Angèle Lieby est une miraculée. Atteinte du syndrome de Bickerstaff, elle était enfermée dans son corps, mais consciente. Alors que tout le corps médical la croyait dans le coma, elle entendait tout, ressentait tout mais ne pouvait réagir. Sur le point d’être débranchée, une larme a perlé sur sa joue, preuve qu’elle était bel et bien vivante. Aujourd’hui sur pied, elle témoigne de son expérience dans un livre intitulé Une larme m’a sauvée (éditions Les arènes).

 

Egora.fr : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

Angèle Lieby : Mon histoire était tellement invraisemblable. Les médecins ne trouvaient pas ce que j’avais, ils ne voyaient pas que j’étais vivante. Pendant tout ce temps je ne pouvais pas parler, donc je me suis dit qu’il fallait que tout sorte. Finalement, cela a été un peu comme une thérapie. Je me suis dit que si ce genre d’histoire arrivait encore une fois et que je n’avais rien dit, je ne l’aurais pas supporté. J’ai écrit ce livre pour que ça n’arrive plus.

 

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’hôpital ?

Cela m’inquièterait beaucoup d’y retourner. Je crois bien que j’ai désormais une phobie de l’hôpital. J’ai beaucoup moins confiance dans le personnel soignant. Je ne dis pas qu’ils étaient tous mauvais, certains étaient très bien. Le problème, c’est qu’ils ne comprenaient pas ce que j’avais. Ils étaient vraiment dépassés par ce qui arrivait.

Pour eux, j’étais dans le coma. Ils ont dit à mon mari que même si je devais un jour me réveiller, je serais un légume parce que "tout est plat". Plus tard je leur ai posé la question, ils m’ont répondu que finalement, l’électro encéphalogramme n’était pas tout à fait plat. Ils n’ont pas fait les deux encéphalogrammes à quatre heures d’intervalles qui disent que c’est vraiment la fin. Pour eux, le test du téton suffisait, ça voulait dire qu’il n’y a plus rien.

 

Immobile mais consciente, vous étiez comme une caméra cachée pour le personnel soignant. Qu’en avez-vous tiré ?

Je ne voyais pas, car j’avais les paupières closes et je ne pouvais les ouvrir, mais je sentais les gens. Je ressentais la douceur ou encore les gens tendus autour de moi un peu comme un aveugle. J’ai entendu des infirmières dire "elle va bientôt clamser", c’était horrible. Je ne dirais même pas ça à un animal. C’était terrible car je comprenais de plus en plus que ça allait mal pour moi, que je descendais la mauvaise pente. J’entendais toutes les horreurs qu’elles disaient.

Lorsque la famille ou les amis venaient me voir et qu’ils avaient l’impression que je ne respirais pas bien,  ils appelaient du personnel, et j’entendais qu’on leur répondait "c’est rien, c’est rien !". J’étais un peu comme de la viande. Ma chambre était aussi devenue un lieu de petites confidences pour les soignants. Ils s’y racontaient ce qu’ils avaient fait le week-end où comment allaient les enfants. J’étais pour eux comme un meuble, quelqu’un qui ne pouvait plus entendre.

 

Quel moment vous a le plus marqué ?

Le test du téton a été quelque chose d’horrible. Le médecin a d’abord fait le test tout seul. Il m’a tordu très violemment le téton. J’avais l’impression qu’on m’arrachait un morceau de mon corps à vif. Puis il est revenu avec du monde et il a dit :  "je vais vous montrer comment on procède pour voir si la personne est vivante ou morte",  et il m’a repincé le sein. Je l’ai alors entendu dire : "vous voyez, il n’y a rien". Moi je ne pouvais toujours pas bouger. Ca m’a donné un coup, j’avais l’impression d’être déjà morte pour eux.

Ce qu’en pensent les réanimateurs…


Le cas d’Angèle Lieby est "rarissime". C’est l’avis à l’unanimité des docteurs Nicole Smoleski, Yves Rébufat** et Alain Tenaillon*, trois anesthésistes réanimateurs. Aucun d’entre-eux ne connait le syndrome de Bickerstaff dont a été atteinte Angèle Lieby. Les médecins sont dubitatifs quant à l’absence d’anesthésies lors des trachéotomies et quant à la proposition de débrancher la patiente sans preuve de mort cérébrale via au moins les deux électro encéphalogrammes réglementaires. "Je ne remet pas en question ce que dit cette dame dans son livre mais j’ai vraiment du mal à imaginer que l’on puisse faire une trachéotomie sans anesthésie. Des signaux auraient du alerter les soignants comme la tension par exemple" décrypte le Dr Smoleski. Recontactée à ce sujet, Angèle Lieby affirme avoir subi une douleur atroce lors de cet examen, notamment la deuxième fois alors qu’"il a été pratiqué dans la précipitation". Pour le Dr Tenaillon, qui se souvient d’un cas partiellement similaire, il est possible qu’aucuns signaux n’aient alerté les soignants. Quant à la proposition faite à l’époux d’Angèle Lieby de débrancher sa femme, là encore, les médecins ne comprennent pas. "Avant de déclarer quelqu’un en état de mort cérébrale il faut faire deux électro encéphalogrammes espacés de quatre heures puis une artériographie". Ca n’a pas été le cas puisque Raymond Lieby est allé acheter le cercueil de son épouse alors même que "finalement les électro encéphalogrammes n’étaient pas totalement plats". Nous n’avons pu contacter le médecin réanimateur à l’origine de la proposition de débrancher la patiente car le couple Lieby a refusé de nous communiquer son nom.

Entendre le médecin qui parlait à mon mari de me débrancher, c’était aussi très dur. A ce moment là, plein de choses me sont passées par la tête. J’ai eu peur que l’on m’enterre comme ça, même si aujourd’hui avec le recul, je réalise que l’on m’aurait débranché et que je serais morte avant. J’étais rassurée d’avoir demandé à être incinérée. Puis j’ai réalisée que j’avais autorisé le don d’organe. Ca a été la panique. J’avais peur que l’on m’arrache des organes à vif.

 

Avez-vous eu le sentiment d’avoir été maltraitée par le personnel soignant ?

A certains moments oui. Le test du téton est une pratique d’un autre siècle. Les soins des sinus étaient tout aussi pénibles. Lors des trachéotomies, j’avais l’impression que l’on m’arrachait toute la gorge. C’était une douleur atroce. Il y avait aussi les moments où l’on me tournait et que ma tête cognait sur les barreaux du lit. Le personnel était persuadé qu’étant dans le coma je ne ressentais rien. Normalement dans les hôpitaux, on doit arrêter de souffrir, moi ça a été l’inverse. Je n’ai fait que souffrir. Ne serait-ce qu’au niveau des draps. J’étais soit enfermée dans le carcan des draps qui étaient trop serrés ou bien on me mettait les bras par-dessus les draps et alors je mourrais de froid. J’étais tellement frigorifiée que je me disais que j’allais attraper une pneumonie !

 

Selon vous, quels enseignements devraient tirer les soignants de votre expérience ?

Dans mon cas, les médecins pensaient que j’étais cérébralement morte. Mais les soignants doivent se rappeler que chaque personne est différente et qu’il faut traiter au cas par cas. Il faut arrêter de penser que si l’on ne bouge pas, on ne souffre pas. Par rapport à cela, il ne faut pas faire n’importe quoi. Les soignants manquent aussi de psychologie pour associer la famille. De ce côté-là, c’est nul. Mon mari et ma fille étaient tellement désemparés. C’était terrible. Il faudrait vraiment revoir plein de choses. Je pense aussi aux dons d’organes. Je suis toujours 100 % pour, mais il faut faire d’autres analyses, d’autres examens et être vraiment sur que la personne est en état de mort cérébrale.

 

Avez-vous reçu des excuses de la part du corps médical ?

Non, je n’en ai jamais eu et pourtant cela m’aurait fait du bien. Les médecins me disaient toujours : "vous êtes bien, oubliez tout, profitez-en". Moi j’aurais voulu qu’on m’explique, qu’on me dise à quels endroits ça a flanché. Peut-être qu’il n’y aurait même pas eu de livre. L’erreur est humaine, tout le monde peut se tromper mais j’aurais aimé qu’ils le disent.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi