Troisième et dernier volet de nos grands interviews des Monsieur ou Madame santé des candidats à la présidentielle, après Marisol Touraine (PS) et Philippe Juvin (UMP). Spécialiste de la santé de François Bayrou, Geneviève Darrieussecq est allergologue de formation et maire de Mont de Marsan (40). Elle développe les axes du programme du Modem dont les maîtres mots sont maîtrise des coûts, régionalisation et accès aux soins.

 

Pourquoi défendez-vous l’idée de la création d’une Autorité indépendante chargée de l’alerte dans le domaine de la santé ?

Dr. Geneviève Darrieussecq : Au décours de l’affaire du Mediator, nous avons bien vu que ces problèmes sanitaires inquiètent la population. Nous avons besoin d’une autorité chargée de l’alerte, totalement indépendante de tout lobbying.  Cette autorité devra prendre des décisions rapides et incontestables, en lien avec des autorités comparables européennes ou mondiales. Il est impensable en effet, que certains médicaments retirés du marché aux Etats Unis, puissent toujours être commercialisés chez nous.

 

L’assurance maladie est de nouveau plongée dans le déficit. Tous les efforts accomplis depuis 2004 pour  le résorber ont volé en éclat, principalement du fait de la crise économique. Quelle est la doctrine du Modem en matière de financement de la sécurité sociale ?

Nous n’avons pas besoin d’une révolution. Il faut repenser l’équilibre et l’équité. Jusqu’ici, les efforts accomplis en matière de maîtrise comptable essentiellement, ont obtenu un certain succès. Nous avons besoin maintenant d’une véritable restructuration de notre système de soins qui, ont le sent bien, est arrivé au bout de son efficacité. Il faut envisager une véritable mise en réseau du système entre l’ambulatoire, le sanitaire et le  médico-social. Cela ne se fera pas en un jour, il faudra une responsabilisation de tous les acteurs du système, mais c’est un enjeu majeur car nous sommes arrivés au  bout d’un cycle. Les pathologies chroniques génèrent près de 70 % des dépenses d’assurance maladie. Il faut que nous inventions d’autres types de prise en charge, en termes de prévention, de surveillance de ces pathologies, qui proposeront une plus grande efficacité pour les patients et un coût maîtrisé pour l’assurance maladie. C’est une nécessité impérative. Cela ira de pair avec une évolution des métiers entre les médecins, les pharmaciens, les paramédicaux. Bien entendu, tout ceci ne pourra se faire sans un investissement dans les systèmes d’informations et dans le dossier médical partagé.

 

Pour le Modem “il ne faut pas dépenser plus” pour la dépense publique. Que cela signifie-t-il pour l’assurance maladie ?

Nous avons un Ondam (Objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie Ndlr) qui a progressé largement au dessus de l’inflation pendant des années. Il ne faut plus de déficits : les enveloppes d’assurance maladie sont conséquentes, nous avons un impératif de ne pas les dépasser.

Vous vous êtres prononcée pour la disparition des stabilisateurs économiques qui obligent à différer de 6 mois l’application des augmentations tarifaires négociées conventionnellement, pour s’assurer que l’assurance maladie peut absorber cette charge sans sortir de l’enveloppe. Le cas échéant, les revalorisations sont repoussées. Vous maintenez ?

Je pense que l’acte conventionnel est un acte fort, on signe un contrat. Dès lors, on ne peut pas dédire sa parole, sinon plus personne n’aura confiance. Nous sommes favorables à la poursuite de ces conventions, c’est en amont que le travail de prévision doit être fait.

 

Vous préconisez également une plus grande régionalisation du système de santé.

Oui, car elle est indispensable. Elle représente la véritable proximité, les besoins en région Aquitaine par exemple, ne peuvent être comparés avec ceux d’Ile de France.  Il est évident que l’approche organisationnelle doit être régionale. Les agences régionales de santé (ARS) mettent en place des plans régionaux de santé, mais ils ont la limite de ne pas induire une responsabilisation au niveau du financement. Voilà pourquoi nous proposons la mise en place d’Ordam, des orientations régionales des dépenses d’assurance maladie,  afin que l’on puisse savoir au plus près ce que l’on peut dépenser, économiser, restructurer.

 

Comment dès lors garantir l’égalité des soins ? Quelle péréquation entre les différentes régions ?

Il faut bien entendu une égalité, une politique forte. Le premier point à mettre en avant est que l’offre de soins doit être identique sur tout le territoire. Cet axe fort sera donné au plan national, par le parlement, puis décliné au niveau local.

Comment comptez-vous vous atteler aux difficultés d’accès aux soins, tant géographiques que financières subies par nos concitoyens en tenant également compte du fait qu’au-delà du problème des dépassements d’honoraires, l’assurance maladie ne rembourse aujourd’hui qu’environ 50 % des soins courants ?

C’est un problème majeur. Nous avons l’exemple de la mutuelle obligatoire Alsace-Moselle. Elle offre un remboursement à hauteur de 90 % à ses affiliés. L’objectif de 90 % est très ambitieux, mais si nous fixons la barre à 80 % par le biais d’une mutuelle obligatoire, nous parviendrons à faire considérablement progresser l’accès aux soins des familles, sans que cela coûte plus. C’est une piste à étudier impérativement, qui n’a jamais été explorée. Elle peut être transposable France entière, par le biais d’expérimentations à l’échelle d’une région.  Elle donnera la possibilité à tous les Français d’avoir accès aux soins sans discrimination.

 

Comment lutter contre la désertification médicale ?

Il faut lancer un plan national d’accès aux soins de premier recours décliné au niveau des ARS  avec l’objectif d’avoir une maison de santé pluridisciplinaire par canton. Aujourd’hui, la possibilité de créer ces maisons existe, mais les procédures sont extrêmement compliquées. Il faut de la simplicité et de la souplesse juridique. Et de la souplesse aussi dans le fonctionnement et la rémunération des praticiens où le paiement à l’acte, les forfaits et le salariat doivent pouvoir  cohabiter.

 

Vous souhaitez également mettre des maisons médicales de garde en adossement des hôpitaux pour désengorger les urgences.

Tout à fait. Les urgences hospitalières sont envahies par des patients porteurs de pathologies de médecine générale. Ils pourraient être pris en charge plus simplement, sans plateau technique. L’idée est de mettre au plus près des urgences, des maisons de santé d’urgence où les patients attendront moins, et où ils seront mieux pris en charge pour un coût moindre. Environ 2 milliards d’euros d’économies sont en jeu. Là aussi, il faut être simple, des médecins libéraux peuvent cohabiter avec des médecins hospitaliers.

 

Comment faire pour rendre la médecine générale attractive auprès des jeunes, qui se détournent de la discipline et du libéralisme ?

Les études médicales ne forment pas les médecins généralistes. La formation est beaucoup trop élitiste, le concours de première année ne permet pas de juger de l’aptitude d’un jeune à faire ce métier. On n’enseigne pas l’économie de santé, la relation avec le patient… Donc, on ne prépare pas à l’exercice libéral, et pas à la médecine générale puisque l’enseignement est très hospitalo centré. Il faut donc mettre en place des stages très rapidement dans le cursus médical, créer plus de postes d’enseignants, multiplier par deux le nombre de maîtres de stages en médecine générale et mieux les rémunérer. Un jeune étudiant qui fait un stage de longue durée chez le praticien, aura tendance à rester sur le territoire et exercer la médecine générale. On a l’impression que les études ne donnent pas de projets de métier à ces jeunes. François Bayrou a proposé d’augmenter le numerus clausus en direction de la médecine générale, avec engagement d’exercer cette discipline pendant dix ans dans des régions en déficit démographique. Nous proposons également de repasser au système d’internat sur de  grandes régions, avec engagement des futurs généralistes ou spécialistes d’y exercer au moins cinq ans. Aujourd’hui, 3 000 postes de médecins généralistes ne sont pas pourvus à l’internat, les étudiants préfèrent repasser le concours …Ce qui prouve qu’un examen national n’identifie ni les besoins,  ni les régions.

 

Souhaitez-vous renégocier la loi Hôpital, patients, santé et territoires ?

Cette loi comporte de bonnes et de mauvaises choses. La création des ARS est un bon point, faire travailler ensemble le secteur médico-social, la santé et les patients est aussi une bonne chose. Nous pensons qu’il faut donner plus d’autonomie aux régions, et offrir une gouvernance différente aux ARS, pour aller dans ce sens. L’hôpital est désormais doté d’une gouvernance qui donne beaucoup de pouvoir aux directeurs et éloigne les médecins. Je pense que c’est une erreur, les médecins doivent retrouver du pouvoir. La T2A comporte des effets pervers, au détriment des missions de service public. C’est un point qu’il va falloir revoir. Donc, on garde certaines choses, on en modifie d’autres : une loi doit s’adapter progressivement.

 

La convention médicale met en place le système du paiement à la performance. Qu’en pensez-vous ?

Je n’aime pas ce terme. Je pense que l’évolution se fera en direction de la forfaitisation, pour la coordination, la prévention, la prise en charge de pathologies chroniques  Mais je reste persuadée que l’acte médical n’est jamais identique, les consultations ne se ressemblent pas. Il faudra que les conventions en tiennent compte. Je reste persuadée que l’acte médical est sous-coté, les médecins français sont mal rémunérés. La consultation à 23 euros pour un médecin généraliste, je ne trouve pas cela normal. Des consultations plus longues nécessitent une rémunération différente. 

 

Si vous étiez ministre de la Santé, quelle serait la première réforme que vous mettriez en place ?

Je mettrai en place un plan national économique et géographique d’accès aux soins. C’est une opération de grande ampleur, mais il y a des dispositions simples à prendre : installer une maison pluridisciplinaires par canton en zone rurale et simplifier les procédures, ce n’est pas très difficile à faire.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Propos recueillis par Catherine Le Borgne