Passer du théorique des premières années de médecine à la pratique, en externat, est tout sauf un long fleuve tranquille. Un apprentissage souvent "ingrat" où les externes découvrent les patients, les pathologies et la souffrance.
"Quand on arrive pour la première fois à l’hôpital on est tout fier de soi : on porte la blouse blanche dont on a rêvé pendant des années, le stéthoscope… On joue au docteur avec les patients en les examinant à tour de rôle en présence des médecins pour s’entraîner… Tout est merveilleux. On est enfin des grands. Et puis arrive le moment du premier décès dans le service où on fait son stage, et là, on est rattrapé par la réalité : on réalise un peu plus où on a mis les pieds, que l’on est pas dans Grey’s anatomy, qu’ici on n’est pas là pour rigoler et qu’en fait on est encore vraiment tout petit."
"Servir de papier peint"
Comme l’explique VieDeCarabin, être externe, c’est enfin se confronter la réalité de la médecine. Cet étudiant en DCEM 3 (5èmeannée) a donc décidé de créer une page Facebook pour partager "ses coups de cœur et ses coup de gueule". Une page sur laquelle il poste des dessins humoristiques sur la vie des externes (voir illustration de l’article). Car l’externat n’est pas toujours facile. Comme dans tous les métiers, les petits nouveaux écopent souvent des tâches ingrates.
"On se sent brimé, personne ne prend la peine de nous écouter. Quand on est assis à une table lors d’une réunion on a l’impression de servir de papier peint ! Parfois on joue le rôle de secrétaire." Christopher est lui aussi externe en DCEM 3. Pour recenser toutes les petites frustrations des externes qu’il voyait sur Internet, il a crée il y a quelques mois le site externatdemerde à l’image du déjà connu viedemerde. Tout comme VieDeCarabin, le mot d’ordre est l’humour. On peut ainsi lire sur le site : "Aujourd’hui, en stage, je vois le médecin très occupé et lui demande : Je peux faire quelque chose? Oui, mets-toi la bas pour faire de la place. EDM." Ou encore : "Aujourd’hui, en stage chez le médecin généraliste, après avoir fait un toucher rectal à un patient, celui-ci se retourne vers le médecin et lui dit : c’est bien plus agréable quand c’est votre étudiante qui le fait! EDM".
Toucher rectal et paperasse
Prendre de la distance avec les malades est l’étape clé de la vie d’externe. Comme l’explique Eric Galam, enseignant en médecine générale, "la difficulté est de chosifier les patients, les transformer en maladie, sans non plus oublier qu’ils sont des personnes", en ajoutant que "c’est un passage naturel et positif. C’est normal d’en passer par là". Le rôle des professeurs, des chefs de service ou des maîtres de stage est fondamental dans cet apprentissage. "Quand les situations sont lourdes, comme pour les cas de cancers évolués, le rôle du médecin est d’accompagner le patient puis de débriefer avec l’externe. C’est fondamental, le maître de stage doit permettre à l’externe d’échanger avec lui" juge Bruno Roualet, généraliste enseignant et maître de stage.
Malheureusement, dans la pratique, ça n’est pas toujours comme cela, notamment en milieu hospitalier. Christian, externe en DCEM2, se souvient de son début d’année. "Lors de mon premier stage, j’étais très bien encadré, je me suis dit c’est génial ! Puis arrivé au deuxième, j’ai vite déchanté ! On se fait critiquer, on range la paperasse !". Christopher déplore lui aussi le manque de pédagogie, surtout de la part des internes. "Quand au niveau médical, il y a des gestes ingrats à faire, les internes nous demandent souvent de le faire, comme lorsqu’il faut faire un toucher rectal par exemple" explique-t-il. En dehors de ces tâches ingrates, la vie d’externe est un vrai apprentissage des émotions. Les futurs médecins apprennent à côtoyer la souffrance, la douleur et même la mort. Des moments difficiles qu’ils arrivent à gérer avec leur peu d’expérience. Christian a encore beaucoup de mal à voir les gens souffrir. Il se souvient d’un patient arrivé le mois dernier.
Face à la mort
"C’était un sans-papier et son cancer avait été diagnostiqué beaucoup trop tard. Sur place, il a fait une embolie pulmonaire et un AVC. Il est devenu dément. J’avais beaucoup de mal à le voir et à aller dans sa chambre. Le plus difficile c’est de côtoyer la déchéance des patients."
Pour VieDeCarabin, l’apprentissage universitaire ne forme pas assez à ce genre de situation. "Le système de santé français fait de telle manière que nous apprenons la médecine à coup de mot clef. Par exemple, pour annoncer à un patient qu’il a un cancer, nous savons qu’il faut avoir une attitude claire, loyale et adaptée au niveau de compréhension du patient. Tous les externes de France sont capables de réciter cette phrase, mais soyons d’accord : ça ne nous aide pas beaucoup quand nous sommes réellement confrontés à cette situation."
S’il dessine, c’est aussi pour se forcer à prendre de la distance vis-à-vis de l’externat. "Rire de ces situations au lieu d’en pleurer c’est déjà un pas de plus pour relativiser et ne pas se laisser abattre face à la mort et à la souffrance. Quand on arrive à rire de quelque chose, c’est que l’on a réussi à prendre de la distance." Peu à peu, au fil des mois et des stages, Christopher arrive lui aussi à se détacher des patients. Mais cela n’a pas été simple. "Au début c’était très dur. On se sent vraiment impliqué dans le devenir des patients. On s’attache sans prendre conscience qu’ils sont des patients. Aujourd’hui j’arrive à les considérer comme une pathologie qu’il faut guérir". Quant aux pathologies très lourdes et à la mort, "on est forcément touché, même avec les années d’expérience" soupire le Dr Roualet.
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi