qui poussent à l’acharnement thérapeutique et de l’accompagnement palliatif qui ne l’est pas. Hors le soin palliatif n’implique pas d’acte médical mais de l’accompagnement qualificatif. Pour que cette loi s’applique, il faudrait  avant toute chose repenser le système du coté du soin et non pas du coté de l’acte, en mesurant la qualité et pas seulement la quantité dans le système de remboursement. Car si la règle économique n’est pas adaptée à la loi, on pourra faire tous les cours qu’on veut, les soignants vont d’abord et toujours se plier à la règle économique.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : propos recueillis par Mathilde Debry