Et si se faire soigner en clinique privée était dangereux pour la santé ? Un rapport à révélé que l’Hôpital privé Jacques-Cartier de Massy employait des médecins étrangers non inscrits à l’Ordre et donc non assurés. En France, il y aurait environ 2 000 médecins étrangers qui se trouvent ainsi dans l’impossibilité d’exercer.

 

Bernard Abry et Daniel Carbognani, médecins réanimateurs en chirurgie cardiaque ont décidé de raccrocher leur blouse. Ils ont considéré que leur établissement (du Groupe Générale de Santé), fleuron de la chirurgie cardiaque en France, n’assurait plus suffisamment la sécurité des patients. "Je m’occupe de la réanimation de chirurgie cardiaque de l’Hôpital privé Jacques-Cartier de Massy depuis 21 ans, mais depuis 3 / 4 ans, les choses sont devenues compliquées avec la direction pour des questions économiques de recherche de rentabilité. Je n’ai aucun problème avec le fait de gagner de l’argent mais il faut avoir une certaine éthique et toujours prioriser les malades." Pour le Dr Bernard Abry, cela n’était plus le cas, alors il a préféré partir. Un départ motivé par deux événements que le médecin juge "indésirables".

 

Pot au rose

Le premier à eu lieu dans la nuit du 15 ou 16 juin dernier. Cette nuit là dans le service, il n’y avait que des infirmières intérimaires, "dont une qui ne connaissait pas du tout l’établissement"  déplore le Dr Abry. Manque de  chance, dans la nuit, un patient fait un arrêt cardiaque. Les infirmières ne s’en seraient pas aperçues et un médecin (lui aussi intérimaire) aurait sauvé de justesse le malade. L’autre incident se serait produit le vendredi 30 septembre à 17h. Un homme de 40 ans est amené par le Samu pour une dissection aortique. "Le chirurgien de garde n’est jamais venu et le patient est décédé" explique Bernard Abry.

Suite à ces accidents, Bernard Abry affirme avoir demandé un rendez-vous avec la direction de la clinique qui le lui aurait refusé. "J’ai alors écrit à la Haute Autorité de Santé et au Collège français des anesthésistes réanimateurs mais je n’ai eu que des réponses langue de bois alors j’ai décidé de saisir le défenseur des droits" raconte l’anesthésiste. En juillet 2011, Laurent Jouffroy alors président de la Société française d’anesthésie et le professeur Denis Safran de l’hôpital européen Georges Pompidou sont les deux experts missionnés sur place. En novembre, Dominique Baudis, défenseur des droits écrit à la direction de l’hôpital. Le Journal Du Dimanche a publié un extrait de la lettre: "Le dysfonctionnement majeur que nous avons constaté est le recours à des médecins à diplômes étrangers (…). Ils exercent sans inscription à l’Ordre des médecins. (…) Ces praticiens ne sont couverts par aucune assurance (…). Pour ce qui est des personnels soignants, l’emploi très fréquent là encore et surtout la nuit des intérimaires (…) est une cause de survenue d’événements indésirables".

Le pot au rose est alors dévoilé. Régulièrement lors des gardes, des médecins diplômés hors de l’Union Européenne et non inscrit à l’Ordre travaillaient pour l’hôpital. Une pratique illégale dans les établissements privés. "Il y a 20 000 médecins en France qui possèdent un diplôme obtenu hors de l’U.E., parmi eux 15 000 sont inscrits à l’Ordre. Les autres peuvent sous certaines conditions travailler dans  les hôpitaux publics. Ils sont environ 3 000 dans ce cas" explique le Dr Madjid Si Hocine, vice président de l’INPADHUE (Intersyndicale des Praticiens à  Diplôme Hors Union Européenne). Pour les 2 000 médecins restants, la situation est plus compliquée. Mais de la à exercer illégalement la médecine, le Dr Si Hocine tombe des nues. "Si elle existe cette pratique est très marginale car elle très risquée. Il s’agirait là d’exercice illégal de la médecine, est cela est répréhensible pénalement" justifie-t-il.

