Si la dynamique de souscription des Capi (contrat d’amélioration des pratiques individuelles) ne faiblit pas, 10 000 d’entre eux auront été signés à la fin de ce mois de septembre. C’est-à-dire que les prévisions officielles de l’assurance maladie – 8 500 Capi conclus entre médecins traitants et caisse primaire d’ici le mois de décembre – seront pulvérisées.

C’est une première dans notre pays: l’assurance maladie s’est engouffrée dans la brèche ouverte par les parlementaires pour proposer individuellement à chaque médecin ayant une activité significative, un mécanisme de rémunération à la performance inscrit dans un contrat à signature individuelle, non négocié par les représentants de la profession. Une rémunération annuelle maximale de près de 6 000 euros est promise au médecin généraliste traitant ayant atteint tous les objectifs fixés en matière de santé publique et d’efficience de la prescription.

Les médecins libéraux doivent-ils redouter cette innovation de la loi de financement de la sécurité sociale 2009? Ce sujet, à l’ordre de l’université d’été de la Csmf à Cannes, a fait salle comble. Classé, à tout seigneur tout honneur, thuriféraire en chef du paiement à la performance, Frédéric Van Roekeghem, le directeur de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et de la Caisse nationale d’assurance maladie, a justifié le souci des gestionnaires d’organiser par le développement de la prévention, une meilleure prise en charge des malades chroniques. Leur coût représente les deux tiers des dépenses de santé, a-t-il rappelé. Avec le Capi «qui ne comporte aucune rémunération sur des résultats de santé, mais sur des engagements de moyens», son but est d’inciter à «prescrire mieux», hiérarchiser la prescription, mais en aucun cas «sanctionner pour prescrire moins» a-t-il insisté. Néanmoins, le Conseil d’Etat a été saisi de plusieurs recours en annulation de l’arrêté d’approbation du Capi par l’Uncam, déposé initialement par la Csmf, puis par le Leem (Les industries du médicament) et enfin par le conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Pourquoi ce tir de barrage?

«Un danger»

Pour Michel Chassang, président de la Csmf, il faut combattre le Capi dans sa forme actuelle, car il est «dangereux» et porte en germe l’idée de contrat individuel. «10 000 médecins ne sont pas 55 000. Cela revient à dire que malgré la publicité tapageuse des caisses, 45 000 généralistes ne veulent pas de ce contrat», a-t-il défendu. Un contrat individuel, a-t-il ajouté, est «incompatible avec l’existence d’un financeur unique, il place le médecin seul face à l’assurance maladie». Dans le cadre d’une évolution de la rémunération en quatre paliers, le syndicat a des propositions d’adaptation du Capi à formuler en cette période d’ouverture des négociations conventionnelles. Celui-ci serait négocié par les syndicats médicaux et partie intégrante du texte conventionnel.

Pourquoi le Cnom s’est-il résolu à emprunter la voie procédurale, une fois celle de la conciliation explorée sans résultats? Pour un certain nombre de raisons de fond, de forme et de méthode qu’était venu exposer le Dr Patrick Boué, délégué général aux relations internes du Cnom. L’Ordre considère en effet que «l’indépendance de la décision médicale, la relation de confiance entre le médecin et son patient et la non discrimination sont des principes fondamentaux de l’exercice de la médecine», mis à mal par le Capi. En outre, l’Ordre est convaincu qu’une contractualisation individuelle ne peut remplacer «une procédure de formation, d’évaluation et d’optimisation de l’activité des professionnels». Le Cnom «accordera toujours une plus grande valeur à un engagement collectif d’une profession», devait préciser le Dr Bouet. Le directeur de l’assurance maladie ayant volontiers reconnu que les médecins conseils avaient cherché à séduire prioritairement les confrères dont les résultats étaient «les plus proches de la cible», de manière à susciter plus facilement un effet d’entraînement sur les confrères moins bien situés, l’Ordre critique cette méthode, une stratégie assimilable à une «démarche commerciale» sous-tendant que l’on cherche à recruter «ce qui est aisément démontrable».

L’industrie pharmaceutique a également bien des reproches à formuler. Selon Robert Dahan, président directeur général d’Astra Zénéca, le Capi est un obstacle à l’innovation. «Il ne semble plus nécessaire de réaliser des progrès thérapeutiques dans un certain nombre de domaines, comme les antibiotiques, les antihypertenseurs ou les antidépresseurs», a-t-il expliqué en critiquant par ailleurs, le mode de calcul de la performance retenu. «Une performance doit se fonder sur une évaluation qui elle-même doit se fonder sur des critères. Si ces derniers sont liés à des objectifs de santé publique, il est possible de faire une évaluation médicale et d’apprécier une performance. Si les objectifs n’ont rien à voir avec la santé publique, la mission d’un médecin s’en trouve entièrement redéfinie», devait-il plaider sous les yeux de Philippe Tcheng, représentant de Christian Lajoux, le président du Leem.

«Asymétrie»

Sceptique quant à l’adhésion sur le long terme des médecins traitants au Capi, le Dr Tcheng rappelle qu’il existe déjà une procédure de tiers-payant contre les génériques «redoutablement efficace». «Pourquoi demander aux médecins de faire le travail qui est déjà effectué par les pharmaciens», s’est-il interrogé en soulignant l’»asymétrie» dans les techniques de vente et de communication du Capi entre l’assurance maladie et le médecin traitant. Enfin, Christian Deleuze, PDG de Daiichi Sankyo a rejoint ses homologues pour regretter «le glissement vers le tout économique» et défendre la formation collective du corps médical. Plus caustique, il n’a pu s’empêcher de regretter qu’en tant que laboratoire, il lui échouait de «financer le 13ème mois des médecins traitants»…

Fortement mis en cause, Frédéric Van Roekeghem est resté droit dans ses bottes, envisageant d’étendre le Capi par voie conventionnelle, aux 45 000 médecins traitants éligibles. Mais cette hypothèse n’a pas semblé rencontrer l’enthousiasme de Roselyne Bachelot. La ministre est restée sur la réserve, sans doute ébranlée par les conclusions douces-amères de Pierre-Louis Bras, inspecteur de l’Igas, relevant dans un rapport récent sur le paiement à la performance, que le mécanisme avait surtout profité aux GP’s britanniques plutôt qu’à la santé publique Outre Manche.

«Je souhaite que l’on s’entoure de quelques précautions sur le paiement à la performance tant que l’on n’a pas tiré toutes les leçons des contrats d’amélioration des pratiques individuelles et des évaluations conduites dans le cadre des expérimentations d’autres modes de rémunération prévues par la loi», devait-elle déclarer dans son discours de clôture de l’Université d’été. Il lui paraît également «sage» de tenir compte «du contentieux en Conseil d’Etat pour réfléchir aux évolutions du dispositif, pour lequel la littérature internationale ainsi que l’inspection générale des affaires sociales ne mettent pas en valeur de bénéfices incontestables pour la prise en charge des patients et le fonctionnement du système de santé», devait-elle encore déclarer.

On ne peut mieux dire que pour le ministère de la Santé, il est urgent de ne pas se hâter pour généraliser.