Pièces jaunes, téléthon, sidaction, à chaque cause son événement. C’est désormais au cancer de faire la Une des journaux et d’investir une nouvelle fois l’arène politique avec la candidature à la présidentielle du cancérologue Victor Izraël.

En 2003, Jacques Chirac avait déjà offert une place importante à cette cause en associant des cancérologues à sa campagne. une cause reprise par Nicolas Sarkozy en 2007, en même temps que le Plan Alzheimer. 

Cette fois, le cancer se place en première ligne, provoquant un certain nombre de questions quant à la légitimité de défendre une cause déjà bien soutenue. Le sociologue médical, Patrice Pinell, directeur de recherche émérite à l’Inserm, fait partie des surpris par cette candidature.  

Egora.fr : Quelle a été votre réaction quand vous avez appris la candidature de Victor Izraël à la présidentielle de 2012 ?

Patrice Pinell : J’ai été étonné de voir qu’un médecin pouvait prendre le prétexte d’une élection présidentielle pour défendre la cause des cancéreux. Ça m’a surpris même si on peut dire que depuis les premières campagnes de lutte contre le cancer, au lendemain de la première guerre mondiale, il y a toujours eu des relations étroites entre les animateurs du mouvement de lutte contre le cancer et le monde politique. Le premier président de la Ligue contre le cancer, Justin Godart, était un homme politique. Il avait même été à l’origine d’un petit parti politique pendant la période de l’entre deux-guerres, qui était le parti de la santé publique, plus large donc que le prisme du cancer. Mais lui c’était un politique, il n’était pas médecin.

Dans le cas de Victor Izraël, je m’interroge vraiment sur les raisons qui l’ont poussé à se présenter et sur le moment choisi. C’est sûr qu’il y a une crise sociale, une crise hospitalière, avec des budgets qui se restreignent mais qui partent d’assez haut dans le cas du cancer. La cancérologie ne me semble pas davantage touchée que d’autres domaines. Le cancer ne fait pas partie des domaines les plus sacrifiés. Il n’y a pas eu de coup d’arrêt spécifique sur le cancer ces dernières années. Le moment me semble donc étonnant, ça reste un peu un mystère pour moi.

Egora.fr :  Quelle évolution avez-vous noté dans les stratégies de communication mises en place par les associations ?

Patrice Pinell : Pendant toute la période de l’entre-deux-guerres, les campagnes contre le cancer avaient pour objectif de sensibiliser la population sur les symptômes précoces du cancer. Pour cela, il a fallu dramatiser de manière extrêmement forte toute la symptomatologie la plus banale.

Ces premières campagnes visaient alors à susciter comme émotion dans le public la crainte. On a appelé cela la pédagogie de la crainte salutaire. Mais ça n’a pas très bien marché et a contribué à développer la cancérophobie à une très large échelle. Ensuite, il y a eu les quêtes de rue sur la prévention, l’éducation et le dépistage. De plus en plus, à partir des années 60, le thème de la lutte contre le cancer s’est déplacé vers la recherche avec une apogée dans les années 80, au moment où apparaît le sida qui va être en total décalage sur cette question.

En effet, les campagnes de lutte contre le sida mobilisent d’abord sur les problèmes liés à la prévention, à l’accompagnement des malades, à la non-stigmatisation. Les interventions du mouvement de lutte contre le sida sont beaucoup plus politiques. Act-up par exemple misait sur la dénonciation d’un gouvernement qui laisse mourir un peuple homosexuel décimé. Et puis, avec le Plan Cancer, il y a de nouveau eu un changement. La Ligue contre le cancer à son tour a mis en avant le thème des malades.

Egora.fr : Est-ce que cela ne dénote pas une concurrence de plus en plus acérée entre les grandes causes nationales, avec des risques de dérive ?

Patrice Pinell : Evidemment la concurrence entre les causes existe depuis que les causes existent. Lorsque le cancer s’est constitué, il était en concurrence très direct avec la tuberculose. Et puis, il l’a été avec le sida, avec les myopathies,… parce que les fonds qu’on peut récolter ne sont pas illimités.

Aujourd’hui, il n’y a pas une maladie qui ne cherche pas d’une manière ou d’une autre à se transformer en grande cause nationale avec plus ou moins de succès. Elles essayent toutes de faire parler d’elles, d’occuper une place dans les médias, de récolter des fonds, donc ça fait beaucoup. Et plus il y en a qui le font, plus il y en a qui vont le faire. On rentre dans une logique où effectivement leur action peut se neutraliser.

Mais malgré tout, la question du cancer risque quand même, pendant longtemps, d’être médiatiquement beaucoup plus brûlante que la question des maladies rares par exemple, parce qu’elle touche plus de monde et parce que le cancer continue de faire peur.

Il y a des choses très fortes autour de cette maladie que le sida n’a jamais pu vraiment concurrencer. Avec le cancer, on est dans un registre visant à susciter de la pitié et de la compassion. A une époque, le Pr Léon Léon Schwartzenberg n’hésitait pas à verser des larmes à la télévision en disant qu’il fallait donner la légion d’honneur à tous les cancéreux. C’est à partir de là que la cause cancer a commencé sérieusement à jouer sur le terrain de la compassion. Mais après tout, jouer sur la compassion n’est qu’une stratégie qui vise à être le plus efficace possible. En général, cela fonctionne plutôt bien mais si on en fait trop, on rique d’avoir des effets contraires.

Egora.fr : La candidature de Victor Izraël peut-elle alors être réllement bénéfique pour la recherche contre le cancer ?

Patrice Pinell : Son initiative peut en effet attirer la sympathie d’un certain nombre de personnes, il va mettre le doigt sur des problématiques qui vont avoir des échos dans le monde médical mais, malheuresement pour Victor Izraël, les conditions politiques actuelles ne lui sont pas particulièrement favorables.

L’élection est polarisée autour de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Sa candidature – s’il réussit à trouver les 500 signatures – a donc peu de chances de faire du bruit. Elle n’aura pas d’impact réel – ni positif, ni négatif – et le cancer va de toute façon tenir pendant un moment le haut du pavé. 

Source :
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Auteur : Concepcion Alvarez