Un médecin généraliste passe en moyenne 7 heures par semaine au téléphone avec ses patients ou ses correspondants médicaux. Une étude originale de l’Union régionale des professions de santé d’Ile de France épluche ce fait de société méconnu, qui représente tout de même 25 consultations par semaine.
Evidemment non honorées. Comment s’étonner dès lors que 56 % des généralistes ayant participé à l’enquête s’estiment “harcelés” par le téléphone. Et que 68 % d’entre eux ont recours à la neutralisation de leur ligne lorsqu’ils sont sur le point de craquer ?
Tâches complémentaires
On parle de burn-out ? Nous y voilà. Les médecins de famille, particulièrement en Ile de France, vont devenir de moins en moins nombreux. Déjà, leur densité globale varie de un à deux selon les régions de France, et pourtant, on ne sait pas vraiment quel est le découpage exact du temps consacré à la consultation. Certes, le contenu médical d’une consultation-type a été analysé par la Société française de médecine générale (Sfmg) qui a révélé qu’un acte de médecin de famille avait à traiter en moyenne de 1,26 à 2,66 problèmes de santé par consultation ou visite.
L’emploi du temps d’un médecin généraliste a par ailleurs été passé au peigne fin de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) ou autres Cahiers de démographie et de sociologie médicale : les 52 à 60 heures de travail sont confirmées à chaque fois. L’Urps Ile de France s’est également penchée sur ces tâches annexes, qui s’agrègent aux soins proprement dits, comprenant les conseils de prévention, la recherche médicale autour de la consultation, la correspondance avec des confrères, le temps comptable et administratif, la formation continue et les actes gratuits. Mais quid du contenu stricto sensu de la consultation ?
"Au-delà de l’interrogatoire du patient, de son examen clinique et des prescriptions liés au motif du rendez-vous, la consultation du médecin généraliste englobe des tâches complémentaires qui n’ont fait l’objet d’aucune étude quantitative. Or dans un contexte de raréfaction des médecins généralistes, il importe de connaitre la nature de leur travail dans toutes ses dimensions : soins, mais aussi prévention, recherche, tâches administratives, etc.” explique-t-on à l’Urps.
Pic d’appel
L’étude régionale s’appuie sur l’analyse (questionnaires auto-administrés) de 3 734 appels téléphoniques reçus durant les consultations de médecins généralistes franciliens collectées entre juin et novembre 2010. Elle révèle que les généralistes répondent en moyenne à 15 appels téléphoniques d’une durée moyenne de 2,12 minutes, qu’ils aient ou non un secrétariat téléphonique. Le pic d’appel se situe entre 9 et 10 h (11 % des appels), mais les appels les plus longs (plus de 3 ou 4 minutes), arrivent après 19 heures. Parallèlement, les médecins généralistes passent personnellement une moyenne de 9 appels par jours, à leurs patients ou leurs confrères, d’une durée moyenne de 5 minutes.
Un phénomène qui est amené à croître, l’étude révélant que près d’un médecin sur deux (48 %) donne son numéro de portable à ses patients, et que 47 % échangent avec eux par e-mails. Une situation qui n’est pas sans danger, à défaut des garde-fous nécessaires à l’expansion de l’e-santé et des TIC (technologies de l’information et de la communication).
S’exprimant à l’occasion du festival de la communication en santé à Deauville, en novembre dernier, le Pr. René Amalberti, conseiller à la gestion des risques à la Haute autorité de Santé, professeur de médecine interne, ergonome et conseiller pour la prévention à l’assureur Macsf, s’était élevé contre cette habitude en insistant sur le fait qu’il fallait un "apprentissage de cette pratique, et que toutes les communications devaient être cryptées". Mais on en est très loin.
Interruption des consultations
"Les médecins n’ont pas attendu l’évolution de la réglementation pour s’approprier les nouvelles technologies" témoignait à la fin de l’année dernière dans Panorama du Médecin Jacques Lucas, vice président du Conseil national de l’Ordre des médecins, chargé du dossier des TIC. "Ils sont déjà en contact téléphonique avec leurs patients depuis un certain temps pour adapter les posologies des médicaments". Cette activité pour le moment bénévole "est un temps médical important qui doit être rémunéré", ajoute le vice-président. Ce qui nécessite de revoir la nomenclature des actes médicaux pour rémunérer les consultations d’e-santé, téléphoniques, selon un référentiel bien codifié, comme cela se pratique depuis longtemps en Allemagne. "Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans ce domaine" appuie le Pr. Amalberti.
Mais on n’en est pas encore là puisque la télémédecine, désignée par tous comme l’enjeu du futur face à la désertification médicale, n’en est qu’à ses prémices avec un cadre donné par la loi Hôpital, patients, santé et territoires et un décret d’application publié en octobre 2010. Ce qu’en pensent les patients ? Eux aussi déplorent l’interruption de leur consultation par les appels téléphonique.
Selon les résultats d’une enquête produite par le Pr. Amalberti au festival de Deauville, "les généralistes n’écoutent pas les patients, ils sont souvent interrompus par le téléphone ou ils les interrompent en moyenne après 18 à 23 secondes de récit". Au résultat, près de 70 % des patients suivis dans l’étude ont expliqué qu’ils n’étaient pas parvenus à exposer leur problème en début de consultation. Alors que si on les laisse parler, 78 % y parviennent en moins de 5 minutes….
Le seul problème est que sur la moyenne de 24 appels quotidiens reçus par les généralistes de l’étude francilienne, les deux-tiers proviennent des patients eux-mêmes !
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine le Borgne