 

Lettre de recommandation

Du côté de l’Ordre National des Médecin, on avait eu vent de cette histoire dans le cadre d’échanges avec le défenseur des droits. "Ces personnes venaient exercer en France alors qu’il n’y avait aucune vérification ni de leur diplôme, ni de leurs connaissances. Il y avait en plus aucune possibilité de les assurer " note le Dr André Deseur, président de la section exercice professionnel du CNOM.

Mais qui était fautif ? "Dans la mesure où les anesthésistes titulaires exerçaient à titre libéral, ils se sont fait remplacer. A ce titre, ils ont eux-mêmes organisé leur remplacement" analyse le Dr Desoeur. Pour le Dr Bernard Abry, "sur la liste des gardes, il n’y avait que des personnes non-inscrites à l’Ordre. Ce type de remplacement existe dans beaucoup d’établissements privés. Le fait est qu’à part eux, personne ne voulait prendre les gardes de nuits". Quant à la vérification des diplômes, il assure que "les gens venaient avec leurs diplômes, certains avaient même des lettres de recommandation de chefs de service de grands hôpitaux parisiens". Bernard Abry se souvient qu’il n’y avait pas besoin de chercher bien loin pour trouver des remplaçants. "On recevait des coups de téléphone tous les huit jours. Quand certains ne pouvaient pas venir, ils se chargeaient eux-mêmes de trouver quelqu’un d’autre", ajoute-t-il.

Derrière ce problème de remplacement par des médecins non inscrit se cache un autre souci. L’Hôpital privé Jacques-Cartier de Massy avait un gros problème d’organisation des gardes. Suite à la lettre du défenseur des droits, une réunion a été organisée en décembre 2011 avec, d’après le Dr Abry,  tous les acteurs de la chirurgie cardiaque ainsi que deux personnes du siège de la Générale de Santé. L’objectif était d’obtenir une meilleure répartition des gardes. "Contre toute attente, les anesthésistes du bloc ont refusé de prendre des gardes. Un chirugien nous a même dit que si nous ne voulions pas assumer les risques d’employer des médecins non-inscrits, nous n’avions qu’à partir" se désole Bernard Abry. Suite à cela l’anesthésiste et son collègue le Dr Carbognani ont, en plus de leur 10 à 12 heures de travail par jour, tenus les gardes pendant 13 jours consécutifs. "C’était devenu intenable" se souvient le Dr Abry.

 

"Travailleurs sans papiers"

Martine Esquirou, directrice de la communication de la Générale de Santé admet "une co-responsabilité" dans cette affaire. "Les médecins qui remplaçaient travaillaient souvent dans le public la journée et ils faisaient en plus des vacations dans le privé" souffle-t-elle. Elle affirme cependant que suite à la lettre du défenseur des droits, les médecins qui exerçaient illégalement ont été remerciés. Xavier Richomme, responsable des risques à la Générale de Santé devait répondre à nos questions. Il n’a finalement pas donné suite.

D’après Bernard Abry, certain médecins irréguliers travaillaient pour la clinique depuis au quatre ou cinq ans. "Ils étaient souvent plus compétents que l’interne qui sort tout juste de son internat. Aujourd’hui, ils ont trouvé du travail ailleurs, dans d’autres cliniques par exemple où ils sont beaucoup mieux payés que dans le public où ils gagnent une misère. Ces médecins sont en quelque sorte comparables aux travailleurs sans papiers" constate-t-il avant d’ajouter que "pour certains garçons, c’était la seule façon de travailler".

Le conseil de l’Ordre n’a pour le moment pas porté plainte contre le Dr Abry qui serait passible de complicité d’exercice illégal ou d’organisation de remplacement dans des conditions irrégulières. En revanche, il va devoir s’expliquer avec la Générale de Santé devant les tribunaux. Le Dr Abry a déposé plainte contre l’hôpital pour "désorganisation qui menaçait les patients" et la direction à porté plainte contre son praticien pour "abandon de poste". La suite au prochain épisode.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi