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Trop dur, trop compliqué : “J’ai failli lâcher”

Paperasses, comptabilité, fiscalité… Un vrai parcours du combattant qui dissuade les novices de s’installer en libéral, faute de formation suffisante. Et il y a de quoi.

 

 

 

 

 "Une formation à l’économie de la médecine aurait pu m’éviter des problèmes financiers, oui, c’est certain. Peut-être aurai-je refusé de m’installer en SCM (société civile de moyens) avec un loyer aussi élevé…" Quand Germain Poignant, 39 ans, décide en 2006 de se poser à Grignan après 6 ans de remplacements, il emprunte 20 000 euros pour racheter la patientèle et le matériel de celle qui, installée en SCM, le précédait. Heureux de récupérer les patients fidèles et respectueux des horaires du village où il réside depuis cinq ans, ce jeune père de famille mesure alors mal le poids financier grandissant du loyer, des charges de la caisse de retraite, la Carmf et de l’Ursaff, du matériel médical et de la papeterie.

Résultats : ses frais s’avèrent trop élevés, il peine à payer ses factures et garde de pénibles souvenirs de sa première année d’installation. "Ca a été une année difficile. La presque totalité de 2008 s’est passé avec des comptes privés et professionnels à découvert, ce qui augmentait les frais bancaires : agios, frais pour virement mensuel annulé faute de provision, etc…", raconte-t-il.

 

Sortir la tête de l’eau

Ce confrère n’est sans doute pas un cador de la finance, mais il n’est pas le seul à avoir galéré. Lors des premier mois d’installation en libéral, devenir patron d’une secrétaire médicale n’a rien d’évident, tout comme vérifier sa comptabilité, remplir correctement les divers papiers du tiers payant, de la CMU ou des renouvellements d’ALD….

Jeune installée, Charlotte Perrenot a envoyé à un ami la liste des démarches qu’elle dû effectuer…


1. passe ta thèse;
2. au CDOM pour : l’inscription au tableau; la demande de CPS; proposer un modèle d’ordo (tu as besoin du numéro adeli et rpps que tu ne récupéreras qu’après être inscrit au tableau et à l’ARS…), de plaque, de contrat et d’article de presse; tu as besoin d’apporter en plus le formulaire de thèse, copie du DES, extrait acte de naissance, pièce d’identité (puis 150€); ils valideront ton contrat au sein d’une commission, et également tes modèles de plaque ordo et presse; ils devraient te rendre de suite la demande de CPS; tu seras inscrit au tableau après commission avec un n°RPPS ;
3. à l’ARS pour : enregistrement du diplome, la mise à jour de ta situation et faire contre signer la demande de CPS; tu as besoin de ton inscription à l’ordre, copie du diplome et pièce identité; moi en quelques jours j’avais mon n° adeli (qui te permettra de retourner au CDOM avec une proposition d’ordonnance) ;
4. à la banque pour un compte pro (moi j’ai également pris un TPE pour CB); tu as besoin de ton numéro SIRET (je pense que tu l’as déjà car tu as remplacé, c’est l’URSAFF qui transmet au répertoire des entreprises) ;
5. à l’URSAFF (sur RDV) pour déposer ta demande de CPS, et mettre à jour à situation; tu as besoin du contrat, inscription à l’ordre avec RPPS, inscription ARS avec numéro Adeli, RIB perso et RIB pro, carte vitale, formulaire CPS signé par CDOM et ARS, pièce d’identité et n°SIRET; en 3 semaines 1 mois tu récupères ta CPS ;
6. à GPM pour mettre à jour ton contrat : 6bis. récupérer un formulaire de mise à jour de la CARMF (tel pour qu’il te l’envoie ou sur internet) ;
7. au CDOM pour déposer ton contrat signé et faire contre signé ta demande de mise à jour CARMF;
8. à la CARMF pour mettre à jour ta situation (au max le premier mois d’exercice); tu as besoin de ton tampon et d’une feuille de soin.

 "Je m’y attendais un peu, mais je ne pensais pas que ce serait aussi lourd. Je commence tout juste à sortir la tête de l’eau", témoigne Charlotte Perrenot, installée en libéral depuis octobre 2011 dans une zone sous-dotée de la périphérie de Nancy. "J’ai eu la chance d’avoir de supers maîtres de stages qui m’ont permis d’avoir un petit aperçu de la réalité du métier. Mais lorsqu’on est en stage chez le praticien, on regarde d’abord les aspects cliniques et médicaux."

D’où le choc, parfois très rude, avec un tout autre pendant du métier auquel les internes sont, in fine, très peu formés. Aussi aberrant que cela puisse paraitre, la gestion du cabinet et l’économie de la santé ne font pas officiellement partie du programme des étudiants en médecine générale, encore trop hospitalo centré et manquant cruellement d’enseignants et de maîtres de stages, selon les syndicats.

 "A l’heure ou tout le monde s’offusque que les jeunes médecins ne se risquent plus à s’installer, personne ne s’étonne que ces même jeunes médecins n’aient jamais reçu de formation à la gestion de leur entreprise libérale, à l’économie, à la fiscalité, qui est pourtant le socle de la viabilité d’un cabinet", se désolaient-ils dans une lettre ouverte aux députés, demandant en novembre dernier "d’intégrer une formation à la gestion dans les études médicales, comme dans d’autres filières", telle que la pharmacie ou la chirurgie dentaire.

Complètement exclue des six premières années de formation, la gestion de l’entreprise médicale n’est pas inscrite au programme des ECN et n’est dispensée qu’en fin de cursus, de manière hétérogène et non obligatoire, en fonction du bon vouloir des facultés ou des initiatives locales. Les étudiants n’ont alors bien souvent qu’une seule journée de formation. "C’est une journée très dense, dont on ressort sans avoir tout compris. La seule chose qu’on a compris, c’est que c’est très compliqué", regrette Bérengère Crochemore, porte parole de ReAGJIR (Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants).

 

"Un mois de démarches à temps plein"

Dès lors, face à l’inconnu, les carabins hésitent à choisir médecine générale, tandis que les internes de ladite spécialité tardent à sauter le pas. Tous préfèrent finir d’apprendre leur métier sur le tas grâce au statut de remplaçant, repoussant l’âge moyen d’installation à 38 ans. "Quand j’ai décidé de m’installer, c’est vrai que les démarches administratives m’angoissaient pas mal, peut-être même plus que le défi médical", poursuit Charlotte Perrenot. Très motivée par l’exercice libéral, elle quitte le salariat à 28 ans, désireuse de gérer elle-même ses horaires et ses objectifs pour être le plus possible au contact des patients. Rien n’aurait pu l’arrêter, sauf, peut-être, les démarches administratives nécessaires à son installation.

"C’était l’enfer. Il y a un milliard de papiers à remplir, auprès d’une multitude d’interlocuteurs. L’Ursaff, la Carmf, l’Ars, l’Ordre, la Banque. Il n’y a pas de guichet unique et très peu d’aides pratico pratique. Toutes les démarches se mordent la queue. J’y ai passé un mois à temps plein. Sincèrement, j’ai failli lâcher. C’est vraiment une étape qui peut être rédhibitoire." Selon une étude de l’Isnar (Inter syndical nationale autonome représentative des internes en médecine générale) sur les souhaits d’exercice des internes de médecine générale, 70% d’entre eux – soit leur attente numéro 1 – considère qu’une aide logistique et financière à la création d’une maison de santé pluriprofessionnelle ou d’un cabinet de groupe les inciterait à s’installer en zone déficitaire.  

"La complexité des démarches administratives est telle qu’elle peut constituer un frein à l’installation, conclut Charlotte Perrenot, dont le verdict est sans appel. Côté compta, paperasse et démarches administratives, sa formation n’a pas été assez professionnalisante. Il y a clairement des lacunes dans nos facs. Il  faudrait bien sur être mieux formé mais aussi et tout simplement mieux informé." Message transmis aux autorités compétentes. Comme une bouteille  la mer ?

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Mathilde Debry