Exaspérés par le perpétuel manque de moyens accordés à la médecine générale universitaire, 33 professeurs des universités viennent de signer une tribune dans Le Monde. Vincent Renard, président du Collège national des généralistes enseignants, veut que les belles paroles se traduisent en actes, maintenant.

 

Egora.fr : C’est la première fois que vous publiez une tribune dans un média grand public, vous cherchez de nouvelles voies d’expression ?

Vincent Renard : Certains médias sont lus par les élus, les tutelles… C’est vrai qu’on a l’assurance d’être plus entendus que si on reste dans notre coin. C’est une manière de dire que la médecine générale universitaire existe et qu’il nous faut un vrai plan d’ensemble cohérent. L’incohérence actuelle nuit non seulement aux patients, mais nuit aussi à la formation.

 

Quelles sont vos difficultés au quotidien ?

Le ratio enseignant/enseigné en médecine générale universitaire reste à plus de 1/100. Et ça stagne. On sait bien que ce ratio est absurde et empêche mécaniquement que l’on s’occupe correctement des internes. Malgré le dévouement des équipes, il y a des limites physiques. On ne peut pas le faire. On ne peut pas accompagner les internes, les motiver suffisamment. L’exemple qui leur est donné, c’est qu’avec un DES de médecine générale, on a 30 à 40 fois moins de chance de devenir chef de clinique. Si vous faites un DES de médecine générale, vous savez qu’au lieu d’avoir un titulaire universitaire pour 5 à 10 étudiants, vous en aurez un pour 300.

Je suis toujours surpris qu’il y ait autant de jeunes qui soient motivés par la discipline. Il y a toute une cohorte de 4000 internes qui sont au-delà des trois ans et qui n’ont pas encore soutenu leur DES. Les difficultés dans les départements de médecine générale universitaires sont telles qu’on ne peut pas assurer l’encadrement et conduire tous les internes à faire leur DES en trois ans, c’est matériellement impossible. Ces signaux sont très démotivants et les incitent surtout à faire autre chose.

Donc à un moment donné, ça a un sens. Si vous envoyez un signal comme ça, il ne faut pas s’étonner des conséquences. On entend périodiquement les élus s’insurger ou imaginer des mesures arbitraires pour obliger les jeunes à s’installer dans les zones désertées… Ils s’affolent face à une situation démographique qu’on a annoncée depuis plusieurs années. Mais à un moment il faut être cohérent !

 

Après deux ans de gouvernement Ayrault et maintenant Valls, qu’est-ce qui a changé pour vous ?

On a entendu depuis deux ans, un certain nombre d’intentions qui n’ont pas été suivies d’effets, ou en tout cas très partiellement, sans politique d’ensemble qui permette à la médecine générale universitaire de se développer et de survivre.

Il y a eu des petites choses. Les praticiens territoriaux, ça va dans le bon sens. La mise hors quota des formations à la maîtrise de stage au DPC, aussi. Mais on est là dans des mesures très précises et ponctuelles. Ça donne l’impression qu’il n’y a pas de plan d’ensemble.

 

Quel est le fond du problème ?

Ce matin encore j’avais une consultation avec un petit patient de 8 mois qui vomit. Quand il est allé aux urgences samedi, tout ce qu’on lui a dit c’est qu’il ne fallait pas être suivi pas un généraliste et qu’on ne comprenait pas qu’il ne soit pas suivi par un pédiatre. Tant qu’il n’y aura pas une orientation politique claire sur les soins primaires et l’organisation du système, on aura ce genre de représentations, de schémas éculés… Et c’est comme ça qu’un certain nombre de patient se retrouvent à aller aux urgences quand ils n’en ont pas besoin, qui sont mal aiguillés…

Au niveau du système de santé, on observe une discordance claire entre l’organisation du système et l’affichage vers les soins primaires. Le système de santé n’est toujours pas organisé, hiérarchisé et réfléchi autour des soins primaires. Au moment où il faut faire beaucoup d’économies, c’est regrettable. A qualité des soins égale, et même en augmentant la qualité des soins, un tel système pourrait revenir beaucoup moins cher. Donc la tutelle et l’Assurance maladie se retrouvent en grande difficulté et inventent le xième plan pour économiser sur les génériques. Mais structurellement, le système a toujours un rapport coût-efficacité aussi médiocre.

Tout est dit, les diagnostics sont partagés. Il y a un certain nombre de choses qui sont connues et identifiées, nous on demande juste que ce soit appliqué. Mais pas dans dix ans ! C’est maintenant que les choses se passent, c’est maintenant que les choses sont très difficiles, et c’est maintenant qu’on espère un nouvel élan après le changement d’équipe gouvernementale.

 

Pourquoi ces blocages ?

Malheureusement, dès qu’il s’agit de promouvoir les soins primaires et la médecine générale, vous avez des freins de la part des soins secondaires et de l’hôpital qui ont l’impression qu’on va leur prendre leurs parts de marché. Clairement, si vous axez sur les soins primaires et que vous y mettez de l’argent, ça veut dire qu’il faut l’enlever à d’autres.

Mais où est la logique en France, en dehors de préserver des intérêts corporatistes et d’aider au budget des hôpitaux, de continuer cet excès complètement invraisemblable et non régulé aux urgences, qui coûte un argent fou et qui n’est pas du tout efficient au niveau de la qualité des soins ? On est en présence de lobbys qui pérennisent un système inefficace et extrêmement coûteux. C’est un exemple, mais on pourrait les multiplier.

D’autre part, on est dans un modèle où la gouvernance du système est assurée par l’Assurance maladie, extrêmement conservatrice, qui n’a jamais compris que les soins primaires étaient une chance pour les patients et pour le système de santé. Les médecins généralistes ne sont pas plus considérés que les médecins qui font de l’esthétique et dont les soins continuent à être remboursés au mépris du bon sens… Il suffit de dire ça pour voir à l’évidence le mauvais fonctionnement du système et son aberration. Et ce sont des dérives que personne ne régule.

 

S’agit-il d’un manque de volonté politique ou de considération de la médecine générale à l’université ?

Les deux, c’est très lié. On sait bien qu’il y a un certain nombre de freins, parce qu’on parle d’une discipline nouvelle, qui concerne un nombre de futurs professionnels très important, d’un exercice inhabituel dans le milieu universitaire, parce qu’il se fait en ambulatoire et pas dans les CHU… Ca induit une certaine prudence. Et c’est pourtant là qu’il faudrait un dynamisme ou une volonté politique claire. Et on voit bien les limites de la Stratégie nationale de santé de ce point de vue-là. Où se traduit-elle dans le nombre de postes ? Et dans l’encadrement des futurs généralistes, dans la réforme du 3ème cycle ? On est face à une situation grave et cette inertie est très décevante.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier