Dans un document listant les recommandations du Medef pour accroître l’efficience de notre système de santé, l’organisation patronale chiffre à près 20 milliards d’euros, le montant des économies annuelles qui pourraient être réalisées avec sa réforme. La plus grosse part (8 milliards) reviendrait à l’hôpital public, au travers d’un rééquilibrage de l’offre de soins avec la ville. Président de Sanofi France et du Comité transverse des entreprises de santé au Medef, ancien président du Leem, Christian Lajoux explique comment.


Egora : Le Medef vient de publier son programme pluri-annuel de réformes structurelles sur 2014-2017 tendant à conjuguer “efficience, innovation et responsabilité dans notre système de santé”, et réaliser entre 15 à 20 milliards d’économies par an sur son financement. Quelles en sont les principales caractéristiques ?

Christian Lajoux : L’approche globale que nous avons privilégiée permet de sortir d’une certaine verticalité souvent observée dans le domaine de la santé puisque nous nous trouvons face à un état qui cloisonne et prend des mesures de court terme au lieu d’envisager des mesures structurelles. Ensuite, le Medef insiste sur un point essentiel : les progrès technologiques, les innovations de rupture apportées par les entreprises de santé sont un facteur d’efficience et d’économies à condition d’être accompagnée de réformes structurelles importantes. Très clairement, le progrès technologique n’est pas un facteur de surcoût, mais un facteur d’efficience et d’économie qui passe par la nécessité de réformer. Nous proposons des réformes structurelles au sein d’un système très hospitalocentré et très cloisonné aujourd’hui. Nous avons la volonté d’adapter l’offre de soins par un rééquilibrage entre l’hôpital et la ville. A condition de remédier à cette inadaptation croissante de l’offre de soins coûteuse pour la collectivité sans réels bénéfices pour les malades, le Medef évalue les économies qui peuvent être réalisées dans le secteur hospitalier entre 7 et 8 milliards d’euros par an.

 

Le Medef envisage la fermeture de lits, le report de financements de l’hôpital vers la ville… Ce rééquilibrage ne pourra pas se faire sans casse.

De nombreux rapports ont été publiés sur ce sujet. On recense en France 30 % d’établissements hospitaliers de plus qu’en Allemagne alors que nous avons 20 millions d’habitants en moins. Plutôt que de parler de casse, je préfère évoquer concertation et dialogue. Nous nous élevons contre le discours d’aujourd’hui qui consiste à dire que la réforme hospitalière est impossible car elle induirait une casse en termes d’emplois. Il ne faut pas en faire un dogme ! Nous savons aujourd’hui qu’un certain nombre d’emplois dans le secteur hospitalier public, des savoir-faire, des expertises au-delà de la médecine même, peuvent être reconvertis. L’hôpital public, dans la concertation et le dialogue social, a aujourd’hui la possibilité de se réorganiser comme le font la plupart de nos entreprises. Mais il est évident qu’on ne peut pas réformer l’hôpital s’il n’y a pas un véritable projet et un véritable projet politique de rééquilibrer le parcours de soins entre l’hôpital et la ville.

 

Le Medef prêche également pour une plus grande équité et plus de transparence dans l’attribution des ressources entre les secteurs hospitaliers publics et privés.

Oui. Il ne faut pas perdre de vue que l’hospitalisation privée sert de point de comparaison pour le traitement d’un certain nombre de pathologies où elle peut être plus efficiente que le secteur public. Elle réalise 60 % de la chirurgie ambulatoire. Il faut réfléchir à ce qu’est l’hôpital aujourd’hui. J’ai beaucoup de respect pour le monde hospitalier mais il faut se demander si l’on reste dans un monde hospitalier construit sur une structure d’hébergement qui lui permet de distribuer des soins in situ. Ou pense-t-on l’hôpital en plateau technique de très haute technologie qui permet effectivement de réduire la durée d’hospitalisation et réinscrire le patient dans un processus ambulatoire ?

 

La médecine de parcours pourrait-t-elle servir de levier à cette réattribution des rôles ?

Absolument. Ce qui est nouveau dans la démarche développée par le Medef, c’est d’affirmer qu’il faut instaurer un dialogue entre le monde de soignants et celui des ingénieurs car la médecine est de plus en plus techniciste, conduite par l’évolution du progrès technologique et il est bien évident qu’il faut y associer les ingénieurs. Cela permet d’avoir une vision globale du parcours de soins dans un monde très hospitalocentré et de rééquilibrer l’ensemble du système de soins au service de la qualité de soins donnés au patient.

 

La stratégie nationale de santé prend-elle en compte votre réflexion ?

Malheureusement non, car elle n’intègre pas les entreprises de santé dans le processus. Aujourd’hui on ne peut pas penser la santé sans les entreprises de santé, ou contre elles. Mais de loi de financement de la sécurité sociale en lois de financement, c’est bien ce qui est en train de se produire. Les entreprises du médicament, du diagnostic, des dispositifs médicaux, du numérique, l’hospitalisation privée et le monde de l’assurance doivent participer à l’élaboration d’une stratégie nationale de santé, dans la légitimité de leur apport, c’est de leur responsabilité. Mais on continue à penser notre système en France en excluant et ignorant les entreprises de santé et les ruptures en termes d’innovation et d’avancées qu’elles proposent.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (Plfss) est aujourd’hui annuel, il ne donne aucune lisibilité aux entreprises de santé. Les économies envisagées le sont par rapport à un tendanciel car il ne faut pas perdre de vue que l’Etat réinjecte 4 milliards tous les ans dans le système de santé. Eh bien, sur ces 4 milliards, l’Etat ponctionne 1,5 milliards aux entreprises de santé. On vient de nous annoncer qu’il faudra faire 10 milliards d’euros d’économies en trois ans sur l’assurance maladie et l’on peut clairement considérer que 5 milliards proviendront des entreprises de santé. Ce qui veut dire que ces entreprises sont ignorées dans le processus de régulation, et que l’instrument de régulation qu’est le Plfss est un outil de désindustrialisation de la France dans le secteur de la santé alors qu’il n’y a qu’une dizaine de pays dans le monde qui possèdent une offre compétitive au niveau international.

Ces entreprises de santé sont un fleuron de l’entreprise française, mais sans que personne ne s’en émeuve, ni les politiques, ni les ministres, ni les députés, ni les journalistes, les lois de financement de la sécurité sociale s’évertuent à fragiliser un secteur qui devrait être au contraire un secteur de croissance. Je suis très attaché au conventionnement et au dialogue avec les institutions, mais nous sommes au Medef très surpris de devoir assister sans rien dire, à la destruction de secteurs d’entreprises qui pourraient demain assurer la croissance et fournir de l’emploi.

 

Le Medef prône un mode de financement de notre système d’assurance maladie qu’il qualifie de “réaliste”. En quoi consiste-t-il ?

Nous avons le souci de préserver le modèle de la sécurité sociale basé sur une prise en charge collective, tout en proposant des pistes d’évolution. Notre modèle réaliste met l’accent sur un premier pilier, qui est le panier de soins financé par le régime général de sécurité sociale, recentré sur les soins et services essentiels, qui pourrait être allégé d’une dizaine de milliards d’euros pour faire rentrer davantage les complémentaires dans le système, puisqu’elles sont revenues obligatoires pour les salariés, dans le cadre de l’accord ANI. Le tout sans fermer la porte à une option de sur-complémentaire d’assurance, individuelle, qui pourrait être encouragée par l’Etat.

 

Le climat vous semble-t-il favorable à l’écoute des propositions du Medef ?

La réponse est oui. Les propositions que nous faisons ne sont pas très éloignées d’un certain nombre d’attentes de la communauté européenne. Depuis plusieurs mois, il y eu une prise de conscience très forte de ce que sont les équilibres économiques dans le pays. Pour la première fois depuis longtemps, les questions économiques sont abordées dans leur authenticité et leur vérité.

Rarement on a vu un gouvernement être aussi conscient de l’amplitude des économies à faire, qu’il s’agisse du coût du travail ou en matière de fiscalité. Mais nous serons vigilants dans la volonté de mettre en place les moyens qui permettront de corriger les déséquilibres économiques de la France tout en maintenant la compétitivité internationale de nos entreprises, et notamment de santé. Ce qui manque peut-être, c’est que le Medef rencontre des interlocuteurs qui ont la même impatience que lui en termes de réformes structurelles, telles que nous les proposons dans ce document. Le point essentiel, c’est de sortir de l’ignorance dans laquelle nous assigne un certain nombre de rapports, qui veulent réformer en ne tenant pas compte des entreprises de santé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne